Récit Michel Barnier "voulait claquer la porte" : comment le Premier ministre est parvenu sur le fil à composer son gouvernement

Article rédigé par Margaux Duguet, Thibaud Le Meneec - avec le service politique de France Télévisions
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Temps de lecture : 10 min
Les principaux négociateurs du gouvernement de Michel Barnier. De gauche à droite, Gabriel Attal, Edouard Philippe, François Bayrou, Michel Barnier, Laurent Wauquiez, Gérard Larcher, Bruno Retailleau. ((AFP / GETTY IMAGES / FRANCEINFO))
Après 16 jours de tractations et de multiples consultations, le gouvernement composite de Michel Barnier a finalement été annoncé samedi soir.

Le défi était de taille pour l'ancien négociateur en chef du Brexit. Nommé Premier ministre le 5 septembre, Michel Barnier devait, pour composer son gouvernement, concilier les appétits décuplés des Républicains, sa famille politique, les exigences des macronistes, qui n'ont pas manqué pas de rappeler leur poids à l'Assemblée nationale, et l'impossible ouverture à gauche. Après 16 jours de négociations et de coups de pression en coulisses, le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, a fini par annoncer, samedi 21 septembre, la liste des 39 ministres de cette coalition entre LR et le camp présidentiel. Un nouveau gouvernement marqué à droite, avec notamment l'entrée du patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, au ministère à l'Intérieur, et un seul ministre issu de la gauche, Didier Migaud, ancien député socialiste, nommé à la Justice.

Cette annonce officielle n'était pourtant pas gagnée. Jeudi 19 septembre, Matignon assure que Michel Barnier entame sa "dernière journée de consultations", la droite fait aussitôt monter la pression. "C'est la dernière chance, sinon, il démissionnera", met en garde un stratège de la droite. "Ce matin, il y a plus de chances qu'il parte qu'il continue, c'est ultra fragile. Nous sommes dans une situation très grave." "C'est Gérard Larcher [le président du Sénat] qui a convaincu Michel Barnier de rester hier ! Il voulait claquer la porte", assure même une source LR.

Emmanuel Macron "se mêle de tout"

Dans la ligne de mire de certains Républicains : Emmanuel Macron. "Le président se mêle de tout, sans en avoir l'air ! Il joue avec le feu. Si Michel démissionne, c'est lui qui sera en première ligne", peste encore un cadre LR. L'Elysée a pourtant promis que l'ancien négociateur du Brexit aurait le champ libre pour constituer son équipe, en répétant à l'envi ce mantra constitutionnel : un président qui préside, un Premier ministre qui gouverne.

Pour tenter de faire s'entendre Républicains et macronistes, Michel Barnier, après les avoir reçus séparément, a l'idée de les convier à une ultime rencontre, à 15 heures, "en vue de la formation rapide d'un gouvernement", fait savoir Matignon. A l'heure du déjeuner, le patron des députés macronistes, Gabriel Attal, envoie un message à ses troupes pour annoncer qu'il se rendra à cette réunion. "Je demanderai au Premier ministre quelles sont les grandes lignes de l'action qu'il entend conduire avec son futur gouvernement, et comment l'architecture de celui-ci permettra d'incarner l'union républicaine dont notre pays a tant besoin", écrit-il. "C'est l'exercice de composition du gouvernement le plus délicat depuis le début de la Ve République", soupire alors un cadre du parti présidentiel. 

"Si ça ne marche pas, on sera tous perdants."

Un cadre du parti présidentiel

à franceinfo

Depuis quelques jours, certains cadres du camp présidentiel dénoncent "un problème de méthode" chez le nouveau Premier ministre. "Nous n'avons aucune info sur ce qu'il prépare sur tous les sujets. Matignon doit préparer sa feuille de route avec les groupes qui pourraient le soutenir", s'inquiète un ministre démissionnaire, après une réunion avortée mercredi entre Michel Barnier et une délégation Renaissance. Les voilà rassurés par l'organisation de cette rencontre. Mais au même moment, les rumeurs repartent de plus belle : l'Elysée annule un déplacement d'Emmanuel Macron prévu vendredi en Bretagne, en raison de "contraintes météorologiques". Il fait pourtant beau ce jour-là, mais le palais présidentiel assure que le plafond nuageux est trop bas pour l'atterrissage de l'avion présidentiel. 

