Présidentielle américaine : d'où vient la rumeur raciste des immigrés haïtiens "mangeurs de chats et de chiens", relayée par Donald Trump ?
Voitures vandalisées, écoles fermées, multiples alertes à la bombe... A Springfield (Ohio), rien n'est plus comme avant. La ville, et plus particulièrement la communauté haïtienne qui y vit, est devenue l'obsession de l'extrême droite américaine : des militants du groupuscule viriliste et nationaliste Proud Boys y ont été aperçus et des tracts du groupe suprémaciste du Ku Klux Klan réclamant le départ des Haïtiens ont circulé.
Lors du débat pour la présidentielle, le candidat républicain Donald Trump a fustigé le bilan en matière d'immigration de sa rivale démocrate Kamala Harris, vice-présidente de Joe Biden, en s'appuyant sur une rumeur raciste : "A Springfield, les gens qui viennent, ils mangent les chiens, ils mangent les chats, ils mangent les animaux de compagnie des habitants, c'est ce qui arrive dans notre pays et c'est une honte", a-t-il déclaré, dans la nuit du mardi 11 au mercredi 12 septembre.
Les démentis, notamment de la police locale, rapportés par Reuters, n'ont pas empêché la rumeur de circuler et d'être instrumentalisée par la droite la plus conservatrice en pleine campagne électorale. Mais comment cette fake news est-elle arrivée en quelques jours jusqu'à l'ex-président milliardaire, habitué de la désinformation ?
Newsguard, une ONG américaine luttant contre la désinformation en ligne, a pu retracer l'origine de cette affirmation virale, qui a été exposée à "67 millions de personnes" lors du débat pour la présidentielle et a inspiré de nombreuses parodies. Ces accusations sont parties d'un simple message posté une semaine plus tôt dans un groupe Facebook privé par Erika Lee, employée d'une quincaillerie de Springfield, âgée de 35 ans.
"Un récit de quatrième main"
"Ma voisine m'a informée que l'amie de sa fille avait perdu son chat (...) Un jour, elle est rentrée du travail, elle a regardé vers la maison d'un voisin, où vivent des Haïtiens, et a vu son chat pendu à une branche, comme on le ferait pour un cerf pour l'abattage, et ils le découpaient pour le manger", affirme Erika Lee dans son message, conseillant aux internautes de "surveiller ces animaux". Son post a ensuite fait le tour des réseaux sociaux, passant de Facebook à X, le 5 septembre, des partisans de Donald Trump partageant la capture d'écran du message et mentionnant des médias conservateurs comme la chaîne de télévision Fox News pour attirer leur attention.
Ce message était en réalité un "récit de quatrième main", selon les termes de Newsguard. Erika Lee s'était fondée sur le témoignage de sa voisine, Kimberly Newton, qui elle-même lui avait rapporté les dires d'un ami connaissant la prétendue propriétaire du chat. "Je ne suis pas sûre d'être la source la plus crédible, car je ne connais pas vraiment la personne qui a perdu le chat", a admis Kimberly Newton auprès de Newsguard. "Je n'ai aucune preuve", a-t-elle ajouté. Elle s'est dite préoccupée par l'impact négatif de l'afflux des Haïtiens sur les systèmes de santé et d'éducation de la ville.
Le comté de Clark, qui inclut Springfield, ville de près de 58 000 habitants, compte entre 12 000 et 15 000 immigrés, toutes origines confondues, selon une estimation des autorités. Ces dernières années, de nombreux Haïtiens se sont installés légalement dans cette ville désindustrialisée du Midwest, fuyant la situation politique et sécuritaire dégradée sur leur île depuis l'assassinat du président Jovenel Moïse en 2021. Interrogé par CNN, le maire de Springfield, Rob Rue, estime que la population a bondi de 25% en trois ans, en partie en raison de l'arrivée d'Haïtiens.
