Elections législatives 2024 : qui va pouvoir gouverner la France en l'absence de majorité absolue à l'Assemblée, dans un contexte "totalement inédit" ?
"Ça ne se fait pas sur un coin de table", glisse, au soir du second tour des élections législatives, un proche d'Emmanuel Macron. Les discussions autour d'une coalition gouvernementale s'annoncent âpres tant les résultats du dimanche 7 juillet ont fragmenté l'Assemblée nationale en trois blocs. Contrairement à ce qu'annonçaient les sondages, c'est le Nouveau Front populaire (NFP), l'alliance des partis de gauche, qui est arrivé en tête, et non le Rassemblement national. Les leaders de l'ex-Nupes ont d'ailleurs immédiatement revendiqué leur légitimité à gouverner, sans avoir obtenu pour autant la majorité absolue. Le parti d'extrême droite termine troisième, tandis que le camp présidentiel résiste mieux que prévu en arrachant la deuxième place.
"Fidèle à la tradition républicaine", Gabriel Attal a annoncé qu'il remettrait sa démission au président de la République lundi matin. Tout en anticipant déjà qu'il pourrait rester chef du gouvernement le temps de la constitution d'un nouveau gouvernement. "Notre pays connaît une situation politique sans précédent et se prépare à accueillir le monde dans quelques semaines. Aussi, j'assumerai bien évidemment mes fonctions, a-t-il assuré, en faisant référence aux Jeux oIympiques. Aussi longtemps que le devoir l'exigera." Dans les couloirs du pouvoir, dimanche soir, le flou régnait. "On attend la suite", confiait une source ministérielle.
"Des turbulences, pas une crise de régime"
A l'Elysée aussi, on temporise, le temps d'y voir plus clair. Le chef de l'Etat, qui ne s'est pas exprimé dimanche soir, attendra la "structuration" de la nouvelle Assemblée nationale pour "prendre les décisions nécessaires", a fait savoir la présidence. Dans son entourage, on s'interroge ouvertement sur la suite : "La question qu'il va falloir se poser ce soir et dans les prochains jours, c'est 'quelle coalition cohérente et d'idées est capable d'atteindre les 289 députés pour gouverner ?'" La réponse est bien loin d'être évidente, à cette heure. Selon notre estimation Ipsos-Talan pour France Télévisions, Radio France, France 24, RFI et LCP, le Nouveau Front populaire obtiendrait de 177 à 192 sièges, le camp présidentiel de 152 à 158 sièges et le RN, de 138 à 145 sièges. "On ne sait pas qui va gouverner", livre Simon Persico, enseignant-chercheur en sciences politiques à Grenoble.
"On connaît les forces politiques mais il faut maintenant se mettre d'accord sur un programme. Tout cela prend du temps."
Simon Persico, politologueà franceinfo
"C'est totalement inédit avec trois blocs, même s'ils ne sont pas équilibrés, embraye le constitutionnaliste Thibaud Mulier. Mais, pour le moment, nous vivons des turbulences, pas une crise de régime. Institutionnellement, ça peut fonctionner. Il va y avoir des reconfigurations importantes dans la pratique mais le texte de la Ve République est suffisamment malléable". Depuis Matignon, Gabriel Attal a ainsi appelé à entrer dans une "nouvelle ère". "Il faudra inventer quelque chose de neuf, de grand, d'utile, a plaidé le Premier ministre. Pour cela, nous devrons assumer de tout remettre en question".
Le temps de l'hégémonie macroniste est terminé, tout comme la parenthèse des deux années mouvementées au Palais-Bourbon où le camp présidentiel n'avait qu'une majorité relative. "Il ne faut pas reproduire les erreurs de 2022. Donc tirer les conséquences du vote avec une coalition de projet", assure un proche d'Emmanuel Macron.
Dans le camp présidentiel, les chefs de partis ont commencé à poser le périmètre des négociations, tant sur le fond que sur la forme. "Nous formaliserons des conditions préalables à toute discussion en vue d'une majorité de projet", a ainsi déclaré le patron de Renaissance, Stéphane Séjourné, citant pêle-mêle la défense de la laïcité, le maintien du soutien à l'Ukraine, la lutte contre le dérèglement climatique ou la sécurité comme "priorités de l'action gouvernementale". "Je suis prêt à travailler avec l'ensemble des partis républicains", a-t-il également dit, tout en excluant que "Jean-Luc Mélenchon et un certain nombre de ses alliés" puissent gouverner la France. De son côté, Edouard Philippe a appelé "à la création d'un accord qui stabilisera la situation politique", en rejetant un accord avec le RN ou LFI. "Mais cet accord ne sera pas durable. Il permettra au mieux de gérer le pays", a prévenu l'ancien Premier ministre.
