Législatives 2024 : Gabriel Attal peut-il à la fois être Premier ministre et patron des députés Renaissance à l'Assemblée nationale ?

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le Premier ministre, Gabriel Attal, s'exprime à Matignon après les résultats du second tour des élections législatives, le 7 juillet 2024. (LUDOVIC MARIN / AFP)
Le chef du gouvernement, toujours en poste, est le seul candidat en lice pour présider le groupe de son parti. Ce double statut à venir interroge, tout comme celui de seize de ses ministres élus ou réélus aux législatives.

"J'ai l'honneur de vous présenter ma candidature à la présidence de notre groupe." Dans un message envoyé aux députés Renaissance, vendredi 12 juillet, le Premier ministre Gabriel Attal, réélu député des Hauts-de-Seine dimanche, a annoncé son souhait de prendre la tête des troupes du parti présidentiel à l'Assemblée nationale. Le chef du gouvernement, dont la démission a été refusée par Emmanuel Macron, sera seul en lice, et doit être désigné par un vote électronique samedi matin. "Dans une Assemblée sans majorité, nous devons être incontournables et responsables", écrit-il dans sa profession de foi consultée par franceinfo, assurant qu'il faudra "tout repenser, tout réinventer, tout reconstruire".

En sursis depuis les résultats des législatives, qui ont vu la coalition de gauche du Nouveau Front populaire devancer l'ancienne majorité présidentielle, le locataire de Matignon se prépare donc à retrouver son siège de député, comme seize autres membres du gouvernement, élus ou réélus. Et il compte prendre la tête du groupe Renaissance, réduit à une centaine de membres seulement. 

"Ce qui compte, c'est qu'il ne soit plus ministre le 18 juillet"

Mais comment Gabriel Attal et ses collègues pourront-ils rester au gouvernement, dans l'attente de la désignation d'un nouveau Premier ministre, et siéger en même temps en tant que députés ? Cela ne contrevient-il pas à la séparation des pouvoirs ? L'article 23 de la Constitution dispose que "les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire." Emmanuel Macron compte cependant accepter la démission du gouvernement le 16 juillet, deux jours avant la première session de la nouvelle Assemblée, a appris franceinfo d'un participant au dernier Conseil des ministres.

Une échéance qui compte aussi pour Marc Fesneau, toujours ministre de l'Agriculture, réélu député dans le Loir-et-Cher, et déjà choisi comme patron des députés du MoDem. "En soi, les groupes ne sont pas encore administrativement constitués", défend le groupe du parti centriste. "Ce qui compte, c'est qu'il ne soit plus ministre le 18 juillet".

Mais en l'absence d'un nouveau gouvernement à nommer dans la foulée, qui peine encore à se dessiner, les ministres actuels pourraient rester encore un moment en charge des affaires courantes. Contacté par franceinfo, Matignon assure que les membres d'un gouvernement démissionnaire élus à la députation  – et donc Gabriel Attal – pourront bien siéger dès l'ouverture de la session parlementaire, le 18 juillet. Pour les services du Premier ministre, il n'y a pas d'obstacle juridique à ce qu'il prenne la présidence du groupe Renaissance. "Les groupes politiques sont des associations. En présider un n'est pas une fonction institutionnelle au sens de l'Assemblée", défend également un fin connaisseur des arcanes du Parlement.

Des voix qui pourraient être décisives

Mais au-delà de la vie interne des groupes, c'est bien la participation de ces membres du gouvernement aux votes qui pourrait être contestée. Dans un hémicycle sans majorité absolue, dans lequel toutes les voix compteront, celles de Gabriel Attal et de ses 16 ministres vont peser pour les élections à venir aux postes clés de l'institution, notamment la présidence de l'Assemblée. Et l'interprétation juridique de Matignon est aujourd'hui ardemment discutée par les constitutionnalistes, confrontés à un scénario inédit.

"Objectivement, on n'a pas grand-chose", relève Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'université Paris-Panthéon-Assas. "Si ce n'est deux précédents, en 1976 et en 1988, où des ministres démissionnaires ont siégé pour élire des membres du bureau, mais ça a duré trois jours. Là, on parle de ministres qui expédieraient les affaires courantes pendant bien plus longtemps."

Le Conseil constitutionnel a déjà, par le passé, été saisi au sujet l'élection à la présidence de l'Assemblée nationale, pour laquelle il s'est déclaré incompétent, mais jamais sur une incompatibilité de siéger en tant que ministre démissionnaire dans l'hémicycle. "Le Conseil constitutionnel n'est pas légitime pour répondre à ces questions", a précisé l'institution à franceinfo.

Casse-tête juridique et "problème d'équilibre démocratique"

Alors, chacun y va de son interprétation. "C'est très simple", affirme pourtant à franceinfo Paul Cassia, professeur de droit public à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. "Les ministres ne peuvent pas voter à l'Assemblée, puisque la loi organique prévoit un délai de trente jours [après leur départ du gouvernement] avant qu'ils ne redeviennent députés. En attendant, ils ont leurs suppléants." Il conteste la position de Matignon, "juge et partie" dans cette affaire.

Un autre spécialiste de la Constitution, Thibaud Mulier, de l'université Paris Nanterre, juge plus pertinent de se fonder sur l'article 23 de la Constitution, supérieure aux lois dans "la hiérarchie des normes", et qui permet de considérer "qu'aucun délai n'est attendu". Il penche plutôt pour interpréter le droit de cette manière : une fois que Gabriel Attal et ses ministres auront démissionné, ils ne seront plus "un gouvernement au sens de l'article 20, [ils] ne [pourront] plus 'déterminer et conduire la politique de la nation'. L'incompatibilité disparaît." Ce qui ne résout pas tous les questionnements, reconnaît-il :

"Mais à ce moment-là, lors des questions au gouvernement, vous avez M. Attal, député, président de groupe, qui pose une question à M. Attal, Premier ministre, qui expédie les affaires courantes ?"

Thibaud Mulier, constitutionnaliste

à franceinfo

Un point de vue que n'est pas loin de partager Benjamin Morel. "Le ministre démissionnaire n'est plus ministre, il fait office de ministre. Mais si ça dure plusieurs mois, ça devient un problème d'un point de vue de l'équilibre démocratique", estime-t-il. Avant de détailler : "Est-ce qu'un gouvernement démissionnaire peut demander au président de la République une session extraordinaire en septembre ? J'aurais tendance à dire non, mais il n'y a pas de précédent. Je ne vois pas non plus comment on pourrait présenter un budget sous le sceau des affaires courantes."

Il reste un point sur lequel les spécialistes interrogés par franceinfo tombent d'accord : un gouvernement démissionnaire ne peut pas faire l'objet d'une motion de censure car "il n'existe plus juridiquement", résume Thibaud Mulier. "On ne peut pas censurer un gouvernement déjà tombé", appuie encore Benjamin Morel. Ce qui promet des débats juridiques nombreux si la formation d'un nouveau gouvernement n'intervient pas dans un délai relativement court. 

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