Présidentielle américaine 2024 : pourquoi des républicains font campagne avec les démocrates de Kamala Harris pour "battre Donald Trump"
"Si vous m'aviez dit il y a quatre ans que j'allais voter pour une démocrate, je ne vous aurais jamais crus." La confession de Sarah Matthews, ancienne porte-parole adjointe de la Maison Blanche sous Donald Trump, provoque des rires dans la salle bondée du théâtre Keswick de Glenside (Pennsylvanie), mercredi 9 octobre. Comme deux autres anciennes responsables de l'administration Trump, elle est venue échanger avec Liz Cheney, une figure du camp républicain devenue une ardente opposante à l'ex-président, au sujet de la "menace" que représente, selon elles, un possible retour du milliardaire à la présidence des Etats-Unis à l'issue du scrutin du 5 novembre.
Cette discussion, organisée par le mouvement non partisan Democracy First, a surtout attiré des démocrates. Mais dans la salle, on trouve quand même quelques républicains, comme Dot. Si elle s'identifie toujours comme conservatrice, elle explique avoir mis sa carte du parti à la poubelle en janvier 2021, après l'assaut de militants pro-Trump contre le Capitole. "Kamala Harris doit être élue pour qu'on puisse tourner la page de Donald Trump", affirme-t-elle.
"Le Parti républicain aurait dû se débarrasser de Donald Trump lors des primaires. Il est inacceptable qu'il soit candidat."
Dot, une républicaine pro-Harrisà franceinfo
Sur scène, les conférencières partagent ce point de vue. Tour à tour, les trois anciennes collaboratrices de Donald Trump racontent comment son refus de reconnaître sa défaite en 2020, puis d'appeler ses partisans au calme, les ont convaincues qu'il représente "un danger pour la démocratie". "C'est la personne la plus immorale avec laquelle j'ai travaillé", assène Alyssa Farah Griffin, ancienne assistante du président républicain.
"Cette élection a vu naître une coalition inédite"
L'ex-représentante du Wyoming, Liz Cheney, insiste : "L'histoire montre que les démocraties tombent aux mains de populistes, qui convainquent les gens bien de croire leurs mensonges. Nous devons empêcher que cela se produise dans notre pays." Pour parvenir à "battre Donald Trump", "cette élection a vu naître une coalition inédite", souligne la fille de Dick Cheney. Figure des conservateurs et vice-président de George W. Bush, ce dernier a lui aussi annoncé soutenir Kamala Harris.
Liz Cheney est sans doute celle qui incarne le plus cette coalition. Début octobre, la républicaine a épaulé Kamala Harris lors d'un meeting dans l'Etat-clé du Wisconsin. Un soutien très remarqué, mais pas surprenant : si elle est loin d'être une conservatrice modérée, Liz Cheney est l'une des plus virulentes critiques de Donald Trump au sein de son parti. Son rôle de coprésidente de la commission d'enquête parlementaire sur l'assaut du Capitole lui a valu de multiples attaques du milliardaire et lui a coûté son siège au Congrès. Pas de quoi décourager la républicaine, qui a promis en 2022 de faire son possible pour "empêcher Donald Trump de retourner dans le Bureau ovale".
Dans son sillage, d'autres républicains anti-Trump ont rallié la campagne de Kamala Harris. En août, une dizaine d'entre eux ont défilé sur la scène de la Convention nationale démocrate lors de laquelle la vice-présidente de Joe Biden a officiellement été investie. Adam Kinzinger, ex-représentant de l'Illinois, a reconnu participer à une "étrange alliance". "Nos désaccords [avec les démocrates] sur le programme importent peu face aux questions fondamentales de principes, de décence et de loyauté envers la nation", a-t-il toutefois jugé, dans un discours relayé par NPR.
Un candidat "toxique et dangereux"
En septembre, une centaine de responsables du Parti républicain ont aussi annoncé soutenir Kamala Harris. Dans une lettre ouverte, ils ont accusé Donald Trump d'être "inapte à être de nouveau président". Lors de son premier mandat à la Maison Blanche, le milliardaire "a fait passer ses intérêts personnels avant ceux des Etats-Unis et trahi nos valeurs, notre démocratie et les textes fondateurs de ce pays", martèle le courrier.
"Il est inhabituel de voir autant de cadres d'un parti soutenir ou faire campagne pour le candidat adverse", observe Hans Noel, professeur d'affaires publiques à l'université de Georgetown. Mais "le comportement de Donald Trump viole les valeurs de nombre de conservateurs, qui le trouvent toxique et dangereux, analyse le politologue. Son programme s'éloigne aussi du Parti républicain de Reagan et Bush, par exemple sur la question du commerce ou de la politique étrangère".
Le soutien de cette frange des républicains pourrait-il permettre à Kamala Harris de remporter l'élection ? "Rien ne fera changer d'avis les électeurs Maga [les fervents supports de Donald Trump, ainsi désignés en référence au slogan de l'ex-président, "Make America Great Again"], ils sont constants dans leurs votes", tranche la sociologue Arlie Hochschild, autrice de Stolen Pride : Loss, Shame and the Rise of the Right (The New Press, 2024). Cet "électorat blanc, qui n'a pas fait d'études supérieures", se sent de plus en plus délaissé par la classe politique.
"Donald Trump joue sur leurs peurs et leurs hontes", estime Arlie Hochschild. "Il ne leur a pas apporté de meilleurs emplois, n'a pas mis fin à la crise des opioïdes", mais se présente comme leur "champion" en leur offrant quelqu'un "à blâmer". A commencer par les immigrés, que Donald Trump et son colistier J.D. Vance accusent d'être des criminels, des mangeurs de chiens et de chats ou encore d'être responsables de la crise du logement et d'être favorisés par l'administration Biden.
