Sécurité des JO 2024, squats et loyers impayés, régulation des influenceurs... Ces textes votés dans l'ombre au Parlement pendant la bataille sur les retraites
Ils sont en grande partie passés sous les radars politiques et médiatiques, rivés sur la réforme des retraites. Depuis plus de trois mois, plusieurs textes législatifs ont peiné à exister dans l'espace public. Pourtant, des mesures controversées, comme celles contenues dans le projet de loi olympique pour encadrer les JO 2024 à Paris, ont entre-temps été définitivement adoptées, dans l'ombre de "la mère des réformes".
Alors que le Conseil constitutionnel a refermé le parcours institutionnel de la réforme des retraites en validant l'essentiel du texte, vendredi 14 avril, franceinfo revient sur l'adoption de cinq textes examinés par les députés et les sénateurs, parallèlement à la bataille des retraites.
L'inscription du droit à l'IVG dans la Constitution approuvée par le Parlement
Le Sénat a ouvert la voie, le 1er février, à l'inscription du droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution. La chambre haute, dominée politiquement par la droite, s'est prononcée favorablement sur cette proposition issue des rangs de La France insoumise (LFI) et adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale le 24 novembre. Le Sénat a toutefois modifié certains termes du texte. La notion de "liberté de la femme" à recourir à l'IVG a ainsi été substituée à celle de "droit à l'IVG", initialement votée par les députés.
Une proposition de loi constitutionnelle devant être votée dans les mêmes termes par les deux chambres, le texte a été renvoyée à l'Assemblée, où il doit être examiné en deuxième lecture.
Reste que, depuis, Emmanuel Macron a annoncé, le 9 mars lors de l'hommage national rendu à Gisèle Halimi, qu'un projet de loi constitutionnel, qui inclura la "liberté" de recourir à l'VG, sera "préparé dans les prochains mois". Ce qui permettrait à l'exécutif de ne pas avoir à passer par un référendum sur ce sujet.
Une loi visant à accélérer la production d'énergies renouvelables promulguée
En tout début d'année, un autre projet de loi a vu la réforme des retraites lui faire de l'ombre et donné au gouvernement une double dose de sueurs froides. Et pour cause : le 10 janvier, la Première ministre donne pour la première fois les détails du texte et annonce le report de l'âge légal à 64 ans. Le gouvernement sait que les différentes forces politiques du Parlement n'y sont pas favorables, à l'exception du parti Les Républicains (LR), avec qui il va tenter de former une alliance.
Ce jour là, l'Assemblée nationale examine également le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Et ce sont ces mêmes députés LR qui, en votant contre le projet avec le Rassemblement national (RN), ont failli faire capoter les plans du gouvernement. Le texte, qui vise notamment à favoriser le développement de l'éolien et du solaire sur le territoire, est finalement adopté grâce au soutien des députés socialistes, les écologistes s'étant abstenus.
"Nous ne voulions pas voter contre le texte, mais il n'était pas assez ambitieux à nos yeux pour rattraper les retards de la France en matière d'énergies renouvelables", résume aujourd'hui Charles Fournier, député EELV. La date de la discussion n'a pas joué dans le positionnement du parti, affirme-t-il. "Nous aurions pu soutenir le gouvernement sur ce texte s'il nous avait convenu, tout en combattant sans ambiguïté la réforme des retraites". La loi énergies renouvelables a été officiellement promulguée le 10 mars, à la veille de la septième journée de mobilisation contre la réforme des retraites.
La proposition de loi pour réguler le secteur des influenceurs adoptée à l'unanimité à l'Assemblée
Le 30 mars, le député socialiste Arthur Delaporte et son collègue de Renaissance Stéphane Vojetta ont vu leur proposition de loi transpartisane pour encadrer les activités des influenceurs sur internet et lutter contre certaines dérives sur les réseaux sociaux être adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale en première lecture, après "des débats denses, mais apaisés", décrit l'élu PS. Le texte est à présent au Sénat, qui doit l'examiner à son tour.
"C'était un peu un contre-exemple aux débats qui ont eu lieu durant la réforme des retraites. L'Assemblée était libre et respectée, le gouvernement n'a pas fait obstacle à la volonté parlementaire et les oppositions ont pu discuter sereinement."
Arthur Delaporte, député PSà franceinfo
Les députés se sont mis d'accord sur une batterie de mesures visant à encadrer le secteur de l'influence en ligne, qui n'est soumis à aucune régulation. Le texte interdit la promotion de certains produits, de la chirurgie esthétique ou les "placements ou investissements financiers (...) entraînant des risques de perte pour le consommateur". Il tente également de mieux définir le statut d'influenceur ou d'agent d'influenceur. La proposition de loi a même eu droit à son quart d'heure d'actualité avec la parution, le 25 mars dans Le Journal du Dimanche, d'une tribune controversée signée par une centaine d'influenceurs demandant au législateur de ne "pas casser" leur modèle économique.
