Autoritarisme, ultraconservatisme... Qu'est-ce que le "Projet 2025", qui prépare le retour de Donald Trump à la tête du pays ?

Article rédigé par Elise Lambert, Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Donald Trump lors d'un meeting de campagne à Doral, en Floride (Etats-Unis), le 9 juillet 2024. (JOE RAEDLE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
Rédigé par un puissant think tank, ce plan de 900 pages dessine les priorités à mener si le républicain est réélu à la Maison Blanche en novembre. Il prévoit d'élargir les pouvoirs du président et de nommer des fonctionnaires selon leur idéologie.

Nouvelle étape dans la campagne pour la présidentielle américaine, marquée depuis deux jours par la tentative d'assassinat de Donald Trump, lors d'un meeting en Pennsylvanie (Etats-Unis). La convention du Parti républicain, lors de laquelle l'ancien président doit être officiellement désigné comme le candidat des conservateurs à la Maison Blanche, débute lundi 15 juillet à Milwaukee (Wisconsin). A ce stade, Donald Trump fait figure de favori pour remporter le scrutin de novembre, profitant des divisions des démocrates autour de l'état de santé de Joe Biden.

En coulisses, les alliés de Donald Trump préparent depuis des mois son retour à Washington. Parmi eux, l'association ultraconservatrice The Heritage Foundation. Fondé en 1973, cet influent laboratoire d'idées avait notamment dicté les politiques ultralibérales du président Ronald Reagan dans les années 1980. Cette fois, il a rédigé un plan de plus de 900 pages intitulé "Projet 2025", en prévision d'un possible retour du milliardaire à la Maison Blanche.

Un plan pour démanteler l'administration

Ce document se présente comme un programme ultraconservateur prêt à être appliqué dès "le 20 janvier 2025", date à laquelle le prochain président américain sera investi. En suivant cette feuille de route, les Etats-Unis pourraient vivre une "deuxième révolution américaine", qui "restera sans effusion de sang si la gauche le permet", affirme le président du think tank, Kevin Roberts, cité par CBS. 

Premier pilier du "Projet 2025" : "démanteler l'Etat administratif". Les auteurs de ce plan estiment que les Etats-Unis sont aujourd'hui régis par un pouvoir administratif autoritaire, qui agit "contre les citoyens américains et les valeurs conservatrices". Ils proposent donc de mettre fin à l'indépendance de plusieurs agences fédérales, parmi lesquelles l'Agence de protection de l'environnement. Alignant les propositions climatosceptiques, les auteurs défendent ainsi que "les vastes réserves de pétrole et de gaz" du pays "ne constituent pas un problème environnemental" mais sont "l'élément vital de la croissance économique."

Une membre du groupe Rise and Resist, opposé à Donald Trump, porte une pancarte contre le "Projet 2025" devant la Trump Tower, à New York (Etats-Unis), le 10 juillet 2024. (ERIK MCGREGOR / SIPA USA / SIPA)

La Heritage Foundation veut aussi réformer le ministère de la Justice, qu'elle accuse d'être dirigé par des "bureaucrates" de "gauche radicale" qui se soucient davantage de "la façon dont ils seront perçus dans le prochain article du Washington Post" que de l'intérêt des Américains. L'organisation prend même ses distances avec le FBI. Ce dernier est décrit comme "arrogant et de plus en plus anarchique". Idem pour les agences fédérales chargées de l'immigration, qui "facilitent l'entrée criminelle de migrants", ou de l'éducation, qui "injectent dans les salles de classe une propagande raciste, anti-américaine et anti-historique", selon les affirmations de la fondation.

Elargir les pouvoirs du président

Pour imposer son idéologie à l’administration, le "Projet 2025" assure que le président pourra utiliser "de nombreux outils exécutifs" pour "menotter la bureaucratie" ou encore "mettre au pas l'Etat administratif". "C'est la porte ouverte à de graves abus, notamment dans le contexte de la dernière décision de la Cour suprême sur l'immunité partielle du président dans l'exercice de ces fonctions", met en garde Ludivine Gilli, directrice de l'Observatoire de l'Amérique du Nord à la Fondation Jean-Jaurès.

