Projet de loi immigration : que proposent les différents groupes politiques au sujet du droit d'asile ?
Il faut remettre "à plat" les règles du droit d'asile, a réclamé Jordan Bardella, lundi 12 juin sur CNews. Le président du Rassemblement national établit un lien entre l'attaque au couteau qui s'est produite à Annecy (Haute-Savoie) et ce qu'il qualifie de "désordre migratoire" en France. Dans le cadre du projet de loi immigration, qui devrait être présenté cet été, le gouvernement souhaite plusieurs réformes en matière d'asile. Ce droit humain fondamental est reconnu notamment par la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Les droits des réfugiés sont par ailleurs garantis par la Convention de Genève de 1951, ratifiée par 145 Etats, dont la France. Ce texte établit un principe de non-refoulement, qui veut qu'un réfugié ne devrait pas être renvoyé dans un pays où "sa vie ou sa liberté" sont gravement menacées. Le droit d'asile a fait l'objet de plusieurs réformes ces dernières années, en France comme dans l'Union européenne. Jeudi dernier, jour de l'attaque à Annecy, les ministres européens de l'Intérieur ont d'ailleurs trouvé un accord sur deux volets clés d'une réforme, qui prévoit par exemple un système de solidarité entre Etats membres dans la prise en charge des réfugiés et un examen accéléré des demandes d'asile de certains migrants aux frontières. Mais en France aussi, certains politiques rêvent d'une réforme d'ampleur.
L'extrême droite demande une restriction du droit d'asile
Depuis le drame d'Annecy, le RN a remis la question du droit d'asile au centre des débats, consolidant sa stratégie offensive en matière de politique migratoire. "C'est toute notre politique migratoire, et un certain nombre de règles européennes, qu'il faut remettre en cause", a réagi sur Twitter Jordan Bardella. Le président du Rassemblement national a une nouvelle fois proposé sur CNews de "restreindre" le droit d'asile, "donné dans l'Union européenne de manière beaucoup trop large", selon lui.
La réforme du droit d'asile était en effet une idée portée par Marine Le Pen durant la campagne présidentielle de 2022 (PDF). La candidate proposait alors de modifier la loi afin d'instaurer "l'obligation de déposer les demandes d'asile dans les services des ambassades et consulats français à l'étranger". Et pas sur le sol français comme c'est le cas actuellement. Selon Sébastien Chenu, interrogé mardi sur RMC, la situation actuelle encouragerait les étrangers à venir illégalement sur le territoire pour y déposer une demande. Pour le député RN du Nord, la mesure préconisée par son parti empêcherait que des demandeurs d'asile "traversent et meurent dans la Méditerranée", mais aussi qu'"une fois déboutés, ils ne se maintiennent sur le territoire français".
Le RN avait en 2022 affiché son hostilité aux politiques européennes en matière d'immigration. Le parti souhaite modifier les règles de libre circulation des réfugiés dans l'espace Schengen. "Il n'y a aucune raison pour que cette libre circulation s'adresse à des gens qui n'ont pas la nationalité des pays en question", a réaffirmé Marine Le Pen le 9 juin au micro d'Europe 1.
La droite veut un "projet de rupture"
Depuis plusieurs semaines, les grandes figures de LR font la promotion de leur nouveau projet en matière de politique migratoire. Après une interview présentant un "projet de rupture" dans Le JDD, une proposition de loi composée de 56 articles a été déposée le 1er juin par les sénateurs Bruno Retailleau et François-Noël Buffet. Le lendemain, les députés Eric Ciotti, Olivier Marleix et Annie Genevard ont à leur tour présenté une proposition de loi constitutionnelle à l'Assemblée nationale. Avec ces mesures, largement inspirées du programme du RN, LR espère mettre la pression sur le gouvernement avant la présentation du projet de loi immigration. Dans Le JDD, Olivier Marleix assure même qu'il déposera une motion de censure contre le gouvernement s'il juge le projet de loi trop "laxiste".
Comme le RN, Les Républicains souhaitent mettre peu à peu fin aux demandes d'asile formulées sur le territoire français. Ils prévoient, à la place, de pouvoir déposer des demandes seulement dans les représentations diplomatiques et consulats français à l'étranger. Dans le cas exceptionnel où il serait déjà en France, le demandeur d'asile aurait un délai de quinze jours avant de déposer sa demande. Le parti souhaite que cette dernière fasse "l'objet d'une instruction administrative accélérée" durant laquelle le demandeur d'asile serait placé systématiquement en centre de rétention administrative (CRA), "jusqu'à l'exécution de la décision définitive lui attribuant la protection ou, si celle‑ci est refusée, l'éloignement effectif du territoire national". Cette mesure de détention en CRA reste cependant théorique, faute de places.
