: Témoignages Européennes 2024 : guerre en Ukraine, Pacte vert, Covid-19... Six eurodéputés racontent le moment le plus marquant de leur premier mandat
Leur poste sera bientôt remis en jeu. Six députés du Parlement européen, élus pour la première fois en 2019, s'apprêtent à boucler leur premier mandat. De la gauche radicale à l'extrême droite, ils représentent toutes les nuances de la politique française établie dans l'institution de l'Union européenne. Aurore Lalucq (Place publique), Bernard Guetta (Renaissance), Leïla Chaibi (La France insoumise), Nathalie Colin-Oesterlé (Les Centristes), Mathilde Androuët (Rassemblement national) et Gwendoline Delbos-Corfield (Les Ecologistes) reviennent pour franceinfo sur le moment le plus marquant de leur mandat, à quelques mois du scrutin qui aura lieu le 9 juin en France.
Souvent peu visibles en France, les 79 eurodéputés français représentent pourtant la deuxième délégation la plus importante du Parlement. S'ils se sont d'abord sentis "impressionnés", "perdus" ou "comme un enfant qui entre en 6e" lors de leur arrivée dans l'hémicycle de Bruxelles (Belgique), les six élus interrogés se sont adaptés au travail législatif européen. En cinq ans, l'UE s'est profondément transformée, répondant notamment aux crises du Covid-19, de la guerre en Ukraine ou de l'inflation.
Aurore Lalucq, Place publique : le Pacte vert a marqué "la bascule idéologique" du continent
Que retient l'économiste Aurore Lalucq de ces cinq années comme députée européenne ? D'abord, l'impression d'avoir assisté "à la bascule idéologique" du continent sur les questions environnementales. La mise en place du Pacte vert, qui vise la neutralité carbone de l'UE d'ici 2050, "était pourtant loin d'être évidente", s'étonne encore la cofondatrice du petit parti Place publique, allié du Parti socialiste. "En 2008, au moment de la crise financière, nous étions un tout petit groupe d'économistes à réclamer un Green Deal [Pacte vert en français]", se souvient l'élue de 44 ans.
Treize ans plus tard, le Parlement a initié ce Pacte vert, qui vise également "une réduction de 55% des gaz à effet de serre d'ici 2030". Aurore Lalucq se rappelle "très bien" du 24 juin 2021 et de l'adoption à Strasbourg de "cette mesure emblématique, qui donne le la à tout le reste".
"C'était un moment très émouvant et étonnant, mais aussi satisfaisant. Mais on se dit également que le plus dur reste à faire."
Aurore Lalucq, députée européenne Place publiqueà franceinfo
En trois ans, l'UE a adopté une série de mesures visant à atteindre les objectifs climatiques. Les négociations sont souvent longues et intenses, comme sur l'interdiction de la vente de voitures neuves à moteur thermique à partir de 2035. Mais à l'approche des élections européennes, certains dossiers ne font plus l'unanimité, comme une nouvelle réglementation sur les pesticides, rejetée par la droite et l'extrême droite. "Je suis frustrée que ceux qui ont bloqué les mesures sociales d'accompagnement du Pacte vert soient en train de le dénoncer", s'agace Aurore Lalucq. L'eurodéputée, qui se représente pour un deuxième mandat sur la liste conduite par Raphaël Glucksmann, espère que l'UE ne reculera pas sur ses engagements pour le climat.
Bernard Guetta, Renaissance : avec la guerre en Ukraine, on "a assisté au basculement de l'UE" en matière de défense
Bernard Guetta insiste : il est "journaliste et député européen", certainement pas "ex-journaliste". L'ancien correspondant du Monde à Moscou et chroniqueur pour France Inter était l'invité surprise de la liste Renaissance lors des élections européennes de 2019. L'élu de 73 ans, qui a "découvert la machine politique de l'intérieur" a tiré un livre de son expérience, .
Cet expert des questions internationales se souvient bien du 24 février 2022, jour de l'invasion russe en Ukraine. "J'ai allumé mon ordinateur à 4 heures et j'étais livide, détruit, se rappelle-t-il. Instantanément, je suis devenu l'un des parlementaires de mon groupe les plus actifs sur le soutien à l'Ukraine et la condamnation de Poutine", raconte-t-il. Devant le soutien de l'UE à Kiev, Bernard Guetta a eu l'impression d'assister "à un basculement de l'UE", qu'il appelle "depuis trente ans".
"Je piétine de rage parce que je trouve que tout est trop long, que l'on aurait dû livrer les armes les plus sophistiquées au moment de la débandade russe. Mais en même temps, tout bouge à une vitesse incroyable."