Autre mesure prévue dans ce plan : le remplacement des fonctionnaires se montrant déloyaux au nouveau gouvernement par des agents choisis par l'exécutif. Ces derniers sont déjà formés à gouverner dans un groupe conservateur spécialement créé à cet effet : l'Académie de l'administration présidentielle. A en croire Paul Dans, l'un des directeurs du "Projet 2025", ils sont déjà 10 000, regroupés sous le nom de "LinkedIn conservateur", raconte le magazine Society dans son numéro d'avril 2024.

"Aujourd'hui, environ 4 000 personnes sur les deux millions de fonctionnaires fédéraux sont nommées pour des raisons politiques. Leur plan est d'augmenter cette part", décrypte Will Ragland, chargé de recherches au Center for American progress, un think thank indépendant et progressiste. Ce chercheur, impliqué dans la campagne de Barack Obama, a également travaillé au sein du ministère de l'Education sous la présidence du démocrate.

"Famille traditionnelle" et fin de l'IVG

En vertu de son programme ultraconservateur, le "Projet 2025" se montre très interventionniste dans la vie privée des Américains. Estimant qu'un "marxisme culturel" a régi le mandat de Joe Biden, les auteurs défendent un "agenda pour la famille", reposant notamment sur "le mariage, les enfants, les repas de Thanksgiving". Ils affirment que l'union "d'un homme et d'une femme est la structure familiale idéale", exigeant que le futur département de la Santé promeuve une définition de la famille conforme à "la Bible". Sans s'appuyer sur la moindre donnée, ils assurent que "l'absence de père est l'une des principales causes de la pauvreté, de la criminalité, des maladies mentales, du suicide des adolescents, de la toxicomanie, du rejet de l'église et du décrochage scolaire aux Etats-Unis."

D'autres propositions s'attaquent aux droits des minorités, notamment LGBT+. En opposition à ceux qu'ils qualifient de "bureaucrates woke" du Pentagone, qui "obligent leurs troupes" à se former sur le "privilège blanc", ou aux fonctionnaires de la Justice qui chercheraient à satisfaire "les extrémistes transgenres", les auteurs appellent à mettre fin à "l'activisme transgenre" et à ne reconnaître que le sexe biologique sur les documents administratifs. Ils souhaitent aussi supprimer des lois les termes comme "orientation sexuelle et identité de genre, diversité, équité et inclusion". 

Un camion publicitaire concernant le "Projet 2025" et ses intentions d'interdire l'IVG, à Washington (Etats-Unis), le 1er mars 2024. (PAUL MORIGI / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Alors que l'accès à l'IVG est déjà drastiquement limité dans certains Etats, depuis le renversement de l'arrêt "Roe v. Wade", le "Projet 2025" entend désormais interdire l'avortement par voie médicamenteuse et surveiller l'envoi et le transport de médicaments abortifs. Ses auteurs souhaitent aussi arrêter les subventions fédérales au Planning familial.

Des "connexions" indéniables

Pour les démocrates, ce programme ultraconservateur est vite devenu un argument de campagne anti-Donald Trump. Ce dernier ne cesse pourtant de répéter qu'il n'en "sait rien", à tel point qu'il semble "incapable de reconnaître ses alliés les plus proches", ironise le professeur en politiques publiques Donald Moynihan, de l'université de Georgetown. "L'équipe de campagne de Trump cherche à prendre ses distances avec le projet car elle le perçoit comme impopulaire. Mais leurs connexions ne peuvent être niées", poursuit-il auprès de franceinfo. En 2017, le président républicain qualifiait d'ailleurs plusieurs membres de la Heritage Foundation de "gens fantastiques" et "de vrais amis". 

