Infographie Législatives 2024 : les résultats des élections plaident-ils pour l'instauration d'un scrutin à la proportionnelle ?

Article rédigé par Thibaud Le Meneec
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
L'hémicycle de l'Assemblée nationale, à Paris, le 9 avril 2024. (MAXIME GRUSS / HANS LUCAS / AFP)
Après des décennies de majorités claires à l'Assemblée nationale, les élections législatives anticipées ont fait émerger trois blocs principaux, sans qu'aucun n'ait assez de poids politique pour prétendre gouverner seul. Un scrutin à la proportionnelle aurait-il changé la donne ?

Un morcellement historique. L'Assemblée nationale née du second tour des élections législatives anticipées, dimanche 7 juillet, se divise en trois blocs principaux, mais sans majorité absolue. La gauche unie au sein du Nouveau Front populaire, le camp présidentiel fédéré dans Ensemble et le Rassemblement national et ses alliés ont échoué chacun à dépasser les 200 sièges, loin du seuil fatidique des 289 députés, synonyme de majorité absolue et de gouvernement à l'abri d'une motion de censure.

Avec cette Assemblée sans majorité claire, plusieurs voix ont plaidé pour un passage du scrutin majoritaire à la proportionnelle. De manière simplifiée, ce mode d'élection consiste à accorder à chaque parti le nombre de sièges qui correspond au nombre de voix qu'il a récoltées. Ce n'est pas le cas aujourd'hui : les partis présentent des candidats, circonscription par circonscription, avec la nécessité de rassembler 50% des suffrages pour rafler le siège de député. L'élection peut se jouer en un tour ou, plus souvent, en deux.

Longtemps "réservé" sur la proportionnelle, l'ancien président François Hollande se dit aujourd'hui converti. "Compte tenu de ce qu'est la vie politique française, de son fractionnement, de la dureté pour faire des désistements, de la frustration que ça peut induire", il faut "que cette représentation proportionnelle puisse être maintenant la loi commune", a plaidé sur franceinfo début juillet celui qui a été élu de Corrèze au second tour. 

La proportionnelle est une demande ancienne de certains partis politiques, comme le MoDem du centriste François Bayrou ou le RN de Marine Le Pen. Le parti d'extrême droite avait réalisé une première percée parlementaire en 1986, avec 35 députés, à l'occasion de l'introduction temporaire de ce mode de scrutin aux législatives. 

Pour savoir si la proportionnelle aurait modifié la donne par rapport à la composition de l'Assemblée nationale sortie des urnes après les législatives, il faut s'appuyer sur les scores du premier tour, car un scrutin à la proportionnelle ne se dispute pas en deux tours. Plusieurs types de proportionnelles sont envisageables : intégrale ou  départementale, mais aussi avec un seuil de qualification à 5% des voix, comme aux élections européennes.

Pas de majorité absolue avec une dose de proportionnelle

En appliquant cette dernière hypothèse aux résultats du premier tour des législatives, seuls quatre blocs enverraient des députés à l'Assemblée : le RN et ses alliés, le Nouveau Front populaire, le bloc présidentiel et les LR et divers droite. Les autres forces politiques, sous les 5% des suffrages, ne disposeraient d'aucun élu.

Le RN et ses alliés de droite et d'extrême droite auraient obtenu davantage d'élus qu'ils n'en ont actuellement (209 députés, contre 143), à l'inverse du bloc présidentiel (127, contre 163) et des Républicains (64, contre 66), mais sans changement notable pour la gauche (177, contre 180).

"Le mode de scrutin majoritaire a des effets déformants", résume la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina. C'est ce qu'ont notamment dénoncé de nombreux partisans du RN depuis dimanche soir : la composition de l'Assemblée ne reflèterait pas suffisamment le "suffrage populaire", à savoir les rapports de force en termes de voix .

"Le scrutin majoritaire est moins fidèle à la représentation des voix que la proportionnelle."

Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste

à franceinfo

Si la proportionnelle avait été appliquée, la situation aurait en outre été bien différente, notamment avant le dépôt des listes. Avec le scrutin majoritaire, "l'offre électorale est réduite au premier tour", analyse le professeur de droit public Bastien François. Dans la configuration actuelle, chaque parti ne tente pas de défendre à tout prix ses propres couleurs, mais tente de s'allier avec des partenaires pour se qualifier au second tour et avoir une chance de gagner. "On a l'habitude de dire qu'on choisit au premier tour et qu'on élimine au second", prolonge Anne-Charlène Bezzina.

Le front républicain pour empêcher le RN d'arriver au pouvoir a ainsi pleinement fonctionné, en raison de nombreux désistements à gauche et au centre. "Au second tour, la plupart des électeurs ont voté pour le moins pire, par défaut", pointe Bastien François. Dans certaines circonscriptions, ces désistements ont conduit à des élections de députés avec des scores très importants. Le spécialiste déplore des "voix perdues" qui, dans un système à la proportionnelle, seraient allées à un autre candidat et aurait renforcé un autre parti au niveau national.  

Des négociations inévitables, quel que soit le mode de scrutin

La proportionnelle aurait une autre vertu, défend le spécialiste : "Aucun parti minoritaire ne peut avoir la majorité à lui tout seul, ce qui oblige les partis à faire des coalitions." Le maître de conférences en science politique Thomas Ehrhard considère cependant que ce mode de scrutin "ne crée pas plus de fragmentation que le scrutin majoritaire, qui ne permet pas mieux de dégager des majorités", comme c'est le cas aujourd'hui. Les alliances et les négociations entre partis, elles, interviennent dans les deux cas. 

"Le Nouveau Front populaire n'aurait pas existé avant un scrutin à la proportionnelle, mais se serait constitué après."

Thomas Ehrhard, maître de conférences en science politique

à franceinfo

L'expert récuse le fait que la proportionnelle développe également une culture du compromis, que les autres pays européens auraient et dont la France serait dépourvue. "Chaque contexte électoral est unique, le rapport de force dépend de l'arithmétique au Parlement. Les partis allemands le réapprennent à chaque scrutin : ils regardent d'abord les résultats en sièges et négocient ensuite les coalitions. Et en fonction du nombre de sièges qu'il manque pour une majorité absolue, ces négociations sont plus ou moins difficiles."

Une réforme facile à adopter ?

Introduire la proportionnelle reste "la seule chose qu'on est capable de faire pour le moment", appuie de son côté Bastien François. "Elle ne nécessite ni révision de la Constitution, ni référendum, car elle relève d'une loi organique et il peut y avoir une large majorité en sa faveur", explique-t-il. Aux yeux du leader insoumis Jean-Luc Mélenchon, "une majorité existera" en faveur de la proportionnelle, "si le groupe du Nouveau Front populaire dépose une telle loi", a-t-il martelé sur LCI, lundi soir.

Une réforme aussi concrète que symbolique, dans un contexte où les divisions politiques à surmonter pour former un gouvernement sont nombreuses. "Pour les partis, cela permettrait de dire à l'électorat qu'ils se sont tapés sur la gueule et que dorénavant, la voix des citoyens pèsera davantage sur la politique du futur gouvernement", relève Bastien François.

Quoi qu'il arrive, l'élection des députés à la proportionnelle ne relève pas de l'avenir immédiat. D'une part, rien ne dit que la nouvelle Assemblée nationale sera saisie de cette réforme ou mettera sur la table ce projet. De l'autre, selon l'article 12 de la Constitution, "il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces élections". En théorie, les prochaines élections législatives qui suivraient une éventuelle nouvelle dissolution n'auraient pas lieu avant l'été 2025.

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