Meurtre d'Alexia Daval : comment défendre un homme qui a tué sa femme ? "Très vite, on devient le salaud d'avocat"
Après la mise en examen de Jonathann Daval pour "meurtre sur conjoint", le 30 janvier, son avocat Randall Schwerdorffer a évoqué '"deux victimes", créant une polémique. Franceinfo a interrogé des avocats sur les stratégies de défense possibles dans de telles situations.
"Indécent", "choquant", "ahurissant"... La défense esquissée par Randall Schwerdorffer, l'avocat de Jonathann Daval, après les aveux de son client, a suscité de vives critiques. Trois mois après la découverte du corps calciné de sa femme Alexia, Jonathann Daval a été mis en examen pour "meurtre sur conjoint" et écroué, mardi 30 janvier. Son conseil a d’abord évoqué "un accident" avant de revenir sur ce terme, puis il a parlé de "deux victimes dans cette affaire" et présenté Alexia Daval comme "le conjoint violent" du couple. Marlène Schiappa, la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, a dénoncé une stratégie de "victim-blaming", c’est-à-dire une volonté de rendre la victime en partie responsable de ce qui lui est arrivé.
Les termes employés par Randall Schwerdorffer ont choqué. Mais n'est-ce pas le rôle les avocats de Jonathann Daval d'organiser sa défense, au risque de provoquer des émotions violentes ? Faut-il au contraire s'imposer certaines limites ? Franceinfo a interrogé plusieurs avocats pénalistes.
"Une bataille d'experts"
"Je pensais vraiment défendre un innocent", a confié Randall Schwerdorffer à franceinfo. Jonathann Daval a donc menti à tous, y compris ses avocats. Pour autant, ils n'ont "pas une seule seconde" envisagé d'abandonner le dossier. "Jonathann ne nous a pas abandonnés et nous ne l'abandonnerons pas non plus", a encore expliqué Me Schwerdorffer. Quelle que soit la gravité du crime commis, la "confiance du client" envers son avocat est un "élément-clé", selon Fathi Benbrahim, avocat de Tony Meilhon dans l'affaire Laëtitia. Il s'agit d'une "confiance, une connivence de circonstance, qui permet de faire avancer la défense", précise Véronique Sousset, ancienne avocate et auteure de Défense légitime, interrogée par franceinfo.
Dans une affaire comme le meurtre d'Alexia Daval, chaque avocat va ensuite choisir sa propre stratégie,en fonction de l'affaire et des éléments dont il dispose. Pour Roksana Naserzadeh, pénaliste à Lyon, l'histoire d'un couple peut peser. "Un crime, un meurtre, c'est une interaction, surtout dans un milieu clos, en l’occurrence le cadre familial", explique-t-elle à franceinfo. "C'est le résultat de toute une construction, cela ne sort pas de nulle part", poursuit-elle. "Tout cela peut être démontré par l'expertise psychologique", qui s'intéresse à l'histoire et à la personnalité de l'accusé.
Alex Ursulet, avocat de Guy Georges et auteur de L'Indéfendable, attache plus d'importance à l'expertise psychiatrique, qui permet de comprendre l'état du meurtrier au moment où il passe à l'acte et d'évaluer sa dangerosité. "Est-il d'une extrême lucidité ou bien est-il dépassé et perdu ? Pris par la fureur ?" interroge le pénaliste. Se dessine alors la possibilité de bâtir sa défense sur "l'absence de discernement", explique-t-il. "D'ailleurs, s’il n'y pas d’absence de discernement, la défense peut demander une contre-expertise. Et là, il peut y avoir une bataille d’experts", ajoute-t-il.
Eviter d'en "faire un symbole"
Dans les dossiers très médiatiques, les avocats se retrouvent rapidement sous pression. C'est le cas dans l'affaire Daval, qui survient au moment où la question des violences faites aux femmes s'est imposée dans l'actualité, mise en lumière par les mouvements #metoo et #balancetonporc. "Le contexte peut jouer, parce qu'il y a des termes qui passent plus ou moins bien", observe Anne-Sophie Laguens, avocate au barreau de Paris. Si "le contexte politique va sûrement influencer le parquet", il n'aura pas d'effets "sur la stratégie de l’avocat", assure au contraire Roksana Naserzadeh.
