Vidéo Présidentielle américaine : entre traditions familiales, débat sur le droit à l'avortement et situation au Proche-Orient, les jeunes électeurs du Michigan aussi divisés que leurs aînés

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Article rédigé par Sarah Calamand, Thomas Sellin
Radio France
Entre enjeux communautaires, gap générationnel ou entre sexes, le vote des moins de 30 ans cet Etat-clé est loin d'être acquis à l'un des deux candidats.

Ils étaient 50% à se rendre aux urnes en novembre 2020, lors de la dernière élection présidentielle. Un score certes supérieur de 11 points à celui de 2016, mais la participation des moins de 30 ans reste un enjeu du scrutin présidentiel du 5 novembre aux Etats-Unis. Dans le Michigan, Etat pivot où ni Kamala Harris ni Donald Trump n'ont réussi à asseoir une avance dans les sondages, les jeunes aussi sont divisés.

Downtown Detroit : dans le centre-ville du berceau de l'industrie automobile, de nouveaux hôtels, restaurants et immeubles rénovés fleurissent dans un secteur il y a peu délabré : la municipalité a été placée en faillite en 2013, elle relève peu à peu la tête. C'est là que nous rencontrons Derico, 29 ans, bonnet sur la tête. Encore hésitant, il avoue pencher de plus en plus pour le camp républicain. "Le fait que Donald Trump se soit fait tirer dessus et ait survécu, ça lui a valu beaucoup de soutien", estime-t-il. L'ancien président a changé d'image à ses yeux depuis qu'il a été victime d'une attaque en juillet dernier, lors d'un meeting en Pennsylvanie.

Derico, 29 ans, habitant de Detroit, dans le centre-ville le 16 octobre 2024. (SARAH CALAMAND / RADIO FRANCE)

Detroit est la plus grande ville du Michigan et 77% de sa population est afro-américaine. Et Derico n'est pas un cas isolé. Ses hésitations sont celles de beaucoup de jeunes hommes afro-américains, qui sont de plus en plus nombreux à vouloir voter pour Donald Trump alors que, historiquement, le vote de cette communauté va massivement aux démocrates. Kamala Harris peut compter sur 70% des intentions de vote des hommes afro-américains, alors que c'était 80% il y a quatre ans pour Joe Biden, selon une étude du New York Times [article en anglais].

Chandler, elle, a choisi. "Mon vote va à la femme qui défend mes droits, dit cette étudiante infirmière de 25 ans, grande doudoune noire et serre-tête assorti. Trump, lui, essaie essentiellement de supprimer les droits des femmes." Elle est catégorique : Kamala Harris est victime de misogynie. "Beaucoup de gens disent qu'ils vont voter pour Trump. Ils ont l'impression que comme c'est une femme, et surtout une femme noire, elle ne pourra pas diriger le monde." "Comme dans tous les groupes, il y a de la misogynie", analyse Lynwood, 22 ans, à propos de sa communauté. Lui votera démocrate. "Dans la communauté noire, c'est étrange. Si vous avez été élevé par une femme et que vous n'avez connu que des femmes fortes dans votre foyer, pourquoi changer en grandissant et penser que les femmes sont faibles ?", s'interroge Lynwood. "J'ai vu beaucoup de femmes noires mieux réussir leur vie que d'hommes, donc je ne suis pas surprise", assure Alicia, croisée à la sortie d'un café du centre-ville de Détroit. Dans un grand sourire, elle raille les indécis : "Ils se disent qu'elle sera comme leur petite amie, que Kamala sera émotive, de mauvaise humeur..."

Martell Bivings, candidat républicain à la Chambre des représentants dans le 13e district du Michigan, qui comprend Detroit, réfute la misogynie des électeurs afro-américains. "Nous entendons seulement maintenant que les hommes noirs sont attirés par les républicains, mais je le disais déjà en 2016 ! C'est presque insultant, estime-t-il, lui-même afro-américain. Ces personnes qui disent que si un homme noir ne vote pas pour une femme noire, c'est qu'il a un problème avec les femmes... Cela ne peut-il pas être pour des raisons économiques ?"

