Crise climatique : des scientifiques et ONG redoutent une arrivée du Rassemblement national au pouvoir après les législatives

Plusieurs experts environnementaux et organisations écologistes alertent sur les conséquences d'une éventuelle victoire de l'extrême droite dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Article rédigé par franceinfo
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Marine Le Pen présente un contre-projet de référendum sur l'écologie, le 9 mars 2021, à l'Assemblée nationale. (ALAIN JOCARD / AFP)

"Stupéfaits", "secoué", "grave danger"... Quelques jours après des élections européennes qui ont vu la victoire du Rassemblement national, les défenseurs de la lutte contre le changement climatique s'inquiètent vivement d'une possible victoire du parti d'extrême droite aux élections législatives anticipées convoquées par Emmanuel Macron dans la foulée de l'annonce des résultats. "Je suis secoué, effrayé, abattu", se désole le paléoclimatologue Jean Jouzel dans Le Monde.

L'association France nature environnement souhaite "éviter que la France ne bascule dans le camp des climatosceptiques et des négationnistes de la crise environnementale". Car le Rassemblement national veut "détricoter les avancées environnementales", alerte l'ONG Greenpeace. "L'extrême droite est un grave danger pour l'environnement et le climat", écrivent Les Amis de la Terre sur le réseau social X.

Ce sont les mesures avancées par le RN qui alarment les spécialistes du climat. Lors de la campagne présidentielle de 2022, Marine Le Pen avait ainsi promis une vingtaine de nouveaux réacteurs nucléaires, dont dix à livrer dès 2031, un pari irréaliste, de l'aveu même des industriels. Elle a également promu un moratoire sur l'éolien, se heurtant ainsi à tous les scénarios de transition énergétique, qui, nucléaire ou pas, soulignent la nécessité des énergies renouvelables si la France veut sortir des énergies fossiles et tenir ses engagements climatiques. La copie d'alors était ainsi jugée "très éloignée, voire contraire" aux objectifs climatiques de la France, selon l'analyse faite à l'époque par franceinfo.

Aucune trace du climat dans les professions de foi

Deux ans plus tard, dans le programme du parti pour les élections européennes, les mesures pour la lutte contre le changement climatique ont encore été jugées "insuffisantes ou contraires", selon le Réseau action climat. "Le RN ne fait pas mention de la neutralité carbone ni de la sortie des énergies fossiles dans son programme", citait en exemple la coalition d'ONG. La liste de Jordan Bardella se prononçait en revanche contre "l'écologie punitive" du Pacte vert européen, pour l'abrogation de l'interdiction de vente de voitures thermiques neuves en 2035, pour l'assouplissement "des obligations européennes de rénovation énergétique des bâtiments" ou encore contre le déploiement d'éoliennes et de panneaux solaires.

Pour ces législatives anticipées, le parti d'extrême droite a prévu une profession de foi qui sera envoyée à tous ses candidats. Elle contient "les huit thèmes de campagne que le RN veut porter", écrit Le Figaro, qui a pu la consulter. On n'y trouve aucune mention du changement climatique ou de la protection de l'environnement et de la biodiversité. Certaines promesses touchent toutefois à ces enjeux, comme "baisser les factures d'électricité, réduire la TVA sur le gaz, le fioul et les carburants".

De quoi, au contraire, augmenter l'attractivité des produits énergétiques, dont les énergies fossiles. Il est également fait mention du développement des "circuits courts" pour soutenir l'agriculture. Mais "un programme écologiste doit être technique. (...) La neutralité en 2050, comment on y arrive ? Il ne suffit pas de faire de la poésie sur le local", argumentait le politologue Daniel Boy, spécialiste de l'écologie politique, interrogé par franceinfo en 2021.

Un programme bien loin des objectifs de l'accord de Paris

Au-delà des programmes, la large victoire du Rassemblement national aux européennes ravive des prises de position passées. Comme celle du député Christophe Barthès, sur X, en janvier dernier : "Réchauffement climatique ? Dérèglement climatique ? Le 3 janvier 2024, la Suède a enregistré les températures les plus basses depuis 25 ans, avec -43°C." Ou celle de son collègue Thomas Ménagé, qui affirmait en août 2023 que les experts du Giec "ont parfois tendance à exagérer", avant d'assurer qu'il ne remettait pas en cause la réalité du réchauffement climatique.

Lors de la campagne présidentielle de 2022, Marine Le Pen elle-même citait l'environnement et le Giec parmi les "prétendus grands enjeux globaux" que la diplomatie française devait délaisser. 

"Le RN n’a aucune ambition en termes de lutte contre le changement climatique. C’est le vide. Soit les membres du parti sont climatosceptiques et nient le problème, soit ils l’ignorent."

Jean Jouzel, paléoclimatologue

dans "Le Monde"

Ainsi, les propositions et sorties du RN ne donnent à la France "aucune chance d'atteindre les objectifs de l'accord de Paris", juge François Gemenne, spécialiste de la gouvernance du climat, auprès de l'AFP. "L'exemple de la Suède doit nous interroger, avec un gouvernement très à droite qui dépendait de l'extrême droite... Le résultat, c'est que les émissions de la Suède sont reparties à la hausse, complète le chercheur. Alors que la Suède historiquement a toujours été le bon élève de l'Europe en matière d'écologie. Donc on voit bien qu'on peut mettre un coup d'arrêt brutal à la transition."

Une transition écologique qui risque d'être mise à mal

Stratégie nationale bas-carbone, plan national d'adaptation au changement climatique, programmation pluriannuelle de l'énergie... Plusieurs textes sont en attente et leur avenir est incertain. "Il y a un risque réel que la transition puisse être ralentie, voire même qu'elle déraille. Ce qui est essentiel pour la transition du côté des entreprises, des investisseurs, des marchés, c'est des signaux clairs, un cap de long terme qui soit envoyé par le gouvernement", alerte François Gemenne.

"Aujourd'hui, on rebat les cartes, le gouvernement futur va pouvoir refaire ses choix", s'inquiète Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables. Alors même que, comme l'a rappelé la climatologue Valérie Masson-Delmotte sur X, le Haut Conseil pour le climat a alerté en avril sur "le niveau d'urgence actuel, tant en matière d'atténuation que d'adaptation, qui invite à réaffirmer fermement et sans délai la politique climatique de la France".


Depuis le XIXe siècle, la température moyenne de la Terre s'est réchauffée de 1,1°C. Les scientifiques ont établi avec certitude que cette hausse est due aux activités humaines, consommatrices d'énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Ce réchauffement, inédit par sa rapidité, menace l'avenir de nos sociétés et la biodiversité. Mais des solutions – énergies renouvelables, sobriété, diminution de la consommation de viande – existent. Découvrez nos réponses à vos questions sur la crise climatique.

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