Véronique Sousset, elle, estime qu'il est difficile d'ignorer totalement l'environnement d'une affaire, mais appelle à la prudence : "La pire chose serait d'en faire un symbole, ou le procès des violences faites aux femmes. Il s'agit d'abord d'un drame singulier, terriblement humain." Il serait injuste que Jonathann Daval soit puni pour des crimes qu'il n'a pas commis en plus de celui qu'il a avoué. Ce serait aussi injuste pour toutes les autres victimes de violences conjugales, dont les meurtriers n'ont pas été jugés de la même façon.
Le poids de "l'après-meurtre"
Si, d'ici au procès, l'opinion et les jurés de la cour d'assises oublieront peut-être ce moment politique, les images de Jonathann Daval en mari éploré, soutenu par ses beaux-parents, ou en tête d’une course en hommage à Alexia, ruban blanc au bras, pourraient bien rester gravées dans les mémoires. "Comment a-t-il pu faire tout ce cirque ?" se demanderont longtemps les habitants de Gray, où vivait le couple. "Il y a un sentiment de trahison", observe Véronique Sousset. Un avocat doit, selon elle, "endosser la part d'incompréhension qui entoure l'affaire".
Il faut accepter d'être "l'avocat du salaud" et, très vite, on devient "le salaud d'avocat".
Véronique Soussetà franceinfo
"Il va être très dur pour Jonathann Daval d'affronter ces trois mois de mensonges", estime Alex Ursulet. Les photos et vidéos montrant le jeune homme en larmes risquent de "déclencher un rejet de la part des jurés", selon l'avocat. Mais pour Roksana Naserzadeh, "l'après-meurtre" prend trop de place. "En quoi le fait qu'un homme ait tué sa femme est-il exclusif de sa peine ?" conteste-t-elle. "Il peut l'avoir aimée, il peut avoir des remords, poursuit-elle. Philosophiquement, c'est absurde de le juger sur son comportement dans les semaines qui ont suivi." "Rendre l'humanité à un meurtrier, c'est aussi reconnaître la dignité à la victime", confirme Véronique Sousset. Mais il n'y a, selon elle, "pas d'empathie, ni de compassion" pour son client, car "l'affect compliquerait les choses".
"Eviter les mots qui heurtent"
Les avocats marchent parfois sur un fil, entre la défense de leur client et le risque de susciter une polémique, à cause d'un mot de trop, ou de travers. "Devant les médias, le choix des mots est extrêmement important, car on sait que cela va être repris lors du procès, notamment par les avocats de la partie adverse", avertit Fathi Benbrahim. Lui s'est fixé une ligne de conduite : "Ne pas prendre à partie la victime, de ne pas l’attaquer, de ne pas la critiquer." Mais "la seule limite, c’est sa propre conscience", selon Anne-Sophie Laguens, avocate au barreau de Paris. Selon elle, insister sur la personnalité ou la supposée violence de la victime "ne sert pas forcément son client". "C'est peut-être mieux pour lui de reconnaître les choses, d'être conscient de ses actes", estime-t-elle.
Il faut être prudent, pour ne pas ajouter du malheur au malheur.
Véronique Soussetà franceinfo
Véronique Sousset a été commise d’office pour défendre un père infanticide, dans l'affaire Marina, dont elle a tiré le livre Défense légitime. "Dire 'il y a deux victimes', par exemple, c'est courageux, d'une certaine façon. Mais il faut éviter les excès et les mots qui heurtent", juge l'ancienne avocate. Ces mots, "on peut les expliquer pendant un procès, dans une enceinte qui est faite pour ça". Mais aujourd'hui, l'émotion, la colère, le deuil "permettent-ils d'entendre qu'un homme ne se résume pas à son acte, aussi terrible soit-il ?" "C'est sûrement trop tôt", conclut-elle.
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