Recherche d'un nouveau gouvernement : quels sont les scénarios possibles après le refus d'Emmanuel Macron de nommer un Premier ministre du NFP ?
Toujours en quête d'un Premier ministre, Emmanuel Macron a ouvert mardi 27 août un "nouveau cycle de consultations", sans la gauche et sans le Rassemblement national, mais avec le renfort de "personnalités" censées l'aider à sortir de l'impasse. La veille, le chef de l'Etat a balayé l'option Lucie Castets, refusant de nommer un gouvernement issu du Nouveau Front populaire (NFP) au nom de la "stabilité institutionnelle". Dans un communiqué, le locataire de l'Elysée affirme en effet qu'un exécutif dirigé par la haute fonctionnaire de 37 ans serait "immédiatement censuré" à l'Assemblée nationale.
Alors que débute un deuxième round de tractations, franceinfo fait le point sur les différents scénarios possibles, quarante-deux jours après qu'Emmanuel Macron a accepté la démission de Gabriel Attal, record absolu depuis l'après-guerre.
1 Une coalition sans LFI et le RN ?
Durant la première salve de consultations, "le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, les partis Ensemble pour la République, MoDem, Horizons, les radicaux et UDI ont dessiné des voies de coalition et de travail commun possibles entre différentes sensibilités politiques", est-il écrit dans le communiqué de l'Elysée publié hier soir. Il est précisé que "le Parti socialiste, les écologistes et les communistes n'ont à ce stade pas proposé de chemins pour coopérer avec les autres forces politiques" et qu'"il leur appartient désormais de le faire". A travers ces lignes, Emmanuel Macron semble vouloir s'acheminer vers une grande coalition, rassemblant la droite et la gauche modérée. Exit donc le Rassemblement national (RN) et La France insoumise (LFI).
Mais les différentes formations politiques composant le NFP ne semblent absolument pas disposées à entrer dans un gouvernement ne retenant pas Lucie Castets comme Première ministre. Toutes ont fait d'ailleurs part de leur refus de poursuivre les discussions à l'Elysée. "On ne va pas continuer ce cirque", s'est emportée Marine Tondelier, la secrétaire nationale des Ecologistes, sur franceinfo. Même son de cloche du côté d'Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, qui ne laisse aucune porte ouverte sur l'éventualité d'intégrer un gouvernement droite/gauche, refusant que les socialistes soient "les supplétifs d'une macronie finissante", même si certains d'entre eux réclament toutefois la reprise des discussions avec le chef de l'Etat.
Par ailleurs, une telle coalition aurait pour effet de placer le RN et LFI comme les seuls partis d'opposition susceptibles d'incarner une alternance lors des prochains rendez-vous électoraux.
2 Un accord entre LR et Ensemble ?
Autre option possible pour Emmanuel Macron : nouer une alliance avec Les Républicains. Véritable serpent de mer, cette possibilité ne cesse de revenir sur le devant de la scène politique depuis les législatives de 2022, alors que la coalition présidentielle avait échoué à obtenir une majorité absolue à l'Assemblée. En additionnant les 47 députés LR et les 166 du camp présidentiel, cette alliance obtiendrait 213 sièges. Davantage que les 193 sièges du NFP, mais pas assez pour atteindre la majorité absolue de 289 députés.
C'est pour cette solution qu'avait plaidé Edouard Philippe, président du parti Horizons, au début de l'été, juste après le second tour des législatives, se disant favorable à "un accord technique" avec le parti de droite, dont il est issu, ce qui permettrait "d'avancer et de gérer les affaires du pays pendant au moins un an". Une possibilité qui séduit également au sein de l'aile droite du groupe Renaissance. "La question est simple : est-ce qu'on arrive à s'accorder sur l'essentiel avec les députés LR ou est-ce que le NFP reste la première force à l'Assemblée, avec toutes les conséquences que cela aurait ?" s'interrogeait Maud Bregeon, députée Ensemble des Hauts-de-Seine, dès le 9 juillet. Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin est même allé plus loin, assurant sur Europe 1 que ça ne le "gênerait en rien" d'avoir "un Premier ministre de droite".
L'aile gauche du camp présidentiel semble toutefois moins convaincue. Surtout, il reste à obtenir l'assentiment des Républicains. Le nouveau président du groupe LR à l'Assemblée, Laurent Wauquiez, souhaite manifestement apparaître comme le leader d'une formation politique constructive. Il s'appuie pour cela sur son "pacte législatif", visant à faire passer des propositions de loi à l'Assemblée et ainsi "empêcher le blocage du pays". Pour autant, il rejette toute coalition avec les macronistes. "Nous sommes indépendants et nous le resterons", a-t-il martelé en juillet. Tout comme Bruno Retailleau, président des Républicains au Sénat, qui a estimé qu'une "grande coalition" conduirait à un "grand 'en même temps'".