Début mai, la députée LR Christelle D'Intorni a déposé une autre proposition de loi. Son texte va encore plus loin et propose que toute demande d'asile réalisée en France soit refusée d'office. Ce refus entraînerait de fait une "obligation de quitter le territoire" (OQTF), après un éventuel recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Le demandeur se verrait aussi supprimer la prise en charge de ses frais de santé.
La majorité présidentielle souhaite plus d'efficacité
Pour le moment, les différents groupes de la majorité (Renaissance, Horizons et MoDem) n'ont pas fait entendre de différences par rapport au projet de l'exécutif. Le projet de loi présenté en Conseil des ministres en février dernier, qui n'a pas été examiné au Parlement et qui sera remplacé par un nouveau texte cet été, envisageait plusieurs mesures. Parmi elles, la création de pôles territoriaux "France asile", chargés d'accueillir les étrangers et d'enregistrer leur démarche. Ils regrouperaient des agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et des préfectures. "Nous voulons réduire l'ensemble des procédures d'asile à neuf mois maximum", expliquait alors Gérald Darmanin au Figaro.
Fin 2022, le ministre de l'Intérieur avait dit dans Le Monde vouloir "répartir sur le territoire" les chambres de la Cour nationale du droit d'asile pour gagner en efficacité, avec des décisions prises par un "juge unique", la collégialité étant réservée aux "cas très difficiles". Le projet de loi prévoyait aussi de généraliser la possibilité d'audiences en vidéo. Autre mesure envisagée, si le demandeur d'asile ne formule pas d'appel contre le rejet de sa demande par l'Ofpra, "celui-ci vaudra OQTF avec possibilité de recours sous quinze jours".
Le gouvernement reste prêt à faire évoluer son projet de loi pour trouver un accord avec la droite. Gérald Darmanin se dit ouvert à plusieurs propositions formulées par LR, comme "le contrôle à 360 degrés des demandes de titres de séjours" (l'ensemble des motifs d'admission serait examiné à la première demande, et le demandeur d'asile ne pourrait redéposer un dossier, sauf en cas de circonstances nouvelles) ou l'ouverture des prestations sociales à partir de cinq ans de résidence en France. Sur la mise en place de quotas, "nous avons déjà dit que nous étions prêts à étudier ces propositions. Mais attention, sur le droit d'asile, par exemple, c'est impossible de mettre des quotas", avertit le locataire de la place Beauvau. Quant à la proposition pour que les demandes d'asile soient formulées hors du territoire, "cette mesure est inapplicable", tranche-t-il, "sauf à sortir de la Convention de Genève de 1951".
La gauche plaide pour une meilleure intégration
Les composantes de la Nupes n'affichent pas de grandes différences entre elles au sujet du droit d'asile. Le programme de l'alliance de gauche constitué pour les dernières législatives n'évoquait pas le contrôle des flux, mais proposait au contraire de "garantir pleinement le droit d'asile". Pour cela, les partis de gauche souhaitent "accueillir dignement les exilés", "mettre fin au règlement de Dublin III" et "renégocier le Pacte sur la migration et l'asile" de l'UE. La Nupes souhaite aussi "favoriser la création de voies légales et sûres de migration", "créer un corps de sauvetage en mer" et "mettre fin aux violations des droits fondamentaux" par l'agence de surveillance des frontières Frontex. Dernière proposition originale, la gauche propose d'"offrir l'asile aux lanceurs d'alerte", comme Edward Snowden et Julian Assange.
Les différents candidats de gauche en campagne lors de la dernière présidentielle insistaient tous sur la nécessité de garantir une meilleure intégration des réfugiés, avec notamment une augmentation des moyens de l'Ofpra pour réduire les délais de traitement et la possibilité offerte aux réfugiés de travailler "dès la demande d'asile".
"On fera des propositions au moment de la discussion parlementaire, assure à franceinfo Ian Brossat, porte-parole du PCF. Ceux qui disent qu'on va arrêter l'immigration mentent, a fortiori avec le réchauffement climatique. Il faut donc avancer sur l'accueil et l'intégration." Le communiste évoque aussi une réflexion au sujet de la prise en charge des fragilités psychologiques de certains réfugiés, "qui ont souvent traversé des épreuves terribles".
Après l'attaque au couteau d'Annecy, les principales personnalités de gauche ont surtout critiqué les "propositions de l'extrême droite et des droites dures qui visent à chasser toujours plus les migrants". Lundi, sur France 2, la députée LFI Clémentine Autain a appelé "toutes les voix progressistes, les voix de gauche, à dire stop à cet acharnement contre les migrants".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.