Comment les relations se sont tendues entre LFI et le PS, jusqu'à la suspension des négociations, pour désigner un candidat à Matignon
Depuis sa courte victoire aux élections législatives anticipées, rien n'est simple pour le Nouveau Front populaire (NFP). Voilà huit jours que les partenaires de gauche échouent à s'accorder sur le nom d'un Premier ministre à proposer à Emmanuel Macron pour remplacer Gabriel Attal. Un point de bascule a été atteint, lundi 15 juillet, avec la suspension des négociations sur la formation d'un gouvernement, annoncée par La France insoumise (LFI) dans un communiqué.
"Nous ne participerons à aucune discussion supplémentaire sur la formation du gouvernement tant que la candidature unique à l'Assemblée nationale ne sera pas acquise et que le vote n'aura pas eu lieu", défend le mouvement de Jean-Luc Mélenchon. "Il convient de prioriser les discussions", explique auprès de franceinfo Paul Vannier, l'un des négociateurs côté LFI, qui pointe les "oukases" du Parti socialiste (PS).
Le PS, les écologistes et les communistes ont proposé Laurence Tubiana au poste de Premier ministre à LFI, a appris France Télévisions lundi soir. Cette économiste a été ambassadrice pour les négociations de la COP21, a présidé la Convention citoyenne pour le climat et dirige la Fondation européenne pour le climat. Une annonce accueillie froidement par LFI. "Je ne peux croire qu’après avoir opposé son veto à la candidature d’Huguette Bello, Olivier Faure se prépare à tenter d’imposer au Nouveau Front populaire une candidature Macron compatible pour Matignon", a commenté sur X Paul Vannier.
A chaque parti son favori
Entre les socialistes et les insoumis, la friture sur la ligne ne date pas de lundi. "C'est un climat délétère depuis le début des négociations entre le PS et LFI, qui font chacun un concours de muscles pour le poste de Premier ministre", décrypte un des participants aux négociations du Nouveau Front populaire. Sitôt la composition de l'Assemblée nationale connue, les négociations ont repris de manière intense entre LFI, le PS, Les Ecologistes-ELLV et le Parti communiste français (PCF). Les socialistes ont rapidement avancé le nom d'Olivier Faure, patron du parti, pour accéder à Matignon et imposer une cohabitation à Emmanuel Macron.
La France insoumise a écarté cette hypothèse, préférant avancer quatre noms : Jean-Luc Mélenchon, Mathilde Panot, Manuel Bompard ou Clémence Guetté. A son tour, le PS a refusé de voir l'un de ces profils l'emporter, en particulier celui de l'ex-candidat à l'élection présidentielle. "LFI bloque tout, ce sont des irresponsables qui ne sont pas à la hauteur des attentes. Ils nous ressortent Mélenchon, c'est insupportable", s'agaçait un socialiste auprès de franceinfo, vendredi.
Divisions autour du nom d'Huguette Bello
Le patron des communistes, Fabien Roussel, a poussé un autre nom dans les discussions entre partenaires de gauche, en fin de semaine : Huguette Bello, présidente de La Réunion. La France insoumise a validé le nom de cette proche de Jean-Luc Mélenchon, présente en dernière position de la liste de Manon Aubry pour les élections européennes de juin. Les représentants écologistes, eux, n'ont pas opposé de veto, contrairement aux négociateurs du Parti socialiste.
Dimanche matin, Huguette Bello a décliné "l'offre" de devenir Première ministre, face à l'absence de consensus, "notamment" en raison du fait "qu'elle n'est pas soutenue par le Parti socialiste". "Huguette Bello, c'est du pipeau", balayait lundi un élu socialiste, qui y voit un profil choisi par les communistes pour éviter de voir trois députés ultramarins rejoindre le groupe LFI à l'Assemblée. Le PCF aurait ainsi perdu son propre groupe, faute de réunir 15 élus. "Si nous avions abouti ce week-end avec Huguette Bello à Matignon, nous pourrions discuter de la présidence de l'Assemblée nationale et de l'équipe gouvernementale", accuse de son côté Paul Vannier.