La proposition de loi contre les squats approuvée en deuxième lecture par l'Assemblée
Ce texte a provoqué l'ire de la gauche et scellé une alliance entre la majorité présidentielle au Palais-Bourbon (avec le soutien du RN) et la droite sénatoriale. L'Assemblée nationale a adopté, le 4 avril en deuxième lecture, la proposition de loi du député Renaissance Guillaume Kasbarian contre le logement illicite, baptisée loi "antisquat". Unanimement décriée par les associations de lutte contre le mal-logement, le texte prévoit notamment de tripler les sanctions encourues par les squatteurs (jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende). Ces peines s'étendent "aux squats de bâtiments désaffectés ou inoccupés, qui n'étaient jusqu'ici pas considérés comme des délits", déplore Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé-Pierre.
La proposition de loi accélère par ailleurs les procédures en cas de loyers impayés. Une "clause de résiliation de plein droit" figurant dans les contrats de bail pourra être enclenchée par le propriétaire sans avoir à engager une action en justice. Les locataires en impayés restés dans un logement "à l'issue d'un jugement d'expulsion devenu définitif" risqueront également "7 500 euros d'amende", précise le site vie-publique.fr. L'Assemblée nationale s'était déjà prononcée en faveur du texte le 2 décembre, suivie par le Sénat le 2 février. Ce dernier doit à présent l'examiner en deuxième lecture.
"Ce texte va mettre encore plus de gens à la rue, et avec une amende en prime !"
Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé-Pierreà franceinfo
Ce texte suscite par ailleurs les inquiétudes de l'ONU. Les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur le logement convenable, l’extrême pauvreté et les droits de l’homme ont publié un communiqué le 4 avril dans lequel ils alertent sur les conséquences de ce texte et le risque accru de "criminalisation de certaines personnes en situation de précarité".
Le projet de loi JO 2024 définitivement adopté par le Parlement
C'est peut-être le texte qui a le plus pâti de sa sous-exposition médiatique ces dernières semaines, du moins pour ses détracteurs. Définitivement adopté par le Parlement, mercredi 12 avril, le projet de loi olympique instaure un dispositif de sécurité musclé, censé permettre la protection des millions des participants aux Jeux olympiques de Paris à l'été 2024.
Certaines mesures suscitent les inquiétudes de la gauche et de plusieurs associations, notamment l'article 7 du texte, qui prévoit l'utilisation de la vidéosurveillance algorithmique (soit l'analyse, par des algorithmes, d'images de vidéosurveillance dans le but de détecter des mouvements suspects). Le texte prévoit également de durcir les contrôles antidopage et la mise en place de scanners corporels à l'entrée des stades.
"Mon sentiment, c'est que c'est une loi qui ne traite pas vraiment de sport, mais presque que des enjeux liés à la sécurité", déplore Emmanuelle Bonnet Oulaldj, administratrice du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), qui redoute que les dispositifs de surveillance envisagés soient pérennisés "au-delà des JO". "C'est un sujet de société majeur, auquel davantage de débats auraient dû être consacrés", estime-t-elle.
Mobilisée contre le projet de loi depuis plusieurs mois, l'association La Quadrature du net, qui alerte notamment sur le déploiement de la vidéosurveillance algorithmique, a parfois eu l'impression de crier dans le désert. "Nous avons surtout réussi à attirer l'attention sur le sujet avant le dépôt de la réforme des retraites", résume Noémie Levain, juriste et membre de l'association. Un exercice qui s'est corsé par la suite.
"L'examen en séance publique à l'Assemblée nationale a débuté le 20 mars, le même jour que l'examen des motions de censure contre le gouvernement. Il n'y avait presque personne en séance..."
Noémie Levain, juriste à La Quadrature du netà franceinfo
L'article sur la vidéosurveillance algorithmique, a, lui, "été discuté le 23 mars, lors de la grande manifestation qui a suivi l'enclenchement du 49.3 par le gouvernement", poursuit la juriste. Là encore, les bancs de l'hémicycle étaient plutôt vides, décrit-elle, déplorant que le gouvernement ait enclenché une procédure accélérée sur ce texte. La Quadrature du net ne perd pas espoir de remobiliser une fois que commenceront les premières expérimentations de la vidéosurveillance algorithmique, probablement cet été. "La bataille ne fait que commencer", assure Noémie Levain.
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