Quelles mesures pourraient permettre des "compromis législatifs" entre Renaissance, la gauche et la droite ?

Dans une lettre aux élus, Gabriel Attal et Stéphane Séjourné proposent un "pacte d'action pour les Français", avec six priorités. Toutefois, peu de ces thèmes semblent capables de faire l'objet d'un large consensus.
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
Gabriel Attal, Premier ministre démissionnaire, sur le perron du palais de l'Elysée, à Paris, le 12 août 2024. (ANDRE PAIN / EPA / MAXPPP)

Si les Jeux ont occupé les esprits durant deux semaines et demie, la bataille politique a repris ses droits sitôt le drapeau olympique transmis à Los Angeles. Alors que cinq semaines après les législatives, la France n'a toujours pas de nouveau gouvernement, les initiatives se multiplient, en attendant la décision d'Emmanuel Macron. La haute fonctionnaire Lucie Castets a, lundi 12 août, exposé aux parlementaires ses priorités si elle était nommée Première ministre, comme le demande le Nouveau Front populaire (NFP). Dans le même temps, Gabriel Attal et Stéphane Séjourné ont aussi pris la plume pour écrire aux élus.

Dans cette lettre, le président du groupe Ensemble pour la République à l'Assemblée et le patron du parti Renaissance mettent en avant un "pacte d'action pour les Français", permettant de "bâtir des compromis législatifs", avec six priorités : le rétablissement des comptes publics, la défense de la laïcité et des institutions, le pouvoir d'achat et logement, l'environnement, la sécurité et les services publics. Les deux figures du camp présidentiel s'adressent à tous les partis, à l'exception du Rassemblement national (RN) et de La France insoumise (LFI), bien que le mouvement de Jean-Luc Mélenchon partage avec ses partenaires de gauche le programme du NFP. Franceinfo s'est replongé dans les propositions de la gauche, du centre et de la droite pour les comparer et voir si des consensus pouvaient émerger autour de ces priorités.

Sur la "défense de la laïcité", un compromis introuvable

La question de la laïcité est un sujet hautement inflammable pour la classe politique. A l'intérieur même du NFP, les partis ont des vues divergentes sur le sujet. Dans leur programme pour les législatives, le parti macroniste et ses alliés déclaraient vouloir réaffirmer la laïcité "à l'école de la République contre les coups de boutoir des islamistes et des extrémistes". Rappelant l'interdiction du porte l'abaya décidée en septembre 2023 (dénoncée par une partie de la gauche), ils promettaient de se battre "pour la laïcité dans tous nos services publics". Une ambition partagée par les députés de la Droite républicaine (nom du groupe des LR non ciottistes à l'Assemblée) dans leur proposition de "pacte législatif d'urgence" publié en juillet.

Dans leur programme législatif, Les Républicains allaient même plus loin, appelant à modifier la Constitution pour y introduire une règle selon laquelle "personne ne peut se prévaloir de sa religion ou de son origine pour ne pas respecter les lois de la République". Le NFP, aux antipodes des propositions de la droite, proposait dans son programme d'"engager un vaste plan de formation des fonctionnaires à la laïcité, aux principes juridiques de la loi de 1905"

Sur "le renouveau des institutions", un potentiel accord sur la proportionnelle

Sur la question des institutions, les visions pourraient se rejoindre sur le mode de scrutin. Le NFP, suivant l'une proposition défendue de longue date par LFI, veut passer à la VIe République en convoquant "une assemblée constituante citoyenne élue". Dans sa lettre détaillant ses priorités et envoyée aux députés lundi, Lucie Castets défend un "regain de place donnée au travail parlementaire".

Le camp macroniste ne proposait aucune réforme institutionnelle dans son programme, mais plusieurs de ses députés ont appelé à l'instauration de la proportionnelle pour les législatives, promise par Emmanuel Macron dès 2017. Une promesse faite également par le NFP. Reste à s'accorder sur les modalités. Concernant la loi sur le non-cumul des mandats que la droite souhaiterait abroger, les positions semblent irréconciliables, la gauche y étant opposé.

Sur la "maîtrise des comptes publics", LR et le camp présidentiel sur la même longueur d'onde

En matière de comptes publics, deux grands blocs s'affrontent, avec d'un côté le camp présidentiel et LR, et de l'autre le NFP. De manière générale, les premiers veulent faire des économies et s'opposent à des hausses d'impôts pour rétablir les comptes publics, alors qu'une procédure pour déficit excessif a été ouverte par l'UE en juillet. "Nous respecterons une règle d'or anti-hausse d'impôt pour les Français afin de les protéger du matraquage fiscal", défendait Ensemble dans son programme. Des nuances existent, mais les LR ne sont pas en désaccord avec cette vision : les cadres de droite ont affirmé, lors de la présentation de leur "pacte législatif" qu'ils voulaient "contribuer immédiatement à un plan d'économies de 25 milliards".

En face, le NFP présente une autre trajectoire, difficilement conciliable en l'état avec le bloc Ensemble-LR. En contrepartie de l'augmentation du smic à 1 600 euros, de l'abrogation de la réforme des retraites ou de la hausse de 10% du point d'indice des fonctionnaires, le NFP souhaite le retour de nouveau l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), avec une composante climatique à hauteur de 15 milliards d'euros. Lucie Castets a cependant précisé, dans son courrier, que ces mesures restaient "des horizons", laissant entendre que des aménagements sont possibles.