"Aucune preuve pour étayer" ces allégations
Erika Lee, l'autrice du post originel, se présente auprès de Newsguard comme une démocrate soutenant Donald Trump. Elle explique qu'elle "essayait simplement d'informer les gens (...) sans dire que les Haïtiens dans leur ensemble [sont] mauvais". "Ça a juste explosé en quelque chose que je ne voulais pas voir arriver", a-t-elle poursuivi sur NBC News. "Je ne suis pas raciste", s'est-elle défendue, ajoutant : "Si j'étais à la place des Haïtiens, je serais terrifiée aussi à l'idée que quelqu'un s'en prenne à moi."
La capture d'écran de sa publication Facebook a été diffusée le 6 septembre par un influent compte X d'extrême droite, suivi par trois millions d'internautes, amplifiant la rumeur et la dramatisant en y adjoignant une photo d'un homme noir, tenant à la main une oie inerte.
Selon le Columbus Dispatch, un média local, cette photo avait été prise en juillet dans la ville de Colombus (Ohio), et non Springfield, et postée sur le forum anglophone Reddit par un internaute qui regrette aujourd'hui son geste. Sur son site internet, la ville de Springfield soutient "qu'il n'existe aucune preuve pour étayer" les allégations selon lesquelles "les réfugiés haïtiens tuent des oies dans les parcs pour se nourrir".
Le colistier de Trump assume une histoire "inventée"
En parallèle, plusieurs faits divers ont cristallisé l'animosité envers cette communauté : un automobiliste haïtien ayant accidentellement causé la mort d'un enfant de 11 ans, et une Afro-Américaine, parfois présentée à tort, sur X notamment, comme une migrante haïtienne, ayant été jugée pour avoir tué et mangé un chat en août dernier, relève USA Today.
C'est dans ce contexte que la rumeur est relayée sur X le 9 septembre par J.D. Vance, colistier de Donald Trump et sénateur de l'Ohio, dans un tweet vu plus de 11 millions de fois. Deux jours plus tard, l'ex-président républicain reprend la fake news à la télévision devant des millions de téléspectateurs. Sur CNN, six jours plus tard, son colistier admet qu'il s'agissait d'une histoire "inventée" et se dit prêt à "créer des histoires" afin que les médias américains "prêtent attention à la souffrance de la population américaine". La publication Facebook d'Erika Lee a depuis été supprimée.
L'étranger aux mœurs barbares, un mythe ancien
La peur et le dégoût suscités par le régime alimentaire des étrangers ne sont pas nouveaux. Encore récemment, pendant la pandémie de Covid-19, une fausse théorie a circulé selon laquelle la consommation de chauves-souris en Asie était à l'origine du Sars-Cov-2, déclenchant une réaction hostile des internautes envers des personnes perçues comme chinoises. "Va manger des chauves-souris, Chang", illustre une étude américaine portant sur l'émergence d'une sinophobie en ligne.
Au XIXe siècle, cette peur était déjà instrumentalisée par les Occidentaux pour ostraciser les Chinois, sur fond de concurrence commerciale, rappelle France Culture. "Manger du chien, un animal de compagnie pour les Occidentaux, traduit la barbarie des Chinois", écrit l'historienne et journaliste Jeanne Guérout, coautrice d'Histoire des préjugés (Les Arènes, 2023). "Il s'agit de tracer ce qui définit un 'nous' et ce qui définit les autres. 'Nous, nous avons un rapport affectif avec les chiens et les chats. Et les autres, ce sont ceux qui les mangent'", analyse l'anthropologue Charles Stépanoff au micro de France Culture. "Il y a une sorte de violation d'un tabou alimentaire quand on traite ces animaux-enfants comme des animaux-nourriture. Ce sont des catégories qui sont arbitraires évidemment", rappelle-t-il.
Aux Etats-Unis, les Italiens étaient traités de "mangeurs d'ail", les Mexicains moqués pour leur consommation de haricots, tandis que le stéréotype de l'immigré mangeur de chats et de chiens est plus souvent utilisé contre les Asio-Américains, relève la radio publique américaine NPR. Dans ses précédents discours, rappelle France Inter, Donald Trump a également associé l'immigration au cannibale Hannibal Lecter, le psychopathe du film Le Silence des agneaux.
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