Un gouvernement NFP, mais avec qui ?
Au sein de l'alliance de gauche, les ténors des quatre principaux alliés (LFI, PS, Les Ecologistes-EELV et PCF) sont à l'unisson sur la capacité du Nouveau Front populaire à gouverner à l'issue de ce second tour, bien qu'il ne dispose pas de la majorité absolue. Mais de nombreuses questions restent en suspens et les partis divergent sur une éventuelle coalition. Comme le 30 juin au soir du premier tour, Jean-Luc Mélenchon a parlé le premier. Le patron des insoumis, première force en sièges au sein du NFP, a estimé que "le président a le devoir d'appeler le Nouveau Front populaire à gouverner". Il a exclu toute discussion avec le camp présidentiel. "Aucun subterfuge, arrangement ou combinaison ne serait acceptable", a lancé le tribun depuis Paris.
La position des socialistes est plus nuancée. Le groupe PS, qui gagne une trentaine de fauteuils par rapport à juin 2022, espère installer un nouveau rapport de force avec LFI. Après avoir déclaré que le programme de l'alliance de gauche serait sa "seule boussole", le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a demandé au camp présidentiel de ne "jamais mêler [ses] voix à celles de l'extrême droite pour empêcher le Nouveau Front populaire de gouverner". Une manière de reconnaître que le NFP ne pourrait pas gouverner sans le soutien d'une partie des députés élus sous l'étiquette Ensemble.
L'ancien président de la République François Hollande, de nouveau élu député en Corrèze, a été plus explicite, estimant que le NFP devait "chercher, s'il peut, à agréger d'autres familles politiques", tout en concédant que cela allait être "très difficile". Ardu, mais indispensable pour pouvoir faire voter des lois, selon les socialistes. "Nous n'avons qu'une majorité relative, et nous sommes concurrencés par le bon maintien du camp présidentiel. Donc le centre de gravité d'un gouvernement sera de centre gauche", estime un cadre socialiste à l'issue d'une réunion du bureau national.
"Il faudra que le Premier ministre soit capable d'avoir l'agrément du président, des macronistes, et qu'il puisse embarquer les socialistes et une partie de LFI".
Un cadre du Parti socialisteà franceinfo
Les écologistes semblent eux aussi ouverts à l'idée de trouver des soutiens. "Comme nous sommes le groupe arrivé en tête, il nous revient de construire des majorités autour de notre projet", a lancé le sénateur écologiste Yannick Jadot sur BFMTV. La patronne des Verts, Marine Tondelier, a toutefois temporisé, assurant dimanche que "ce soir (...) ce n'est pas non plus le moment de proposer un ou une Première ministre, c'est trop tôt".
Intenses tractations en vue
Les discussions ne font que commencer à gauche. La députée LFI Clémentine Autain a proposé que les quatre partis de gauche se réunissent lundi pour discuter d'un nom de Premier ministre à proposer à Emmanuel Macron. Mais comment le NFP pourrait-il convaincre des députés moins à gauche de soutenir son projet ? Le communiste Léon Deffontaines a listé sur CNews les chantiers prioritaires sur lesquelles la gauche pourrait essayer de trouver des consensus à l'Assemblée : "la réforme des retraites, la question du pouvoir d'achat, l'augmentation des salaires, l'augmentation des pensions de retraite..." L'insoumis Manuel Bompard, réélu député des Bouches-du-Rhône, a lui aussi insisté sur "l'augmentation du smic", "le blocage des prix sur les produits de première nécessité" et "l'abrogation de la réforme des retraites".
De son côté, le chef de l'Etat pourrait s'appuyer sur un autre groupe pour tenter de résoudre l'équation complexe de la majorité absolue à l'Assemblée. Les Républicains, qui ont mieux résisté que prévu, pourraient apporter le soutien de leur soixantaine de députés à un gouvernement penchant vers la droite. Avec, éventuellement, le soutien des députés RN sur certains textes ?
Quelle que soit la direction choisie, les négociations risquent de prendre du temps. Mais un conseiller ministériel était convaincu, avant même les résultats du second tour, que la construction d'une coalition serait un héritage à mettre au crédit d'Emmanuel Macron : "Ce sera le plus grand legs du macronisme : si dans dix ans, on a appris à faire des coalitions, ça aura servi."
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