"C'est étrange de voir des gens accusés en vrai" : des lycéens de terminale assistent au procès de l'assassinat de Samuel Paty

Alors que huit personnes accusées d'être impliquées dans l'attentat qui a ciblé le professeur d'histoire-géographie sont jugées depuis début novembre, les élèves de sept classes se rendent tour à tour à l'audience.
Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
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L'entrée de la salle "Grands procès" du palais de justice de Paris, où se tient le procès de l'assassinat de Samuel Paty, photographiée le 15 novembre 2024. (SABRINA DOLIDZE / SIPA)

Ils sont massés sur les bancs réservés au public, au fond de la salle d'audience. Les yeux rivés sur les écrans, ils fixent les images en silence. La plupart font leurs premiers pas dans une enceinte judiciaire. Ce mardi 3 décembre, vingt-huit élèves de terminale d'un lycée des Hauts-de-Seine, accompagnés de "trois adultes et deux mères volontaires", sont venus au palais de justice de Paris dans le cadre du projet "Classes en audience". L'objectif est d'assister, pendant une demi-journée, au procès de l'assassinat du professeur d'histoire-géographie Samuel Paty, qui se tient devant la cour d'assises spéciale de Paris depuis le 4 novembre.

"Quand on arrive dans la salle, c'est intimidant et impressionnant", lâche Alice*, 17 ans, à la suspension d'audience. La lycéenne estime, comme les cinq autres élèves interrogés par franceinfo, avoir "beaucoup de chance de suivre un procès tel que celui-là". "On voit à quel point s'organisent les interrogatoires et quelles questions sont posées", ajoute-t-elle. "On a accès à des images qui ne sortiront jamais puisque les procès ne sont pas filmés", complètent Ugo et Ana*, qui trouvent "étrange de voir des gens accusés en vrai". Chacun a son avis sur l'attitude et les réponses apportées par le prédicateur Abdelhakim Sefrioui, jugé pour association de malfaiteurs terroriste et dont l'interrogatoire a lieu ce jour-là.

"Le procès est historique, ils en ont conscience"

Une séance de deux heures a permis aux élèves de prendre connaissance des enjeux du procès avant d'y assister, explique Chantal Anglade, professeure de lettres qui consacre la majeure partie de son temps à l'Association française des victimes du terrorisme (AfVT), à l'initiative du projet. "On revient sur la rumeur, l'attentat de Samuel Paty et on leur présente les accusés", précise-t-elle. "Un travail de préparation" qui a permis à Sara* "d'éviter d'être perdue".

Au total, sept classes de terminale ayant choisi l'option Droit et grands enjeux du monde contemporain (DGEMC) – cinq de l'académie de Versailles et deux de l'académie de Paris – participent à ce dispositif. "C'est utile pour le cours sur la vérité et cela permet aux élèves de découvrir la procédure judiciaire. Le procès est historique, ils en ont conscience", souligne leur professeure de philosophie, qui dispense aussi le cours de DGEMC et les accompagne au procès.

"On avait le même âge que la collégienne qui a lancé la rumeur quand ça s'est passé, ça nous a beaucoup touchés", se souvient Sara, qui était, comme la majorité de ses camarades, en classe de quatrième, le 16 octobre 2020, quand Samuel Paty a été décapité à la sortie du collège du Bois-d'Aulne, à Conflans-Saint-Honorine (Yvelines), par Abdoullakh Anzorov, un jeune islamiste radical tchétchène.

"On a aussi réalisé que tout peut prendre de l'ampleur avec les réseaux sociaux et en assistant au procès, on s'en rend compte encore plus."

Sara, lycéenne

à franceinfo

Pour la lycéenne de 17 ans, c'est aussi le déclencheur d'une réflexion autour de "la relation entre le professeur et l'élève". "Depuis l'attentat, les profs font très attention. Certains évitent de montrer des caricatures dans les cours d'histoire", assure l'adolescente. Ce n'est pas le cas de sa professeure de philosophie et de DGEMC, qui assure avoir conservé "la même manière de travailler", tout en ayant à l'esprit qu'elle peut devenir "une cible". Depuis l'assassinat de Samuel Paty et "l'impact émotionnel" suscité, l'enseignante observe que le lien avec les élèves s'est resserré. "Et, à la faveur de cette sortie pour assister au procès, on entretient ce lien devenu très fort", estime-t-elle.

"On dialogue, sans leçon de morale"

Le projet "Classes en audience" ne s'arrête pas aux portes du palais de justice : les élèves ont dû formuler un retour d'expérience à l'écrit dès le lendemain. Ils vont également rencontrer deux victimes du terrorisme, dont un ancien collègue de Samuel Paty. "L'objectif est de travailler sur l'Etat de droit et de leur montrer la réponse de la justice et de la démocratie au terrorisme. La parole de cette génération m'intéresse énormément. On s'adapte aux questions des élèves, on dialogue, sans leçon de morale. Ils sont motivés, ça fonctionne bien", expose Chantal Anglade.

Tous ces élèves vont se rencontrer d'ici à la fin de l'année scolaire pour confronter leurs vécus et points de vue sur le procès. Parmi les sept classes, deux comptent des lycéens originaires de Conflans-Saint-Honorine, pour lesquels le projet revêt une dimension singulière. Certains connaissaient Samuel Paty et les anciens collégiens condamnés, il y a un an, dans le cadre du procès pour mineurs. Eux ont assisté à l'audience le 28 novembre, comme le rapporte l'émission "C l'hebdo" sur France 5. "L'attentat fait partie de l'histoire personnelle de ces élèves, mais leur histoire appartient aussi aux autres", souligne Chantal Anglade. Ainsi, considère-t-elle, "ils entrent dans la grande histoire".

*Les prénoms ont été changés pour les mineurs

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