Peuvent-ils finalement se laisser convaincre face à cette situation de blocage qui s'éternise ? Les ténors de la droite doivent être une nouvelle fois reçus le 28 juillet à l'Elysée.
3 Un gouvernement de techniciens ?
Une équipe gouvernementale moins politique permettrait-elle de contrer l'impossibilité de réunir les partis ? Il faudrait pour cela s'orienter vers un gouvernement composé d'experts et dirigé par une personnalité consensuelle, comme un grand patron ou un haut fonctionnaire, qui chapeauterait des ministres choisis sur leurs compétences. "C'est une solution de repli quand vous ne pouvez pas prendre le pouvoir", décrypte Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'université Panthéon-Assas, dans Le Figaro. Dans son histoire récente, la France n'a pas expérimenté de gouvernement purement technique. "Le premier gouvernement de la Ve République de Michel Debré (1959-1962) était cependant conçu comme un gouvernement de techniciens, avec Maurice Couve de Murville aux Affaires étrangères ou Pierre Messmer aux Armées", relate l'historien Jean Garrigues.
Nos voisins italiens ont expérimenté le gouvernement technique à plusieurs reprises : le pays en a connu quatre depuis la Seconde Guerre mondiale, le dernier en date étant celui de l'économiste Mario Draghi, mis en place de février 2021 à octobre 2022, après plusieurs semaines de crise politique et économique liée au Covid-19. Loin d'être cantonnés à gérer les affaires courantes, les gouvernements italiens composés d'experts, "bien perçus au départ par la population", sont "politiques" et "font adopter les réformes les plus importantes ces dernières années", estime toutefois Nicoletta Perlo, maître de conférence en droit public à l'université Toulouse Capitole, que franceinfo avait interrogée il y a quelques semaines sur le sujet.
En France, un tel gouvernement marcherait sans doute aussi sur un fil : censé être politiquement neutre, il devrait notamment faire voter le budget annuel, étape périlleuse qui nécessite forcément de se positionner sur le socle idéologique.
4 Un départ d'Emmanuel Macron ?
Après le refus du chef de l'Etat de nommer Lucie Castets à Matignon, les insoumis ont à nouveau brandi leur menace d'engager une procédure de destitution contre le chef de l'Etat, déjà agitée mi-août par le parti de Jean-Luc Mélenchon, dans un texte publié dans La Tribune Dimanche. Estimant qu'Emmanuel Macron "ne reconnaît pas le résultat du suffrage universel qui a placé le Nouveau Front Populaire en tête des suffrages", Manuel Bompard, le coordinateur de La France insoumise, a annoncé lundi soir sur le réseau social X qu'une "motion de destitution sera présentée par les députés insoumis au bureau de l'Assemblée nationale conformément à l'article 68 de la Constitution".
Pour aboutir, il faudrait que cette procédure obtienne la majorité des deux tiers à l'Assemblée nationale et au Sénat, ce qui semble hautement improbable. Et quand bien même ces conditions seraient remplies, le président serait ensuite renvoyé devant la Haute Cour, composée de l'ensemble des députés et des sénateurs. Celle-ci devrait se prononcer, à nouveau, à la majorité des deux tiers.
Face au blocage actuel, certains ont pu s'interroger sur l'éventualité d'une démission d'Emmanuel Macron. Même si le président se résignait à quitter l'Elysée – ce qu'il n'a jamais évoqué –, le blocage institutionnel persisterait, puisque l'Assemblée ne pourrait de toute façon pas être dissoute avant le 8 juillet 2025. L'article 12 de la Constitution dispose en effet qu'il "ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit [les] élections". Une règle qui s'applique "même si un nouveau président est élu", affirme Bastien François, professeur de science politique à l'université Panthéon-Sorbonne, interrogé par Libération.
5 Un statu quo qui pourrait durer ?
Sept semaines après les législatives qui ont plongé le pays dans l'impasse politique, les consultations menées par Emmanuel Macron pour former un gouvernement se poursuivent. Pour François Bayrou, le président du MoDem, le chef de l'Etat a commis "une faute de méthode" en négociant un gouvernement "avec les partis politiques", ce qui a pour effet selon lui de renforcer "la mainmise des partis", empêchant de dégager un consensus.
Les discussions sont entrées dans un "nouveau cycle de consultations" mardi, mais aucune issue ne semble se dégager. En attendant de trouver une issue à ce casse-tête politique, Gabriel Attal, Premier ministre démissionnaire, reste de fait en place pour gérer les affaires courantes et doit notamment préparer le budget 2025, qui prend énormément de retard. Le chef de l'Etat a dit mardi aux élus du groupe centriste de Liot avoir "bien conscience de l'urgence de la situation", a appris France Télévisions auprès de participants.
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