Une "permission de voter démocrate"
Au-delà de cette inflexible base trumpiste, "la plupart des républicains ne se résoudront pas à voter pour une démocrate", avance Hans Noel. L'enjeu pour les "anti-Trump" est donc d'aller chercher ceux qui pourraient franchir le pas, en particulier dans la poignée d'Etats-clés où va se jouer le scrutin. "Les prises de paroles comme celles de Liz Cheney donnent aux républicains [opposés au milliardaire] la permission de voter démocrate" lors de cette élection, confie Dot, ex-membre du parti.
"En Pennsylvanie, 158 000 personnes ont voté pour Nikki Haley lors des primaires républicaines, alors qu'elle s'était déjà retirée de la course, souligne Ann Womble, coprésidente des Républicains pour Harris dans cet Etat de la côte Est. Ça prouve qu'il y a des mécontents à aller chercher." Alors que les sondages donnent les deux candidats à moins de trois points d'écart, le scrutin "pourrait se jouer à quelques milliers, peut-être même quelques centaines de votes dans deux ou trois Etats", rappelle Hans Noel.
"Il est possible que les voix des républicains [opposés à Donald Trump] s'avèrent décisives. Il est donc logique que Kamala Harris tente d'en tirer profit."
Hans Noel, politologueà franceinfo
D'autant que ce rapprochement "n'est pas seulement une main tendue aux républicains", décrypte Hans Noel. Dans une Amérique plus polarisée que jamais, "c'est aussi un message aux indépendants et à tous les électeurs qui ne supportent plus les affrontements entre les deux partis".
"Ils se sentent accueillis par les démocrates"
"Dans cette campagne, Donald Trump essaie de diaboliser les démocrates. Kamala Harris, elle, montre qu'elle est ouverte à une diversité d'opinions", abonde Ann Womble. Une volonté d'échanger qui n'existe plus au sein du Parti républicain, déplore Amy Wudel. "On nous a dit de nous en aller", assure cette électrice de l'Arizona au sujet des conservateurs qui, comme elle, n'acceptent pas de se ranger derrière le milliardaire.
"J'ai réalisé qu'on pouvait bâtir des compromis [avec les démocrates]. (...) Cette polarisation est en train de déchirer notre pays."
Amy Wudel, républicaine pro-Harrisà franceinfo
Les républicains "ayant fait des études supérieures et vivant dans les zones urbaines s'inquiètent de la prise de pouvoir [de Donald Trump] dans leur parti", constate la sociologue Arlie Hochschild. Alors qu'ils "redoutent les intimidations et les punitions" pour avoir osé critiquer le candidat conservateur, "ils se sentent accueillis par les démocrates".
Ann Womble l'assure : le soutien de certains républicains à Kamala Harris ne signifie pas que la vice-présidente bénéficierait d'un blanc-seing si elle était élue à la Maison Blanche. "Elle devrait gouverner avec un Congrès divisé, et donc obtenir un soutien bipartisan pour toutes ses mesures : il lui serait impossible de mettre en place un programme ultra-progressiste", argue la militante. En cas de victoire de Kamala Harris, la surprenante alliance pourrait donc prendre fin dès le 6 novembre, sitôt Donald Trump écarté.
À regarder
-
Kamala Harris reconnaît sa défaite
-
Election américaine : pourquoi un tel raz-de-marée républicain ?
-
Donald Trump encense Elon Musk après avoir déclaré sa victoire
-
Donald Trump revendique "une victoire politique jamais vue"
-
Comment les expatriés américains font pour voter ?
-
La mort de cet écureuil est récupérée par le camp de Donald Trump
-
Peut-on comparer démocrates et républicains à la gauche et la droite française ?
-
Donald Trump imite Emmanuel Macron
-
Présidentielle américaine : l'artiste Bad Bunny soutient Kamala Harris
-
Election américaine : qu'apporte Elon Musk à la campagne de Donald Trump ?
-
Election américaine : quand connaîtra-t-on le nom du prochain président élu ?
-
Maya Harris, plus proche conseillère de Kamala depuis plus de 50 ans
-
Quelle est la position des candidats à la présidentielle américaine sur le conflit au Proche-Orient
-
Aux Etats-Unis, "Superman" appelle les Américains à voter
-
Présidentielle américaine : des cookies Trump et Harris controversés
-
Election américaine : plus de 6 millions de dollars de paris sur le duel Harris-Trump
-
Les célébrités peuvent-elles influencer le scrutin américain ?
-
Pourquoi n'y a-t-il que deux grands partis aux Etats-Unis ?
-
Élection présidentielle aux États-Unis : le business des produits dérivés
-
Election américaine : "I have a Glock", quand Kamala Harris parle de son arme
-
Élection américaine : les démocrates contrôlent-ils la météo ?
-
Un bar à thème présidentiel aux États-Unis
-
La "Bible Trump" bientôt dans les écoles ?
-
Une interview de Melania Trump à 250 000 dollars ?
-
Une statue géante de Donald Trump aux États-Unis
-
Kamala Harris traite Donald Trump de poule mouillée
-
Des singes prédisent le résultat de l'élection américaine
-
Élection américaine : rencontre avec Raymond, électeur de Donald Trump
-
Visée par Donald Trump, la communauté haïtienne de Springfield est devenue la cible de l'extrême droite
-
Une possible tentative d'assassinat visant Donald Trump
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.