Sur la "qualité de vie des Français", "le pouvoir d'achat" et le logement, des consensus possibles

Sur ce thème, des convergences existent sur des objectifs partagés plus que sur des mesures concrètes. Sur le pouvoir d'achat, par exemple, le principe d'une grande conférence sur les salaires peut les réunir. Avant les législatives, les trois partis promettaient tous les trois d'augmenter les salaires : le NFP veut passer le smic à 1 600 euros et Ensemble souhaite "libérer les augmentations de salaires entre le smic et 2 000 euros" via une réforme des cotisations sociales. De son côté, la Droite républicaine dit vouloir "augmenter le salaire net par la baisse des charges".

En matière de logement, c'est le soutien aux primo-accédants qui peut faire consensus, au moins dans sa visée. Dans ses modalités, c'est déjà un peu plus compliqué : le NFP défend "l'ouverture du prêt à taux zéro à tous les ménages primo-accédants sans distinction géographique ou entre neuf ou ancien", le bloc présidentiel souhaite permettre "à 1 million de jeunes de classes moyennes et populaires d'accéder à la propriété en les exonérant de droits de mutation à titre onéreux ('frais de notaires') pour l'achat d'un logement jusqu'à 250 000 euros", tandis que Les Républicains promettaient en mars d'"instaurer un crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunt pour l'achat de la résidence principale"

Sur l'"environnement", la question du nucléaire rassemble... mais divise la gauche

Les questions environnementales pourraient faire l'objet d'un large consensus entre la gauche et l'ex-majorité présidentielle. Certains, comme la patronne d'Oxfam Cécile Duflot, mercredi, dans Le Monde, à demandent ainsi la mise en place d'une "coalition climat". Le NFP veut "faire voter une loi énergie-climat" pour viser la neutralité carbone en 2050 prévue par la loi européenne, en développant notamment les énergies renouvelables et en accélérant les rénovations thermiques. Une ambition partagée par l'ex-majorité présidentielle qui, d'ici 2030, souhaite baisser "de 55% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990". "Pour cela, nous baisserons de 20% supplémentaires les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2027 en maintenant le rythme inédit atteint l'an passé (-6%)", affirmait Ensemble dans son programme pour les législatives

Un sujet capital risque néanmmoins de se révéler clivant : celui de la relance du nucléaire. Alors que Renaissance souhaite "mettre en chantier 14 nouveaux réacteurs" et que les élus de droite veulent "investir dans l'excellence nucléaire française", les partis du NFP se montrent en désaccord sur le sujet, LFI et les écologistes étant hostiles à toute nouvelle centrale, contrairement au Parti socialiste et aux communistes.

Sur la "sécurité", le bloc macroniste et la droite peuvent s'entendre

Comme sur la maîtrise des comptes publics, des synergies en matière de sécurité semblent possibles entre le camp présidentiel et la droite, moins entre la gauche et ces deux autres blocs. Ensemble veut "revoir l'excuse de minorité" pour les jeunes délinquants "afin de casser la récidive et le sentiment d'impunité", en promouvant "le principe de sanction immédiate avec comparution immédiate dans les cas les plus graves". "L'excuse de minorité ne peut plus être appliquée systématiquement", estimait en avril Xavier Bertrand, président LR de la région Hauts-de-France. La droite a déjà restreint par deux fois l'excuse de minorité, en 2007, sous Nicolas Sarkozy.

Les Républicains défendent quant à eux le retour des peines planchers, instaurées par la droite en 2007 et supprimées par la gauche en 2014. Une partie du camp présidentiel pourrait s'y montrer favorable : Horizons avait défendu en 2023 le retour de cette mesure, tout en se heurtant à la position de Renaissance.

De l'autre côté, la gauche est opposée à la réintroduction des peines planchers, tout comme à la suppression de l'excuse de minorité. Elle met surtout en avant le redéploiement des équipes de police de proximité comme un axe phare de son programme en la matière. Un point pourrait permettre à un rapprochement avec le camp présidentiel : le recrutement d'effectifs supplémentaires dans ce domaine. L'ex-majorité a déjà acté le recrutement de 1 500 magistrats et 1 800 greffiers d'ici à 2027, alors que la gauche veut augmenter entre autres les effectifs des polices judiciaire, technique et scientifique.

Sur les "services publics", peu de convergences envisageables

De prime abord, les trois camps affichent le même objectif : renforcer les services publics. Tous ne s'accordent cependant pas sur la façon d'y procéder. Dans son "pacte législatif", la droite propose de se concentrer sur l'école et l'hôpital, et insiste sur le besoin de "débureaucratiser". De son côté, le NFP promet dans son programme de "réparer les services publics", en organisant notamment "une conférence de sauvetage de l'hôpital public", en renforçant les moyens des écoles et en recrutant plus de fonctionnaires. Lucie Castets, cofondatrice de l'association Nos services publics, a pris dans sa lettre l'engagement de "défendre les services publics de proximité".

Dans son programme, Ensemble promettait d'ouvrir "une maison France services dans chaque canton, à 20 minutes de chez soi", mais aussi de "poursuivre" les revalorisations salariales pour les fonctionnaires. Une volonté qui semble difficilement compatible avec le "plan d'économies de 25 milliards" voulu par la droite.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.