Martell Bivings, candidat républicain au Congrès pour le 13e district du Michigan, lors d'une conférence à Detroit le 16 octobre 2024. (SARAH CALAMAND / RADIO FRANCE)

Les jeunes électeurs pro-Trump, à l'instar des plus âgés, placent en effet l'économie au premier plan de leurs préoccupations. En visite à Detroit, Kamala Harris, la candidate démocrate, a profité d'une interview à la radio pour présenter une série de mesures pour reconquérir le vote des hommes noirs : des prêts à taux avantageux pour les entrepreneurs noirs ou encore un programme de santé spécifique aux hommes afro-américains, particulièrement touchés entre autres par le diabète, les troubles de la santé mentale et la drépanocytose.

À Ann Arbor, un campus plutôt démocrate

Sur le campus de l'Université du Michigan à Ann Arbor, à quelques kilomètres de Detroit, les étudiants sont en majorité acquis à la cause de Kamala Harris. Le comté de Washtenaw, auquel appartient la ville, est celui où Joe Biden a fait son meilleur score dans tout le Michigan en 2020.

Des panneaux de promotion du centre de vote installé sur le campus de l'Université du Michigan, à Ann Arbor, le 17 octobre 2024. (SARAH CALAMAND / RADIO FRANCE)

Stands étudiants, militants présents un peu partout dans les grandes allées arborées... Si quelques militants anti-avortement tentent de faire entendre leur voix, le cœur de "U Mich" semble battre démocrate. Et dans cette ville dans la ville, tout est fait pour permettre aux étudiants de se renseigner sur l'élection et même de voter par anticipation, puisqu'un bureau de vote a été installé par l'université, en partenariat avec la mairie d'Ann Arbor.

Trumpistes en famille ?

Quelques kilomètres plus loin, dans une zone plus rurale de l'Etat, ce sont les panneaux pour Donald Trump et J. D. Vance qui sont les plus présents au bord des routes et devant les maisons. Dans ces comtés, le vote républicain est devenu majoritaire. En 2016, Trump s'y était imposé, comme à nouveau quatre après. À Hillsdale, la pelouse devant le magasin de Tim Gorton interpelle. Tous les panneaux des candidats républicains sont présents : Donald Trump pour la présidence, bien sûr, mais aussi ceux qui se présentent pour les autres scrutins du 5 novembre, au Sénat et à la Chambre des représentants. Tim Gorton en a aussi confectionné lui-même, sur lesquels on peut lire "Kamala est une traîtresse" ou encore "Harris et Walz appartiennent aux mondialistes".

Des panneaux en faveur des candidats républicains à l'élection du 5 novembre, dans le Michigan, le 17 octobre 2024. (SARAH CALAMAND / RADIO FRANCE)

"Mon grand-père est plutôt buté", avoue en souriant Marissa. À 20 ans, elle travaille comme caissière dans une épicerie de la petite ville d'Hanover. Malgré l'étalage de son grand-père Tim, elle assure ne pas avoir fait son choix pour le 5 novembre et continuer à "se renseigner". Pour autant, quand on lui demande les sujets les plus importants pour elle dans cette campagne, elle n'hésite pas : "Protéger le droit à l'avortement pour les femmes" et "les droits LGBTQIA+""J'ai l'impression que beaucoup de gens par ici votent républicain car c'était comme ça dans leur famille, remarque la jeune fille. Ils ne sont pas forcément fermés d'esprit, ils n'aiment tout simplement pas le changement."

Son grand-père Tim prône une "nouvelle politique en matière d'immigration", et voit en Kamala Harris et Joe Biden "des marxistes" qui comptent revenir sur la liberté d'expression et le port d'armes garantis dans la Constitution américaine.

Marissa, 20 ans, et sa mère Emily, dans le magasin de son grand-père, électeur républicain, le 17 octobre 2024. (SARAH CALAMAND / RADIO FRANCE)

Comment se passent les réunions de famille chez les Gorton ? On évite d'y parler politique. "Je ne l'ai jamais fait", avoue Marissa, qui préfère éviter les disputes. Quant à son grand-père, il glisse qu'il n'a "pas dîné avec [sa] petite-fille depuis longtemps". "Laissez-moi une chance, termine-t-il. Je vais l'éduquer, vous verrez !"