Car le think tank a joué un rôle-clé dans la préparation de l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, en 2016. Durant cette transition, l'un des vice-présidents de la fondation a supervisé des recrutements dans une dizaine d'agences fédérales, rapporte le New York Times Magazine. Le cofondateur et ancien président de l'organisation a, lui, travaillé sur la nouvelle direction du ministère de l'Agriculture ou de l'Agence de protection de l'environnement. L'année suivante, des centaines d'Américains recommandés par le groupe de réflexion ont rejoint des agences gouvernementales, d'après le magazine. 

"Heritage [Foundation] a été particulièrement précieuse pour Trump, car il avait [à l'époque] peu de soutiens supplémentaires. On estime que plus de 60 personnes ont quitté la fondation pour rejoindre son administration."

Donald Moynihan, professeur en politiques publiques à l'université Georgetown

à franceinfo

Après la défaite de Donald Trump en 2020 – un revers qu'il n'a cessé de contester – le laboratoire d'idées s'est mis en ordre de marche pour enclencher son "Projet 2025". Le républicain "ment comme un arracheur de dents quand il dit qu'il n'en a jamais entendu parler", affirme Ludivine Gilli. Au moins 140 anciens membres de son administration ont contribué de près ou de loin au projet, selon un récent décompte de CNN. Le directeur de l'initiative, Paul Dans, était chef de cabinet au bureau de gestion du personnel sous Donald Trump. Autrement dit, l'agence chargée des ressources humaines pour les travailleurs fédéraux.

Paul Dans, le directeur du "Projet 2025" de la Heritage Foundation, s'exprime lors de la Conférence nationale du conservatisme à Washington (Etats-Unis), le 10 juillet 2024. (DOMINIC GWINN/ZUMA PRESS WIRE / SH / SIPA)

Un autre haut responsable du "Projet 2025" a été assistant spécial de l'ancien président et deux des coauteurs, Ben Carson et Christopher Miller, ont été ses ministres du Logement et de la Défense. Russ Vought, un autre contributeur au programme, a dirigé un bureau important de l'exécutif. Au-delà de ces personnalités, "un certain nombre des mesures [du projet 2025] sont totalement alignées sur les propositions poussées par Donald Trump", observe Ludivine Gilli. 

"Cette fois, ils sont préparés" 

S'il était mis en œuvre, ce plan risquerait de "vider de sa substance notre système d'équilibre des pouvoirs", alerte Will Ragland, du Center for American Progress. L'initiative, à ses yeux, est une feuille de route "pour une administration autoritaire". Il faut noter que le président de Heritage, Kevin Roberts, ne tarit pas d'éloges sur un dirigeant connu pour son autoritarisme et ses discours nationalistes : le Premier ministre hongrois, Viktor Orban. "Un leader très impressionnant", a-t-il récemment glissé auprès du New York Times Magazine

"Le projet saperait les compétences de la fonction publique. Les nouveaux pouvoirs présidentiels pourraient être utilisés pour saper nos valeurs démocratiques."

Donald Moynihan, professeur en politiques publiques

à franceinfo

Une telle feuille de route pourrait-elle réellement être mise en œuvre aux Etats-Unis ? Will Ragland en est convaincu, au regard de plusieurs décisions récentes de la Cour suprême. "Si Trump est élu, il y a une bonne chance que de nombreuses mesures soient appliquées", renchérit Ludivine Gilli. "Cette fois, [les ultraconservateurs proches du milliardaire] sont préparés. Leur capacité à mettre en œuvre ces mesures est bien meilleure qu'elle ne l'était en 2016."

Les garde-fous sont aussi plus fragiles aujourd'hui. "La première présidence Trump a été en partie empêchée de l'intérieur", par des républicains plus modérés, rappelle la spécialiste. Désormais, "des barrières sont tombées".   

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