Présidentielle américaine 2024 : après l'attentat contre Donald Trump, Joe Biden contraint de tempérer son discours tout en restant offensif

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
Le président américain Joe Biden s'exprime lors d'un sommet économique à Las Vegas, au Nevada (Etats-Unis), le 16 juillet 2024. (KENT NISHIMURA / AFP)
Des républicains ont accusé le président des Etats-Unis d'avoir attisé la violence envers son prédécesseur et adversaire, en le présentant comme une menace pour la démocratie.

Offensif, mais pas trop. C'est la posture d'équilibriste que doit désormais tenir Joe Biden dans la course à la Maison Blanche. Son adversaire pour l'élection présidentielle américaine, Donald Trump, a officiellement été investi comme candidat des républicains à la convention nationale du parti, lundi 15 juillet, à Milwaukee dans le Wisconsin (Etats-Unis). Le leader incontestable – et à présent incontesté – des conservateurs prononcera un discours jeudi soir en clôture de l'événement, cinq jours après avoir survécu à une tentative d'assassinat qui lui a laissé pour séquelle un pansement sur l'oreille droite.

Cette attaque contre Donald Trump a sensiblement compliqué la campagne de son adversaire. La stratégie de Joe Biden était jusqu'ici de présenter le milliardaire comme un danger pour la démocratie américaine. Mais, en quelques secondes, le républicain est passé samedi "d'instigateur de la violence politique à victime de celle-ci", résume le New York Times. Dans ces conditions, difficile de garder la même ligne dure.

"Faire baisser la température" de la campagne

D'autant que les républicains ont vite entrepris de faire de cette tentative d'assassinat un argument de campagne. Plusieurs cadres du parti, dont le nouveau colistier du candidat républicain, J.D. Vance, ont accusé Joe Biden et ses soutiens d'avoir une part de responsabilité dans l'attentat. "Ils ont affirmé que le discours des démocrates, qui dépeint Donald Trump comme une menace pour la démocratie, avait contribué à la tentative d'assassinat", souligne Hans Noel, professeur d'affaires publiques à l'université de Georgetown (Etats-Unis).

"Désormais, on reprochera à Joe Biden et aux démocrates d'encourager ce type de violences s'ils font de l'élection un enjeu pour l'avenir de la démocratie. Que cette accusation soit juste ou non, les démocrates vont probablement se montrer plus prudents."

Hans Noel, politologue

à franceinfo

Cela s'est très vite vérifié. Dans les heures qui ont suivi la tentative d'assassinat, l'équipe de Joe Biden a suspendu plusieurs spots télévisés qui critiquaient Donald Trump, rapporte Reuters. Toute communication extérieure a été mise en pause. Et le candidat démocrate a, lui aussi, adouci ses propos. "Nous devons nous unir en tant que nation", a plaidé le chef d'Etat dimanche, lors d'un discours télévisé depuis le Bureau ovale.

Après l'attaque qui a choqué le pays, "le président essaie de faire baisser la température", a expliqué un responsable de sa campagne auprès de Reuters. Le démocrate a été jusqu'à reconnaître, dans une interview à NBC News lundi soir, qu'il avait été commis une "erreur" en appelant à "cibler" Donald Trump dans une conversation téléphonique avec des donateurs, début juillet. "Je voulais dire : 'concentrez-vous sur lui, sur ce qu'il fait, sur ses mesures, le nombre de mensonges qu'il a dit durant le débat'", a justifié Joe Biden.

Joe Biden donne une allocution télévisée au sujet de la tentative d'assassinat visant Donald Trump, le 14 juillet 2024, depuis la Maison Blanche, à Washington. (ERIN SCHAFF / AFP)

Si le mot d'ordre est l'apaisement, les critiques contre le candidat républicain ne se sont pas éteintes pour autant. Elles se sont seulement faites plus subtiles. "Dans sa déclaration depuis le Bureau ovale, Joe Biden a reparlé de l'assaut contre le Capitole", lorsque des partisans de Donald Trump avaient tenté de renverser les résultats de la présidentielle de 2020, observe Ludivine Gilli, historienne et directrice de l'observatoire de l'Amérique du Nord à la Fondation Jean-Jaurès.

Une pause de courte durée

Lundi, le président démocrate a aussi relevé auprès de NBC qu'il n'était "pas celui qui a dit vouloir être un dictateur le premier jour" de son mandat, en référence à une sortie de son adversaire. "Il va continuer à parler de ce qui est en jeu dans cette élection" et "rejeter le projet extrême des républicains", a confirmé la directrice de campagne de Joe Biden, citée par Politico. Selon CBS News, les meetings, SMS de levée de fonds et spots publicitaires des démocrates ont d'ailleurs déjà repris.

La "pause" dans la campagne a donc duré moins d'une semaine. Pour l'instant, il reste difficile de s'en prendre ouvertement à un candidat qui "apparaît en victime", concède Ludivine Gilli. "Mais plus le temps passe, plus il est facile pour les démocrates de rappeler qu'il y a eu des faits, des discours d'appel à la violence dans le camp de Donald Trump."

"Si les démocrates s'attachaient les mains dans le dos en s'empêchant d'en parler, ils perdraient l'élection à coup sûr."