La déception de la communauté musulmane américaine

Retour en ville, à Hamtramck, en banlieue de Detroit. Sur Palestine Avenue, beaucoup d'enseignes de magasins sont en arabe. L'artère principale s'appelle en réalité Holbrook Avenue mais le maire, Amer Ghalib, a tenu à la renommer symboliquement en décembre dernier, en solidarité avec Gaza. Elu sous les couleurs démocrates, il affiche désormais son soutien à Donald Trump. C'est une des particularités de l'Etat du Michigan, Hamtramck est la première ville américaine entièrement dirigée par des hommes musulmans. Autrefois habitée par une large communauté polonaise, elle héberge aujourd'hui de nombreuses familles d'origine yéménite, bangladaise ou encore irakienne.

Une bannière demandant la "fin d'un génocide en Palestine" et un "cessez-le-feu", dans une rue d'Hamtramck, près de Detroit dans le Michigan aux Etats-Unis, le 13 octobre 2024. (SARAH CALAMAND / RADIO FRANCE)

Ici, il y a un sujet de campagne principal : le conflit au Proche-Orient. "Pour cette élection présidentielle, il s'agit de choisir entre deux enfers", résume Wathik, étudiant de 22 ans, à la sortie d'un café du centre-ville. Malgré ses désaccords avec la politique d'immigration voulue par Donald Trump, Wathik ne votera pas démocrate. "J'ai été très déçu de la manière dont Joe Biden a géré la guerre [entre Israël et le Hamas]. On a vu que plus de 24 milliards de dollars ont été envoyés à Israël", pointe le jeune homme, qui considère que les Etats-Unis devraient être davantage tournés vers les problématiques nationales.

Sur le parking, Adi s'apprête à monter dans sa voiture. "Je pense voter pour Donald Trump, assure-t-il. Kamala Harris n'a jamais été présidente. Trump, lui, sait ce qu'il fait." Adi a conscience qu'une fois de retour à la Maison Blanche, l'ancien président ne rompra pas les liens historiques des Etats-Unis avec Israël. Mais il fait plus confiance au "franc-parler" du milliardaire, à sa capacité à "savoir se faire des amis bien placés" qu'à l'actuelle vice-présidente Kamala Harris.

Zahra, 24 ans, devant le Centre islamique d'Amérique, plus grande mosquée d'Amérique du Nord, à Dearborn dans le Michigan, le 13 octobre 2024. (THOMAS SELLIN / RADIO FRANCE)

À quelques kilomètres de là, dans la ville de Dearborn, la plus grande mosquée d'Amérique du Nord s'apprête à fermer ses portes au public. Zahra s'avance sur le parking. Elle habite cette ville de 100 000 habitants, dont plus de la moitié est de confession musulmane.

"Tant que les Etats-Unis financent Israël, je ne voterai jamais."

Zahra, 24 ans

à franceinfo

Zahra, 24 ans, n'a en effet jamais participé à une élection. Née de parents libanais, Zahra se dit particulièrement affectée par le conflit en cours au Proche-Orient, où vit une partie de sa famille. Pour elle aussi, les aides américaines à Israël sont une perte d'argent. Elle prend en exemple les ouragans Milton et Helene, qui ont touché les Etats-Unis successivement en septembre et octobre dernier. "Les aides financières [aux sinistrés] ont été insuffisantes, s'agace-t-elle. Et le même jour, on apprend que le gouvernement envoie près de neuf milliards de dollars à Israël !" L'électorat musulman n'est donc pas acquis pour Kamala Harris, qui a profité là encore d'un meeting dans la ville voisine de Flint pour rencontrer les leaders musulmans de la région. Donald Trump, de son côté, continue d'asséner que lui président, le conflit prendra fin, comme le promettent un peu partout des panneaux "Vote Trump, Vote peace".

Les deux candidats jettent leurs derniers arguments dans la dernière ligne droite de la campagne, dans le Michigan comme dans les autres Swing States. Ils savent que jusqu'au bout, le vote des plus jeunes des électeurs peut se montrer décisif : selon un sondage de CNN (article en anglais) à quelques semaines du scrutin, près de 20% des moins de 35 ans n'avaient toujours pas arrêté leur choix.

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