Crise politique en Allemagne : on vous explique pourquoi la coalition gouvernementale du chancelier Olaf Scholz a volé en éclats

Article rédigé par Zoé Aucaigne
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Le chancelier allemand, Olaf Scholz, le 7 novembre 2024 à Berlin (Allemagne). (CARSTEN KOALL / DPA / AFP)
Le dirigeant allemand a limogé mercredi son ministre des Finances, leader du parti libéral. Il compte désormais soumettre aux députés une question de confiance mi-janvier, en vue d'élections législatives en mars, six mois avant la date prévue.

La coalition gouvernementale au pouvoir en Allemagne a fait long feu. Le limogeage de Christian Lindner, ministre des Finances, a marqué la fin, mercredi 6 novembre, de cette alliance fragile entre les sociaux-démocrates du SPD, leurs alliés écologistes, à gauche, et les libéraux du FDP, à droite. "Trop souvent, il a trahi ma confiance", a justifié le chancelier allemand, Olaf Scholz. Dans la foulée, le Parti libéral-démocrate a annoncé que tous ses ministres allaient quitter le gouvernement, privant ainsi le chancelier de sa majorité à la Chambre des députés.

Olaf Scholz va donc soumettre aux députés allemands une question de confiance mi-janvier, en vue d'élections législatives en mars – soit six mois avant la date normalement prévue. Mais ce timing interroge : y a-t-il un lien avec la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis ? "Un mauvais concours de circonstances", sourit Paul Maurice, secrétaire général du Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l'Ifri. "Il y avait déjà eu des négociations entre les membres de la coalition la semaine dernière, on s'attendait à ce que ça tombe mercredi." Ces derniers mois, le fossé n'en finissait pas de se creuser entre les ailes gauche et droite de l'alliance initiée il y a près de trois ans, fin novembre 2021. Divergences budgétaires, querelles internes, opposition de l'électorat libéral... Voici les étincelles qui ont allumé la mèche. 

Les divergences budgétaires étaient trop profondes 

Les tensions se sont cristallisées autour de l'orientation budgétaire à prendre. En pleine préparation du budget 2025, l'aile gauche de l'alliance souhaitait ouvrir les vannes pour relancer l'économie nationale, quand les libéraux plaidaient pour des coupes sociales et une discipline budgétaire stricte. "Le problème principal a été le frein à l'endettement, prôné par le ministre des Finances", et qui impose un déficit budgétaire maximal de 0,35% à l'économie allemande, explique Paul Maurice. "Il bloquait les Verts pour la transition énergétique et, pour l'ensemble des partenaires, les investissements dans la défense et la sécurité", une question devenue centrale depuis l'invasion russe de l'Ukraine.

Christian Lindner, ministre des Finances allemand issu du Parti libéral-démocrate (FDP), à Berlin le 7 novembre 2024. (ODD ANDERSEN / AFP)

Le choc des cultures budgétaire est d'autant plus marqué que l'économie allemande est en souffrance. Le pays n'a pas été épargné par l'inflation et sa croissance pour 2024 devrait être nulle. La mise en place de certaines mesures portées par l'aile gauche n'ont donc pas pu voir le jour ou ont eu une portée limitée, selon Paul Maurice : "La situation économique aggravée avec la guerre en Ukraine n'a pas permis d'accélérer la transition énergétique en se passant du charbon car l'augmentation du prix du gaz a rendu cela impossible". Même chose pour l'augmentation du salaire minimum horaire en 2022, qui "n'a pas été très ressentie face à l'inflation galopante", ajoute-t-il.

Ce qui a finalement mis le feu aux poudres, c'est un document de 18 pages, qui a fuité dans la presse allemande samedi. Christian Lindner y dresse une série de mesures, dont la fin de l'impôt de solidarité et l'abandon d'objectifs climatiques. Le texte relève de la "rhétorique néolibérale" et "n'est pas compatible avec le contrat de coalition", a réagi le député SPD Nils Schmid auprès du Tagesspiegel. Pour surmonter ces désaccords de plus en plus prégnants, Olaf Scholz a organisé mercredi de nouveaux pourparlers, qui se sont avérés être les derniers.

La coalition était minée par les dissensions

"Egoïste", "irresponsable"... Olaf Scholz n'a pas mâché ses mots lors de sa prise de parole devant la presse, après avoir limogé Christian Lindner. Un membre du gouvernement "doit être prêt à faire des compromis dans l'intérêt de tous les citoyens. Mais ce n'est pas ce qui intéresse Christian Lindner pour le moment", a martelé le chancelier allemand, preuve des rapports exécrables qu'il entretenait avec son ministre. 

"Christian Lindner se soucie de sa propre clientèle. Il s'inquiète de la survie à court terme de son propre parti. "

Olaf Scholz, chancelier allemand

lors d'une conférence de presse

Le chef de file du FDP n'a pas été tendre avec ceux qui furent ses alliés. Christian Lindner a par exemple qualifié les propositions économiques d'Olaf Scholz de "ternes" et reproché au ministre de l'Economie écologiste son "impuissance conceptuelle". "Il se comporte depuis le début comme un leader d'opposition au sein du gouvernement auquel il appartient", estimait fin octobre Markus Linden, politologue à l'université de Trèves, auprès de L'Express.

Christian Lindner remercié, "les autres ministres du FDP ont expliqué qu'ils allaient présenter leur démission au chancelier", a déclaré le président du groupe parlementaire du mouvement, Christian Dürr. "Les relations entre les libéraux et les autres membres de l'alliance ont été compliquées par leurs visions différentes, pointe Paul Maurice. Culturellement, le parti libéral est passé plus à droite qu'il ne l'était il y a une trentaine d'années". Le spécialiste nuance tout de même : "Il y a certains ministres libéraux avec qui ça a été plus facile. Celui des Transports n'a pas démissionné du gouvernement mais du FDP, par exemple."

Les électeurs libéraux voient cette alliance d'un mauvais œil

La base du Parti libéral-démocrate s'est montrée de plus en plus sévère vis-à-vis de ses élus. Au début de l'année, les adhérents avaient demandé la tenue d'un vote sur le maintien ou non du parti dans la coalition. Le "oui" l'avait emporté de justesse, avec 52,2% des voix, rappelle Le Monde. Mais, quelques mois plus tard, dans une enquête d'opinion relayée fin septembre par le Tagesspiegel, 63% des électeurs du FDP ne se disaient pas contre un départ de leurs députés du Bundestag – l'équivalent du Parlement en France.

"Les électeurs des libéraux leur reprochent d'avoir participé à ce gouvernement et d'avoir fait des compromis", décrypte Paul Maurice. Un argument d'ailleurs mis en avant par Christian Lindner. "Nos électeurs nous disent que l'on fait trop d'écologie et de social. Le programme et les valeurs du FDP ne sont pas le problème", a-t-il insisté dans un entretien au média Table Today. "Cette opposition, le FDP l'a entendue", conclut Paul Maurice.

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