Bernard Guetta, eurodéputé Renaissanceà franceinfo
L'eurodéputé réclame un approfondissement de la politique de défense commune de l'UE. "Près de 77% des Européens, 75% en France [selon un Eurobaromètre de juillet 2023], sont favorables à une défense commune, c'est incroyable", s'enthousiasme-t-il, alors que la Commission européenne a présenté en mars une stratégie sur le sujet. "Nous avons un marché commun, des règles communes, une monnaie unique... Si on ajoute à cela une défense et une politique étrangère communes, ça donne quoi ?", lance-t-il, un brin provocateur.
Nathalie Colin-Oesterlé, Les Centristes : le Covid-19 "montre que, sur le plan sanitaire, on est plus forts ensemble que seuls"
Le travail parlementaire peut-il continuer malgré un confinement ? C'est la question à laquelle les eurodéputés ont dû répondre en mars 2020, face à la pandémie de Covid-19. Nathalie Colin-Oesterlé se souvient d'une adaptation au travail à distance faite à la vitesse grand V. "Tout notre fonctionnement a été modifié, se remémore cette spécialiste des questions de santé. Nous n'allions plus à Strasbourg pour la session plénière, les commissions et les votes se suivaient à distance".
Nathalie Colin-Oesterlé était à l'époque rapporteure sur les pénuries de médicaments, "un sujet d'une importance folle avec la pandémie". "Les auditions par visioconférence nous ont permis d'aller vite", se remémore-t-elle. Cette crise a permis à l'UE d'avancer, notamment par "l'achat de vaccins en commun".
"C'est une avancée majeure. Cela a permis à tous les citoyens européens de recevoir un vaccin, au même prix et dans les mêmes quantités."
Nathalie Colin-Oesterlé, eurodéputée Les Centristesà franceinfo
De compétence nationale, "la santé est devenue une compétence partagée entre les Etats et l'UE", souligne l'élue locale à Metz (Moselle). "L'expérience montre que, sur le plan sanitaire, on était beaucoup forts ensemble que seuls, même si des choses auraient pu être améliorées en matière de logistique". Convaincue que l'Europe "doit en faire davantage en matière de santé", Nathalie Colin-Oesterlé juge d'un œil positif l'augmentation des budgets communautaires liés à cette thématique. Elle appelle surtout à "produire plus chez nous, sur le plan sanitaire comme alimentaire", une question de "souveraineté".
Gwendoline Delbos-Corfield, Les Ecologistes : "Je regrette que le sujet de l'Etat de droit intéresse peu les Français"
En 2019, Gwendoline Delbos-Corfield ne s'attendait pas à être élue députée européenne. "J'étais 13e de la liste écologiste, j'étais persuadée que je n'allais pas passer", se rappelle-t-elle, alors que la liste menée par Yannick Jadot avait réalisé une percée surprise, se classant troisième. A son arrivée à Bruxelles, elle choisit de devenir membre de la commission des libertés et de s'intéresser aux sujets liés à l'Etat de droit. "Personne ne s'y intéressait trop chez les écologistes, mais ça m'a paru tout de suite important, explique-t-elle. C'est un sujet intéressant, qui vous plonge dans les traités européens, mais dans lequel il y a aussi beaucoup d'humain, puisque vous parlez à des journalistes, des ONG ou des femmes qui ont perdu leurs droits."
Originaire de Grenoble (Isère), elle se retrouve chargée du dossier Hongrie "un peu par hasard". Au fil de son mandat, la question des dégâts causés par le Premier ministre Viktor Orban sur la démocratie de son pays prend de l'ampleur. Gwendoline Delbos-Corfield défend un rapport qui qualifie la Hongrie "d'autocratie électorale. Le fait qu'il soit adopté par le Parlement est très important, mais ça n'est qu'une pierre à l'édifice", souligne l'écologiste de 47 ans.
Elle reconnaît "une frustration" devant le peu d'impact des alertes sur le sujet "en Hongrie, mais aussi en Grèce" et le manque de volonté "du Conseil européen pour sanctionner" Budapest alors que la Commission a ouvert des procédures à l'encontre du pays.
"Je ne fais pas de la politique pour obtenir des résultats immédiats, sinon je ne serais pas écologiste. Même si nous n'obtenons que des petites choses, il faut le faire."