Ludivine Gilli, historienne

à franceinfo

En attendant d'avoir à nouveau les coudées franches, les démocrates ont trouvé une autre cible : le sénateur J.D. Vance, qui vient d'être désigné comme colistier de Donald Trump et candidat à la vice-présidence. Dès l'annonce de son investiture, l'équipe de Joe Biden a déclaré que cet ancien critique du milliardaire, devenu son allié indéfectible, avait été choisi "parce qu'il (...) se mettrait en quatre pour laisser le champ libre à Trump et à son programme extrême".

Donald Trump pose avec J.D. Vance lors de la convention nationale du Parti républicain à Milwaukee, dans le Wisconsin (Etats-Unis), le 16 juillet 2024. (JIM WATSON / AFP)

"Il n'est pas vraiment possible de mettre en pause une campagne qui bat son plein, mais les démocrates peuvent s'abstenir de certaines attaques contre Donald Trump, décrypte Hans Noel. J.D. Vance leur permet de se concentrer sur quelqu'un d'autre, en épargnant [l'ex-président] pour l'instant."

Trump, "vigoureux" rescapé de l'attaque

Les démocrates n'ont, de toute façon, d'autre choix que de continuer de se montrer offensifs, juge Ludivine Gilli. Car Donald Trump est sorti de cette tentative d'assassinat renforcé sur le plan politique. "Les images du républicain la joue ensanglantée, le poing levé, sont très fortes sur le plan symbolique, analyse l'historienne. D'abord parce qu'il s'agit d'un candidat à l'élection présidentielle pris pour cible, ce qui suscite une émotion et une compassion au-delà des clivages politiques". Ensuite, parce que ces photos montrent un Donald Tump "qui se relève et semble extrêmement vigoureux", dans une période où son adversaire – plus âgé de trois ans seulement – est "critiqué pour son aspect frêle" et vieillissant.

Donald Trump est évacué par le Secret service après avoir été visé par une tentative d'assassinat, le 13 juillet 2024, à Butler (Pennsylvanie, Etats-Unis). (REBECCA DROKE / AFP)

"Cette photo colle avec le message de la campagne de Trump, qui le présente comme un leader fort qui défendra l'Amérique", abonde Hans Noel. De l'avis du politologue, "il est trop tôt pour savoir si cela aura un effet majeur" sur les chances du milliardaire de retourner à la Maison Blanche, "mais il semble en tirer profit" pour l'instant.

"Malgré l'émotion qui domine actuellement le pays, les Etats-Unis restent très polarisés, avec deux camps nettement formés : les électeurs démocrates ne vont pas adhérer à la candidature [républicaine] après cet événement", nuance Ludivine Gilli. De même, le soutien de la base républicaine à son champion "est déjà solide". "Dans un pays fracturé, cette tentative d'assassinat va conforter les positions", avance l'historienne, mais peut-être pas bouleverser le cours de la campagne.

L'âge de Biden remisé au second plan

L'attention médiatique portée à Donald Trump a toutefois des avantages pour Joe Biden. Depuis sa prestation catastrophique lors d'un débat en juin, le plus vieux président américain est englué dans une polémique sur son âge et sa capacité à gouverner le pays quatre ans de plus. Un sujet vite délaissé par les médias après la tentative d'assassinat contre son adversaire. "On a presque oublié les incertitudes qui pèsent sur le candidat démocrate, même si les membres du parti continuent d'en discuter en interne", constate Ludivine Gilli.

Les appels au retrait de Joe Biden, lancés par plusieurs cadres démocrates et personnalités publiques, se sont tus pour l'instant. "Il est vraiment compliqué d'avoir cette discussion publiquement. [La tentative d'assassinat] éclipse tout en ce moment", explique un stratège démocrate à NBC News. "Il est probable que la tentative de déloger Biden s'arrête là. Il ne va pas se retirer volontairement. Il a prouvé qu'il allait se battre", croit savoir un allié du président, également interrogé par la chaîne américaine. Car le démocrate montré une image plus assurée lors de son allocution télévisée, dimanche.

"Avec cette rare intervention depuis le Bureau ovale, Joe Biden s'est présenté en tant que chef de l'Etat qui s'adresse au peuple. Il a réagi en président, en se remettant au centre du jeu politique."

Ludivine Gilli, historienne

à franceinfo

La séquence médiatique, désormais axée sur la convention républicaine, offre un peu de répit à Joe Biden. Et ce temps est précieux : le Parti démocrate a prévu d'investir officiellement son candidat lors d'un vote en visioconférence qui pourrait avoir lieu début août, deux semaines avant la convention nationale, relaie la radio NPR. "D'ici là, chaque jour qui passe [où on ne parle pas de son âge] est une journée gagnée pour Joe Biden", insiste Ludivine Gilli.

Mais l'accalmie pourrait être de courte durée. Mercredi, l'élu à la Chambre des représentants Adam Schiff est devenu le démocrate le plus haut placé à demander à Joe Biden de se retirer. Dans une interview à la chaîne BET, la veille, le président sortant avait affirmé qu'il passerait la main "si un problème médical apparaissait". Positif au Covid-19, il va devoir s'isoler quelques jours, a annoncé la Maison Blanche mercredi dans la soirée. Quand il reprendra sa campagne de terrain, ses prises de paroles vont à nouveau être scrutées. "Ces dernières semaines, on a vu des erreurs et des lapsus répétés" de la part de l'octogénaire, rappelle Ludivine Gilli. "Au moindre problème, le sujet de son âge redeviendra prépondérant dans les médias et sur les réseaux sociaux."

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