"Ça bloque encore sur deux, trois trucs"

Deux heures plus tard, sous l'œil de dizaines de caméras, les participants à la réunion arrivent dans la cour de Matignon. Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau pour Les Républicains, Marc Fesneau et Maud Gatel pour le MoDem, Franck Riester et Gabriel Attal pour le camp présidentiel, mais aussi Hervé Morin (Les Centristes), Hervé Marseille (UDI), Edouard Philippe (Horizons) et Laurent Hénart (Parti radical). Au programme : les orientations politiques de Michel Barnier et surtout une liste de noms pour son équipe gouvernementale. Le Premier ministre s'est déjà fait retoquer une première mouture par Emmanuel Macron, jugée trop à droite. 

"Rien n'est verrouillé encore. Ça le sera si le président valide la liste à l'issue de la réunion."

Un cadre LR

à France Télévisions

A 16h45, la rencontre se termine, sans un mot aux journalistes sur place. "On a beaucoup avancé mais ça bloque encore sur deux, trois trucs", pianote sur son téléphone un participant qui révèle au passage la répartition des postes envisagée : "38 ministres avec parité, 16 ministres de plein exercice dont sept pour Ensemble pour la République, trois LR, deux MoDem, un Horizons, un UDI, un divers gauche et un divers droite." 

Laurent Wauquiez dévoile le casting LR

Il est l'heure pour chacun de rendre des comptes à ses troupes. Lors d'une réunion de groupe vers 17 heures, Gabriel Attal rapporte les clarifications qu'il a obtenues sur plusieurs points, notamment sur la question du budget. "Pas de hausse d'impôts sur les classes moyennes et les Français qui travaillent, ce qui est vital pour nous", rassure l'ancien locataire de Matignon. A 19 heures, c'est au tour de Laurent Wauquiez de réunir les députés LR.

"Nous aurons neuf postes, trois de plein exercice. C'est un poids d'environ 20%, largement en dessous de notre poids au Parlement, mais notre position est claire : on va faire en sorte que ça marche."

Laurent Wauquiez

en réunion de groupe

Le président du groupe LR, qui compte 47 députés, annonce qu'il ne rentrera pas au gouvernement, ayant décliné Bercy car il n'avait d'yeux que pour l'Intérieur, et lâche la liste de tous les élus LR retenus par Michel Barnier : Bruno Retailleau hériterait du portefeuille de Beauvau, le député Patrick Hetzel de l'Enseignement supérieur, la députée Annie Genevard de l'Agriculture, le sénateur François-Noël Buffet de l'Outre-mer. Pour la Famille, c'est le nom de Laurence Garnier, sénatrice aux positions conservatrices sur le mariage pour tous et l'inscription de l'IVG dans la Constitution, qui semble acté.

Du côté des ministres démissionnaires, Sébastien Lecornu est reconduit aux Armées, tout comme Rachida Dati à la Culture, tandis que Catherine Vautrin bascule pour un poste aux Territoires. Pour le contingent du MoDem, Jean-Noël Barrot au ministère des Affaires étrangères et Geneviève Darrieussecq à la Santé.

"On prend la nuit pour réfléchir"

Dans le camp présidentiel, les macronistes tendance aile gauche font grise mine. "Honnêtement ? Je suis dans un état de dégoût que je ne pensais pas vivre, livre un député Renaissance. C'est un entre-soi de droite et surtout Retailleau à l'Intérieur, une 'manif pour tous' à 'la Famille' sans 'S' à la fin, c'est une insulte à tout ce que nous avons fait depuis 2017." "La jambe gauche de l'ex-majorité va très très mal", soupire une macroniste. La possible nomination de Laurence Garnier met le feu aux poudres sur Twitter, la gauche fustigeant cette option, tandis que des cadres du parti présidentiel tirent déjà des enseignements de ce futur gouvernement. 

"Ce soir, c'est la victoire idéologique de la droite Fillon, la droite Trocadéro de 2012 à 2017."

Un cadre du camp présidentiel

à franceinfo

Au MoDem aussi, certains parlementaires sont plus que circonspects. "Notre sujet, c'est pas les places pour nous, c'est le respect des équilibres. Y sommes-nous ?, s'interroge un député. J'avoue que personnellement je suis extrêmement dubitatif ! On prend la nuit pour réfléchir. Mais franchement on est très loin du compte." 

A 19 heures, Michel Barnier et Emmanuel Macron ont de nouveau rendez-vous à l'Elysée. Le dénouement approche-t-il ? Deux heures plus tard, l'entourage du premier vante "un échange constructif" au cours duquel le Premier ministre a présenté "l'architecture et la composition de son gouvernement qui respecte les équilibres", précisant qu'"il sera présenté avant dimanche". Ce ne sera donc pas pour ce jeudi soir. Au cours de cet entretien, le président de la République demande que soit retiré de la liste proposée le nom de Laurence Garnier, révèle un proche du chef de l'Etat. Suffisant pour calmer une partie des troupes macronistes ?