Gwendoline Delbos-Corfield, députée européenne écologisteà franceinfo
Gwendoline Delbos-Corfield, qui n'est pas assurée de conserver son siège lors des élections du 9 juin, s'alarme de voir le sujet de l'Etat de droit passer au second plan : "Je regrette qu'il intéresse peu les Français qui vivent leur système politique comme un îlot séparé du reste". Elle relève tout de même une bonne nouvelle : la victoire de l'opposition démocratique en Pologne en octobre dernier. "C'est la preuve qu'un pays peut revenir vers la démocratie. A condition que l'UE se mobilise pour soutenir la société civile", explique-t-elle.
Leïla Chaibi, La France insoumise : "Il faut mettre des garde-fous" pour "rester en lien avec les électeurs"
Peut-on être députée européenne sans être aspirée par "la bulle" des institutions ? C'est la question que s'est posée Leïla Chaibi lors de son arrivée au Parlement. "Je me suis dit : 'Il va falloir mettre des garde-fous et être bien entourée pour y arriver'", retrace-t-elle. L'élue LFI s'est largement investie dans le dossier des travailleurs des plateformes numériques, défendant le passage en contrat des conducteurs de VTC et des livreurs d'Uber ou Deliveroo. L'élue de 41 ans s'était fixé "comme objectif de faire entrer la parole des citoyens" dans les décisions de l'UE.
La militante associative a ainsi fait venir à plusieurs reprises "des travailleurs des plateformes" à Bruxelles. Une façon de "mettre la pression" sur la directive préparée par la Commission européenne et de répondre "à la présence des lobbys" des plateformes numériques au Parlement. Toujours dans l'optique de "rester en lien avec les électeurs", Leïla Chaibi poste régulièrement des vidéos sur les réseaux sociaux, dont TikTok. Que ce soit pour évoquer les coulisses de la cantine du Parlement ou parler du vote sur le budget, ses posts rencontrent un franc succès.
"Certaines personnes m'ont dit que ça n'était pas de la politique, mais je le vois comme une porte d'entrée, une façon de donner à voir la façon dont on prend les décisions."
Leïla Chaibi, députée européenne La France insoumiseà franceinfo
L'élue s'est vite rendu compte "qu'il était possible d'obtenir des choses, bien plus que dans la Ve République sous Emmanuel Macron", raille-t-elle. "On peut arracher des victoires et porter l'intérêt de ceux qui nous ont élus, même en étant en désaccord avec la façon dont certaines choses sont organisées". La directive entourant les travailleurs des plateformes a finalement été adoptée par le Parlement et le Conseil. Une victoire pour l'eurodéputée.
Mathilde Androuët, Rassemblement national : "La super-structure a peut-être tendance à lisser les opinions et simplifier les choses"
"Un dédale." Voilà l'image que retient Mathilde Androuët de son arrivée au Parlement européen. "On s'y sent enfermée, dans une bulle, c'est un tout architectural, visuel et physique", explique l'élue du Rassemblement national (RN), rencontrée à Paris. Eurosceptique, à l'image de son parti, l'élue de 39 ans voit dans ces bâtiments "une déconnexion totale avec les réalités du monde", toute symbolique. Elle se dit déçue, alors qu'elle s'attendait "à une multitude de nuances avec 27 nationalités représentées". "C'est l'inverse. Le côté super-structure a peut-être tendance à lisser les opinions et simplifier les choses", souffle-t-elle.
Comment travailler dans une structure dont on récuse l'existence ? Alors que les eurodéputés RN sont régulièrement accusés de ne pas s'investir à Bruxelles, Mathilde Androuët dénonce un "plafond de verre toujours en place au niveau européen". "Nous sommes exclus de nombreuses choses, comme la présidence des commissions ou le choix des rapports. Certains ne lisent même pas nos amendements", s'indigne l'ancienne conseillère régionale d'Ile-de-France.
"Je ne comprends pas cette bêtise : même lorsqu'ils sont d'accord, certains refusent de nous écouter par dogmatisme."
Mathilde Androuët, députée européenne Rassemblement nationalà franceinfo
Alors que les sondages dessinent un Parlement plus à droite après les élections de juin, le groupe Identité et Démocratie (ID), dont le RN fait partie, pourrait grossir. De quoi favoriser l'alliance entre la droite et l'extrême droite qui a par exemple permis de rejeter un projet de réglementation sur les pesticides ? Les partis membres d'ID devront d'abord s'entendre, une tâche parfois ardue. "On est partis du principe que chacun défend ses intérêts nationaux. Parfois, cela diverge, explique Mathilde Androuët. Mais c'est normal, car nous sommes pour un véritable dialogue entre les nations européennes".
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