Loi d'accélération du nucléaire : "Un ensemble de questions vient percuter cette volonté du gouvernement de relancer le parc", selon un avocat spécialiste
"Un ensemble de questions vient percuter cette volonté du gouvernement de relancer le parc nucléaire", a estimé lundi 13 mars sur franceinfo Arnaud Gossement, avocat spécialisé dans le droit à l’environnement, alors que la loi sur le nucléaire arrive ce lundi devant l'Assemblée nationale. Elle doit acter la volonté d'Emmanuel Macron d'accélérer le développement du parc avec la construction, dans un premier temps, de six nouveaux EPR, en plus de celui de Flamanville (Manche), qui est censé entrer en fonction l'an prochain.
>> Ce que l'on sait des fissures découvertes récemment dans plusieurs réacteurs français
La découverte de fissures sur des réacteurs à Penly (Seine-Maritime) et à Cattenom (Moselle), les sécheresses futures et des incertitudes sur le financement, fragilisent l'avenir du nucléaire en France : "Cette loi à elle seule, c'est sûr, ne répond pas à toutes ces questions. On a un petit peu un flottement, estime Arnaud Gossement. De toute manière, le nucléaire ne sera pas la seule solution pour atteindre nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre".
franceinfo : Cette loi arrive à l'Assemblée à un moment délicat pour le nucléaire français ?
Arnaud Gossement : Cette loi arrive un petit peu seule. Il est difficile de penser que cette loi à elle seule va permettre de tenir la promesse du président de la République d'une relance du nucléaire parce que dans cette loi, vous n'avez pas d'annonce de financement, d'annonce sur l'évolution de la situation juridique d'EDF. Il y a encore des incertitudes sur le marché de l'électricité. Nous avons ces fissures qui viennent d'être révélées à Penly et à Cattenom également. Il y a tout un ensemble de questions aujourd'hui qui sont révélées sur l'avenir du nucléaire. Cette loi à elle seule, c'est sûr, ne répond pas à toutes ces questions. Elle n'assure pas cette relance du nucléaire qui était promise. On a un petit peu un flottement dans cette politique de relance du nucléaire.
Peut-on construire des réacteurs nucléaires en France sans exploser les coûts ?
Ce qui est certain, c'est que dans le cas du projet de loi, les parlementaires ont souhaité inscrire un article pour demander un rapport au gouvernement sur les conditions de la relance, sur les conditions de construction de quatorze nouveaux réacteurs EPR 2. Ces députés ont estimé qu'à l'heure actuelle, ils n'avaient pas toutes les informations pour s'engager totalement dans ce programme d'accélération de la construction de réacteurs nucléaires. Il n'y a pas eu suffisamment d'évaluations. Par exemple, les réacteurs nucléaires supposent une grande quantité d'eau. Le parc nucléaire français en France, selon les chiffres, consomme entre 20 et 30 % de l'eau. C'est de la consommation, ce n'est pas du prélèvement, c'est une eau qui n'est pas rendue au milieu naturel. Aujourd'hui, effectivement, comment va-t-on faire avec une eau moins disponible, moins abondante, peut-être plus chaude ? Il y a tout un ensemble de questions qui viennent percuter cette volonté aujourd'hui du gouvernement de relancer le parc nucléaire.
Qui va payer la facture de 50 milliards pour les prochains EPR 2 ?
C'est l'une des grandes questions qui se posent. Pour l'instant, on ne sait pas. EDF a communiqué sur le fait que ce n'était pas eux seuls qui pouvaient assumer ce coût. Le coût lui-même n'est pas connu. On parle de 52 milliards dans l'entourage de la ministre. D'autres spécialistes parlent de 100 milliards. Le calendrier lui-même n'est pas connu. Et puis, surtout, le marché d'électricité a beaucoup évolué. On est avec un prix de l'électricité qui n'est plus du tout le même que dans les années 70. En face, vous avez des systèmes d'économie d'énergie ou de production d'énergies renouvelables qui deviennent très compétitifs, qui se développent dans le monde entier. Donc parfois, effectivement, on peut se demander si la France, par cette ambition sur le nucléaire, prend bien le chemin que prennent les autres États du monde entier.
Est-ce que le nucléaire est forcément l'ennemi des énergies renouvelables ?
D'abord, il y a l'héritage de l'histoire. Le parc nucléaire c'était une formidable aventure industrielle, il ne faut pas le nier. L'énergie nucléaire produit une électricité avec bien des atouts, mais des problèmes aussi en matière de déchets, en matière d'eau. Mais c'est vrai que du point de vue des émissions de dioxyde de carbone, c'est un atout climatique tout à fait indéniable. Aujourd'hui, nous avons un parc dont il faut assurer la maintenance. Il ne s'agit pas aujourd'hui de sortir du jour au lendemain du nucléaire. Mais, alors qu'on doit réduire par quatre, voire par six nos émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030, c'est-à-dire demain, est-ce qu'on peut se satisfaire d'un projet qui, de toute manière ne produira pas de nouveaux EPR au mieux avant 2030-2035 ? Le problème, c'est le temps long. Il faut beaucoup de temps pour construire ces nouveaux réacteurs alors qu'on n'a pas de temps pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Donc de toute manière, le nucléaire ne sera pas la seule solution pour atteindre nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
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