Ce que l'on sait de la rupture du câble sous-marin de télécommunications reliant la Finlande à l'Allemagne

Même si les causes ne sont pas encore établies, Berlin et Helsinki ont ouvert une "enquête approfondie". La Russie, notamment, est pointée du doigt.
Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La pose du câble sous-marin "C-Lion1" entre l'Allemagne et la Finlande, le 12 octobre 2015. (HEIKKI SAUKKOMAA / LEHTIKUVA / AFP)

Il court sur 1 200 kilomètres, soit la distance entre Lille et Nice. Le seul câble sous-marin de communication à fibre optique qui relie la Finlande à l'Europe a été mystérieusement coupé, lundi 18 novembre. Son opérateur, le groupe technologique finlandais Cinia, annonce avoir détecté un "défaut" qui semble provenir d'"une force extérieure". Berlin et Helsinki, qui se disent "profondément préoccupés", promettent une "enquête approfondie".

Si les causes ne sont pas encore claires, la piste du sabotage est avancée, et l'ombre de Moscou plane au-dessus de l'eau. Voici ce que l'on sait pour le moment.

Le câble a été coupé à sa mi-longueur

Ce câble sous-marin baptisé C-Lion1 a été mis en service en 2016. Long de 1 173 kilomètres, il relie Helsinki, la capitale finlandaise, à Rostock, un port de la mer Baltique situé dans le nord-est de l'Allemagne. "Un défaut a été détecté sur le câble sous-marin C-Lion1, entre la Finlande et l'Allemagne, le 18 novembre 2024. En raison de ce défaut, les services fournis par le câble C-Lion1 sont interrompus", a annoncé dans un premier temps l'opérateur finlandais Cinia, dans un communiqué de presse. Plus tard dans la journée, il a précisé que l'infrastructure avait été sectionnée à sa mi-longueur, dans la zone économique exclusive (ZEE) de la Suède, dans un "secteur éloigné du trafic maritime".

La nature exacte des dégâts n'est pas encore connue, mais le navire de réparation est prêt à se rendre sur place. "Généralement, pour les câbles marins, le délai de réparation est de 5 à 15 jours", calcule Cinia.

Le câble C-Lion1 n'est pas le seul à avoir été abîmé ces derniers jours. Un autre câble sous-marin de télécommunication, reliant la Suède à la Lituanie, a été endommagé dimanche, a dit mardi à l'AFP le ministre suédois de la Défense civile, confirmant une information de la société suédoise de télécommunications Telia. Conséquence, "la bande passante internet a été réduite d'un tiers en raison de l'incident", précise Andrius Semeskevicius, le directeur technique de l'entreprise, à la chaîne de télévision lituanienne LRT.

Les causes ne sont pas encore connues

Le service finlandais de sécurité et de renseignement (Supo) estime qu'il est "trop tôt" pour déterminer la cause de la rupture. Un porte-parole rappelle que "200 ruptures de câbles sous-marins se produisent chaque année dans le monde" et qu'elles peuvent tout à fait être liées à "l'activité humaine, comme la pêche ou l'ancrage".

L'hypothèse de la météo est aussi avancée. "Des perturbations surviennent de temps à autre et peuvent avoir diverses causes. Par exemple, les câbles sont sensibles aux intempéries et aux dommages causés par la navigation", explique Samuli Bergström, responsable de la communication au Centre national finlandais de cybersécurité Traficom, interrogé par le site d'information public Yle.

La piste d'une activité sismique a aussi été évoquée, mais l'Institut de sismologie de l'université d'Helsinki affirme n'avoir eu connaissance d'aucune observation inhabituelle qui pourrait indiquer une éventuelle explosion.