"L'attitude du PS ne facilite rien. Il y a de leur côté un 'revival' des années Hollande, une forme d'arrogance, de nostalgie des années hégémoniques."
Paul Vannier, député La France insoumiseà franceinfo
Après le "non" socialiste, les tensions entre LFI et le PS se sont encore accentuées. "Si ça bloque aujourd'hui, c'est la faute du Parti socialiste, clairement. Depuis sept jours, il exprime une opposition totale à toutes les propositions qui sont faites autres que celles qui sont issues du Parti socialiste", a fustigé lundi sur BFMTV Manuel Bompard, coordinateur de LFI. "Rien n'a été bloqué, on a simplement eu une discussion. Il y a eu d'autres candidatures qui ont été proposées et qui ont fait l'objet d'un refus de la part des insoumis. Ce n'est pas illogique qu'à chaque fois, on ait chacun son mot à dire", se défendait Olivier Faure au même moment sur France 2.
"Il faut mettre le sens des priorités là où il doit être. Que certains s'énervent, c'est leur problème. Il faut que chacun réponde à cette question : comment diriger durablement quand on a 190 députés ?", interroge Rachid Temal, sénateur socialiste du Val-d'Oise et partisan d'un élargissement de la majorité de gauche, comme Philippe Brun. "Le bloc de gauche, arrivé en tête, a la responsabilité de discuter avec les autres pour trouver une majorité", a argué sur X le député de l'Eure.
Avant le communiqué de LFI et la suspension des négociations pour Matignon, les divergences entre les deux formations ont aussi porté sur l'urgence de la situation. "On ne peut pas nous demander d'aller plus vite qu'Emmanuel Macron, qui a attendu pendant plusieurs semaines pour former un gouvernement en janvier. On est sur un calendrier resserré, mais il faut prendre son mal en patience", explique à franceinfo le socialiste Arthur Delaporte. Sur France 2, Olivier Faure a dit "espérer" que le candidat du NFP soit connu "cette semaine". "Plutôt que de perdre du temps dans des palabres, le Nouveau Front populaire doit s'accorder immédiatement sur une candidature commune à la présidence de l'Assemblée nationale", a lancé, dès lundi matin, Manuel Bompard.
Des discussions aussi compliquées pour le perchoir ?
Alors que les discussions sur l'identité d'un possible Premier ministre sont en suspens, rien ne dit que les négociations pour la présidence de l'Assemblée nationale seront plus apaisées entre des partenaires à cran. "Nous nous attendons à une réaction extrêmement sectaire du PS", assure Paul Vannier après la publication du communiqué de LFI.
Dans un communiqué publié sur X par Olivier Faure lundi en soirée, le parti à la rose a dit "regretter" la décision de LFI, tout en réfutant opposer un "veto systématique" aux candidatures du NFP. Le PS "souhaite une reprise immédiate des discussions". Le parti se dit par ailleurs en faveur d'une "candidature unique du Nouveau Front populaire au perchoir". Un proche d'Olivier Faure évoque auprès de franceinfo un choix "suicidaire" des insoumis.
De son côté, Fabien Roussel alertait lundi soir dans un autre communiqué "sur le danger de mettre fin à ces discussions" et avertit sur une décision "incompréhensible" de LFI. "Notre responsabilité est immense", a-t-il écrit sur X. Un cadre communiste critique encore plus vertement l'attitude des insoumis : "C'est irresponsable, au vu de l'attente de l'électorat de gauche." Le PCF se dit lui aussi favorable à une candidature unique pour la présidence de l'Assemblée nationale.
Toutefois, chaque parti du NFP a son favori pour succéder à Yaël Braun-Pivet : Cyrielle Chatelain pour Les Ecologistes-EELV, Boris Vallaud pour le PS ou encore André Chassaigne pour le PCF. Les élus de LFI, eux, gardent le mystère sur le profil qu'ils souhaitent mettre en avant pour cette fonction. Sans candidature commune, la gauche est quasi assurée de perdre ce poste éminemment stratégique, et essuiera un premier revers important après son succès aux législatives.
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