"Ils veulent des postes de plus"

Vendredi matin, un timide soleil se lève sur la capitale et c'est le MoDem qui va donner le "la". Une réunion du groupe de Marc Fesneau, en présence de François Bayrou, est convoquée en visio pour 11h30. "Rien n'est encore topé. Il reste des ambiguïtés sur la ligne politique à lever", confie un parlementaire. "80% des députés sont contre rentrer au gouvernement", glisse une source du parti centriste. Alors que les débats s'animent au MoDem, Matignon fait savoir que le gouvernement ne sera pas nommé vendredi, "les derniers ajustements" étant en cours. Les députés MoDem se réunissent de nouveau en début d'après-midi, sous l'œil agacé de certains macronistes. "Ils veulent des postes de plus, ils font leur drama. Ils disent qu'ils sont autant que les LR et ont moins de postes qu'eux", fustige une source chez Renaissance. 

Pendant ce temps-là, en déplacement à Chartres (Eure-et-Loir), Emmanuel Macron appelle "tout le monde" à "aider" Michel Barnier à "former son gouvernement" et "réussir parce que c'est l'intérêt collectif". La situation se débloque en fin de journée et, peu avant 20 heures, l'entourage de Michel Barnier fait savoir que "l'architecture et la composition finalisées" du gouvernement ont été envoyées à l'Elysée. Qu'en est-il du MoDem ? "Il n'y a pas de décision actée" sur la participation ou non du parti centriste au gouvernement, fait valoir à l'AFP le groupe dans la soirée. "Nous voulons voir si la tendance droitière persiste toujours autant ou s'il y a eu un rééquilibrage", explique à l'agence de presse Perrine Goulet, élue MoDem dans la Nièvre. Sur la forme et le fond, cette liste crée aussi des remous du côté d'Horizons, le parti d'Edouard Philippe.

"Il n'y a pas qu'au Modem que ça grince, chez nous aussi. Nous n'avons pas été considérés pour le nombre de postes."

Un responsable d'Horizons

à franceinfo

Samedi matin, l'heure est aux vérifications déontologiques : "Nous sommes en attente de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)", assure Matignon à franceinfo. "Les Journées européennes du patrimoine contraignent pas mal les choses. On cherche des solutions", tempère un conseiller de l'Elysée. Dans les dernières heures avant l'annonce d'un gouvernement, certains noms peuvent être retoqués par la HATVP et être remplacés par d'autres. "L'un et l'autre sont liés", assure un autre conseiller du pouvoir. 

Renaissance et Les Républicains, les principales forces du gouvernement

L'épilogue de ce long feuilleton intervient finalement en fin d'après-midi. Matignon demande aux potentiels ministres d'être à Paris dimanche matin. "Tenez-vous prêt dès la mi-journée", ont intimé les services du Premier ministre, car certaines passations de pouvoir pourraient avoir lieu dès dimanche soir ou lundi matin. Au même moment, Michel Barnier commence à appeler ses futurs ministres. Il demande à ses nouveaux ministres de recruter leur directeur de cabinet, alors qu'une première réunion informelle du nouveau gouvernement doit être organisée, dimanche soir, à Matignon. Un premier Conseil des ministres doit avoir lieu lundi après-midi.

L'annonce officielle du gouvernement tombe peu avant 20 heures, par l'intermédiaire du secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, sur le perron de l'Elysée. Bruno Retailleau à l'Intérieur, Annie Genevard à l'Agriculture, Patrick Hetzel à l'Enseignement supérieur... Au total, dix membres des Républicains sont nommés au gouvernement, contre 12 Renaissance, trois MoDem, deux Horizons, deux UDI et deux Liot, pour former un gouvernement hétéroclite du centre à la droite conservatrice.  Laurence Garnier intègre le gouvernement mais hérite finalement du portefeuille de la Consommation, comme secrétaire d'Etat. D'autres profils de droite irritent aussi certains membres du camp présidentiel, comme celui d'Othman Nasrou, proche de Valérie Pécresse et nouveau secrétaire d'Etat à la Citoyenneté, à Beauvau. "Bruno Retailleau au ministère de l'Intérieur avec Othman Nasrou, c'est le cocktail Molotov", ironise une macroniste, au premier soir d'une cohabitation gouvernementale concrétisée au forceps.

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