Une "enquête approfondie" est en cours, assurent Berlin et Helsinki

Plusieurs enquêtes ont été ouvertes, dont une lancée par l'entreprise Cinia. Mais les conséquences sont aussi diplomatiques. Dans une déclaration commune, les gouvernements allemand et finlandais se disent "profondément préoccupés" et évoquent la "guerre hybride" et la menace russe. "Une enquête approfondie est en cours, notre sécurité européenne n’est pas seulement menacée par la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, mais aussi par les guerres hybrides menées par des acteurs malveillants", écrivent les ministres des Affaires étrangères des deux pays dans une déclaration commune transmise par Berlin. De son côté, la police finlandaise a annoncé mardi l'ouverture d'une enquête afin "d'établir ce qui s'est passé lors de l'incident". 

"Personne ne croit que ces câbles ont été coupés par accident (...) Nous devons partir du principe (...) qu'il s'agit de sabotage", a déclaré de son côté le ministre de la Défense allemand, Boris Pistorius, mardi, en marge d'une réunion des ministres de la Défense de l'UE à Bruxelles. "Je ne crois pas aux versions des ancres [de bateaux] qui auraient par hasard provoqué des dommages sur ces câbles", a-t-il ajouté.

Coïncidence ? Le plus grand exercice d'artillerie de l'Otan jamais organisé en Europe vient justement d'être lancé sur le sol finlandais, à moins de 200 km de la frontière avec la Russie. Au total, 5 000 artilleurs de 28 pays sont engagés dans cette opération "Dynamic Front 25" qui se déroule jusqu'à la fin du mois. 

La Russie est soupçonnée de sabotage

Si les autorités finlandaises sont prudentes sur les causes de la rupture, d'autres n'hésitent pas à soupçonner la Russie. "C'est probablement le résultat d'un acte intentionnel", affirme Tapio Frantti, professeur de cybersécurité à l'université de Jyväskylä, toujours au média public finlandais Yle. "Lorsqu'un câble se brise, on se demande pourquoi cela s'est produit et qui pourrait avoir un motif pour faire quelque chose comme ça."

"En termes de probabilités, cela se situe du côté de l'intentionnalité."

Tapio Frantti, professeur de cybersécurité

au média public finlandais Yle

Dans les couloirs de Cinia, aussi, on a quelques doutes. "La coupure volontaire du câble sous-marin n'est actuellement pas une option exclue", a indiqué Henri Kronlund, le directeur des relations publiques de l'entreprise.

"Etant donné l'importance stratégique de ce câble ainsi que l'habitude non dissimulée de la Russie de rôder autour des câbles sous-marins des pays membres de l'Otan, il est possible que Moscou ait tenté un sabotage, écrit sur X l'analyste Louis Duclos. Des navires russes sont régulièrement observés en train de tourner au-dessus de ces câbles."

Des précédents ont déjà eu lieu dans la région

Ce n'est pas le premier incident de ce type en Europe du Nord. En octobre 2023, le gazoduc Balticconnector entre la Finlande et l'Estonie ainsi que plusieurs câbles de communication avaient été endommagés après avoir été heurtés par l'ancre du porte-conteneurs chinois Newnew Polar Bear. A l'époque, les enquêteurs estimaient que les dégâts avaient probablement été provoqués par une "force mécanique" d'ampleur.

En 2021, c'est une partie du câble au large de l'archipel norvégien du Svalbard qui avait été endommagée. Propriété de Space Norway, la branche opérationnelle de l'agence spatiale norvégienne, l'infrastructure "permet notamment d'acheminer les données de Svalsat (co-opéré par Space Norway et Kongsberg), la plus grande station de réception satellitaire au monde", rappelle le site spécialisé Mer et Marine.

Deux mois plus tôt, en novembre 2020, une partie du câble reliant l'observatoire scientifique des Lofoten-Vesteralen, dans les archipels norvégiens du même nom, avait à son tour été endommagée, sans doute également à la suite d'un chalutage. "Si l'usage principal de ce câble est scientifique, il sert également à l'armée norvégienne", précise Mer et Marine.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.