: Interview Législatives 2024 : le RN n'est "pas encore un parti comme les autres", analyse l'expert en communication politique Philippe Moreau-Chevrolet
Le patron du RN, Jordan Bardella, "assume" sa "part de responsabilité" dans la "défaite" de son parti aux législatives. C'est ce qu'a déclaré l'eurodéputé avant de se rendre au siège du RN, au lendemain du second tour du scrutin. Car malgré un nombre inédit de députés, le Rassemblement national n'est pas parvenu à obtenir la majorité absolue, et n'est même que la troisième force politique à l'Assemblée.
Jordan Bardella a notamment reconnu des mauvais choix dans certaines investitures de candidats controversés. Un mea culpa qui a différentes visées estime Philippe Moreau-Chevrolet, associé au cabinet de conseil en communication ICONIC et enseignant à Sciences Po.
Franceinfo : Comment faut-il comprendre cette déclaration ?
Philippe Moreau-Chevrolet : C'est une manière de reconnaître la défaite. Mais attention, en expliquant que ce n'est que temporaire. En gros, tout l'argumentaire du RN consiste à dire que c'est une victoire différée, ce qui pourrait être dit à peu près à chaque élection pour tous les partis politiques perdants, mais qui, dans le cas du RN, s'inscrit dans le récit d'une montée irrésistible au pouvoir. En fait, ce qu'ils veulent mettre en scène, c'est qu'un jour ils y seront. D'ailleurs, c'est ce qu'ils disent. Qu'ils seront un jour au pouvoir, mais qu'il y a simplement des obstacles sur la route qu'ils ne finiront par franchir.
Une manière de dire on fera mieux plus tard ?
Oui, c'est ça. Mais attention, toujours avec beaucoup de messages qui sont répétés et qui sont très élaborés. C'est un peu leur marque de fabrique en ce moment, qui consiste à dire : 'On est le premier parti de France puisqu'on a eu plus de voix que nos adversaires'. C'est une manière de critiquer en creux la démocratie, ce qui a été également utilisé par Donald Trump et ses partisans après la défaite en 2020. Donc c'est une logique qui est toujours un peu dangereuse de dire que finalement, ça devrait être nous, c'est nous qui avons gagné et on nous a en quelque sorte volé la victoire.
Mais reconnaître leurs erreurs, n'est-ce pas une façon de paraître plus sympathique aux yeux du grand public ?
C'est une façon de paraître plus humble. C'est une façon aussi d'expliquer aussi probablement à leurs partisans et à tous ceux qui pourraient être déçus par la défaite et par l'ampleur de la défaite, que ce n'est qu'une étape, qu'il faut encore être patient et qu'il faut toujours avoir confiance dans le leadership de Jordan Bardella. "On fait des erreurs", ça veut dire aussi qu'on peut les corriger.
Au sujet des candidats problématiques, dans l'entre-deux tours, les cadres du RN disaient que ce n'était pas de leur faute, que tous les partis avaient eu ce type de problème, qu'ils n'avaient pas eu le temps de se préparer vu le délai réduit. Maintenant, ils admettent des erreurs. Pourquoi ce revirement ?
Ils admettent des erreurs de forme mais pas de fond. Ça, c'est une autre distinction importante. C'est dans la façon de présenter. Ils parlent plutôt de "media training", de "corriger" un certain nombre d'attitudes, mais ils font comme s'il n'y avait pas de problèmes sur le fond.
"Ce qui est reproché à ces candidats, ce sont des attitudes racistes, des attitudes antisémites, des discours qui sont gravissimes d'un point de vue républicain. Ce n’est pas un simple problème de forme. Donc le RN fait en sorte que cela devienne presque un problème de communication, qui sera réglable facilement."
Philippe Moreau-Chevrolet, expert en communication politiqueà franceinfo
Alors qu'au fond, le vrai problème, c'est que le parti n'a pas totalement fait sa mue et qu'il n'est pas encore un parti comme les autres. Ce qui est compliqué pour lui comme pour d'ailleurs le parti d'Emmanuel Macron, c'est qu'il n'y a plus de cumul des mandats, ce qui a facilité l'insertion, l'implantation de mouvements comme le LR ou comme la droite traditionnelle par exemple, ou le Parti socialiste. Et ce qui explique qu'aujourd'hui encore ils ont une implantation locale forte, alors qu'au niveau national, ça ne se passe pas forcément très bien. Le cumul des mandats, qu'on a supprimé récemment, a beaucoup déstabilisé les partis politiques parce que sans cumul, on a du mal à avoir des élus locaux forts, des figures installées qui permettent justement de développer une influence politique locale durable, et on devient beaucoup plus sensibles aux vagues, beaucoup plus remplaçables.
Et c'est ce qui fait que c'est beaucoup plus dur pour les nouveaux partis de s'implanter. Le RN a, lui, en quelque sorte une prime parce qu'il est dans l'opposition depuis longtemps et que le pouvoir ne l'a pas encore usé. Mais de fait, c'est difficile pour lui d'arriver à rivaliser avec les partis plus implantés.
Ce qui veut dire que la seule étiquette "Marine Le Pen-Jordan Bardella" ne suffit plus ?
Ça ne suffit plus. Il y a quand même un effet de repoussoir qu'on constate autour du RN et puis il y a une prise de conscience manifestement de l'électorat qui se dit 'on n'a jamais essayé', et qui constate qu'il y a des candidats qui ne sont visiblement pas du tout prêts pour exercer le pouvoir et sont extrêmement problématiques. Un électorat qui semble se dire : 'le parti ne semble pas avoir changé, donc on va mettre un frein'. C'est ce que les Français ont fait très massivement. Donc ça montre quand même qu'il y a une espèce de plafond de verre pour le RN. L'équation n’est vraiment pas facile pour l'avenir, contrairement à ce qu'ils racontent.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.