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Nigeria : six mois après le rapt des lycéennes, Boko Haram se porte comme un charme

Le business des otages est florissant, des pans du territoire sont aux mains de la secte et elle est mieux armée que jamais.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une femme montre le portrait de sa fille, enlevée par Boko Haram en avril, à Maiduguri, dans le nord-est du Nigeria, le 21 mai 2014. (JOE PENNEY / REUTERS)

Début mai, la campagne #BringBackOurGirls bat son plein. Le monde entier se mobilise pour essayer de retrouver les 276 lycéennes nigérianes enlevées par la secte Boko Haram. Sur Twitter, Michelle Obama et la future prix Nobel de la Paix Malala Yousafzaï posent avec un panneau réclamant le retour des jeunes filles. Valérie Trierweiler et Carla Bruni défilent au Trocadéro. Paris et Washington bombent le torse, annoncent un plan global, envoient des experts au Nigeria et promettent de tout faire pour aider à retrouver les lycéennes.

Six mois après l'enlèvement, mardi 14 octobre, l'attention s'est détournée de leur sort et les appels à la mobilisation restent lettre morte. Le groupe armé, lui, ne cesse de gagner en puissance, menaçant la première économie d'Afrique et le pays le plus peuplé du continent.

Des lycéennes toujours détenues

Dans la nuit du 14 au 15 avril, Boko Haram enlevait spectaculairement 276 lycéennes, à Chibok, dans le nord-est du Nigeria. Abubakar Shekau, le leader de la secte, promettait de les vendre ou de les marier, déclenchant l'indignation internationale.

Parmi elles, 57 sont parvenues à s'échapper, en juin, selon le gouvernement nigérian. Elles ont été rendues à leurs familles. Les autorités ont également annoncé avoir localisé à la frontière camerounaise les 219 jeunes filles dont on reste sans nouvelles.

Les otages, un business juteux

La presse nigériane se fait l'écho de négociations entre les autorités et Boko Haram. The Nation (en anglais) décrivait fin septembre des pourparlers pour la libération de 30 d'entre elles. En échange, Boko Haram aurait réclamé la libération de 19 "commandants". Il était question de les libérer après l'Aïd-el-Kébir, le 4 octobre. Le Premium Times (en anglais) a, lui, signalé des négociations en juillet, qui auraient échoué. Cette fois, ce sont 16 membres de Boko Haram qui devaient être échangés contre 30 jeunes filles.

Les otages sont l'une des principales sources de financement de Boko Haram. Samedi, le groupe a libéré 27 prisonniers, dont 10 ouvriers chinois et la femme d'un responsable politique, au Cameroun, où ils avaient été enlevés. Comme à leur habitude, les autorités nigérianes ont éludé la question du paiement d'une rançon. Mais des médias locaux, comme Sahara Reporters (en anglais), affirment que le Cameroun a versé au moins 400 000 dollars à Boko Haram, libéré quatre "commandants" et fourni des armes et munitions. Le phénomène n'est pas nouveau. Déjà, après la libération de la famille française Moulin-Fournier, en avril 2013, le paiement d'une rançon, notamment par l'employeur du père, GDF Suez, avait été évoqué.

De vastes portions du territoire contrôlées par la secte

Ce qui change, c'est la stratégie de Boko Haram sur le terrain. Hier, l'organisation harcelait les troupes nigérianes. Aujourd'hui, elle s'est emparée de pans entiers du nord-est du Nigeria ainsi que de plusieurs localités frontalières de l'extrême-nord du Cameroun qu'elle entend bien administrer, relèvent plusieurs spécialistes.

Ainsi, écrit le Armed conflict location and event data project, un projet de l'université du Sussex qui fournit des données sur les conflits en Afrique, "la prise par Boko Haram de plusieurs territoires montre une évolution significative de la tactique du groupe". L'observation s'accompagne d'une carte représentant les localités prises par la secte (les petits points bleu ciel).

 

Le think tank International crisis group a relevé des dizaines d'attaques menées par la secte, tandis que le Council of foreign relations, s'appuyant sur des déclarations de l'évêque de Maiduguri, distinguait, fin septembre, trois zones tenues par Boko Haram dans les Etats de Borno, Yobe et Adamawa, soit 25 villes. Pour Le Monde, Boko Haram cherche à "se tailler un fief".

Le 2 octobre, dans une vidéo, le chef de Boko Haram s'inspire de l'organisation jihadiste Etat islamique en revendiquant un "califat islamique" dans le nord-est du Nigeria. Comme au Moyen-Orient, les islamistes radicaux se moquent des frontières, menaçant notamment le Cameroun voisin, mais inquiétant aussi le Tchad et le Niger. Le Monde juge l'hypothèse de la constitution d'un califat "absurde, si l’on s’en tient aux conditions qui devraient être réunies pour un tel projet". Mais Boko Haram semble bien être passé à une phase de conquête, s'approchant dangereusement de la capitale de l'Etat de Borno, Maiduguri, qui compte un million d'habitants.

Un arsenal sophistiqué

Par ailleurs, dans cette même vidéo, Abubakar Shekau fait étalage de l'armement de Boko Haram. Il y tire notamment avec une mitrailleuse anti-aérienne. Un jet de l'aviation nigériane est d'ailleurs porté disparu.

Cette capture d'écran d'une vidéo de Boko Haram montre son leader, Abubakar Shekau, juché à l'arrière d'un pick-up, le 2 octobre 2014. (AFP)

Mais Boko Haram posséderait un arsenal beaucoup plus sophistiqué, tel que le système anti-aérien ZSU-23-4, des véhicules blindés Panhard ERC-90 "Sagaie" et même des tanks T-55, selon un autre article du Council of foreign relations. L'institut américain relève que ce matériel nécessite un peu de formation (rien d'insurmontable), mais surtout de la logistique et du personnel qualifié, notamment pour la maintenance et la fourniture en carburant et munitions. Quoi qu'il en soit, il relève que "si Boko Haram est capable de faire fonctionner ces équipements, cela signifie que le conflit passe à un autre niveau".

Un signal d'autant plus inquiétant que l'armée nigériane lutte contre des mutineries alors qu'elle tente de reprendre le contrôle du Nord-Est. Des soldats ont refusé de se déployer ou ont fui face à Boko Haram (ce que l'armée dément systématiquement). De nombreux militaires se plaignent de ne pas être assez bien équipés pour remplir leur mission. En septembre, douze soldats ont été condamnés à mort pour avoir tiré sur leur supérieur à Maiduguri, et une centaine d'autres, engagés dans des opérations contre le groupe islamiste, ont comparu début octobre devant un tribunal militaire de la capitale pour mutinerie.

Des réfugiés par centaines de milliers

Pour faire face à Boko Haram, François Hollande avait réuni en mai, à Paris, les chefs d'Etat de la sous-région (Tchad, Niger, Nigeria, Cameroun). Depuis, ils se réunissent régulièrement et ont décidé en juillet de mettre en place une force régionale qui doit entrer en action avant fin novembre. Sera-t-elle suffisante ?

On estime aujourd'hui que le conflit a fait 700 000 déplacés depuis 2009, dont 100 000 dans l'est du Niger, une région aride. Depuis le début de l'année, 75 000 Nigérians ont fui vers le Cameroun, le Tchad et le Niger, selon l'UNHCR, l'Agence des Nations unies pour les réfugiés. Une centaine de réfugiés nigérians traversent la frontière avec le Cameroun chaque jour.

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