Présidentielle 2022 : le débat de l'entre-deux-tours entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron peut-il faire basculer l'élection ?
Ce rendez-vous, vu comme l'acmé de l'entre-deux-tours, vient généralement confirmer la dynamique de campagne des candidats.
"Oh oui, je vais vous retrouver ça immédiatement et vous allez voir que vous allez être en difficulté !" lance une Marine Le Pen en plongeant avec panique dans ses fiches. Le débat de l'entre-deux-tours de la présidentielle 2017 a commencé depuis une douzaine de minutes quand la candidate du Rassemblement national commet une première faute en confondant le dossier du rachat de SFR avec celui d'Alstom. "Vous savez, il y en a un qui fait des téléphones et l'autre, ça n'a rien à voir, il fait des turbines et du matériel industriel..." se moque alors Emmanuel Macron.
"Je pense qu'il y avait une insuffisante maîtrise des dossiers, on l'a vu dès le début avec cette erreur et ça l'a déstabilisée jusqu'au bout du débat", note aujourd'hui Florian Philippot, son conseiller à l'époque, qui a claqué la porte du RN fin 2017. "Elle ne pouvait pas l'emporter, mais les sondages la plaçaient avant le débat entre 40 et 41%, et au final, elle fait 6 ou 7 points de moins."
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Cinq ans plus tard, Marine Le Pen assure avoir tiré les leçons de 2017 à l'heure de retrouver Emmanuel Macron pour un nouveau débat, mercredi 20 avril. D'autant que les enjeux semblent cette fois bien différents. "Dans un contexte très serré comme aujourd'hui, remporter le débat peut vous permettre de gagner l'élection", estime ainsi Arnaud Mercier, professeur en communication politique à l'université Paris Panthéon-Assas.
"Si les sondages nous disent que les deux candidats sont à 51% et 49%, le débat aura une importance énorme."
Arnaud Mercier, professeur en communication politiqueà franceinfo
Les historiens se souviennent du premier match télévisé d'entre-deux-tours entre Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand. Les sondages placent alors les deux hommes au coude-à-coude pour la victoire finale et le débat va faire pencher la balance, selon l'avis des deux protagonistes. "François Mitterrand pensait y avoir perdu l'élection de 1974, assure Valéry Giscard d'Estaing en 2012 au Parisien. Il m'avait confié : 'Votre 'vous n'avez pas le monopole du cœur' m'a déstabilisé, elle m'a coupé le souffle. Ce soir-là, j'ai perdu 300 000 électeurs.' Un vrai débat peut faire gagner ou perdre." Le second tour de l'élection de 1974 s'est joué sur un écart d'environ 400 000 voix.
Pour le sortant, "une situation plus inconfortable"
Si Emmanuel Macron garde un bon souvenir du débat de 2017, il sait que tout a changé depuis. "Emmanuel Macron sera dans une situation beaucoup plus inconfortable parce qu'il a un bilan, observe l'historien et politologue Jean Garrigues. Rappelez-vous de la punchline de Mitterrand en 1981, qui avait attaqué VGE sur son bilan, en le qualifiant 'd'homme du passif'."
Nicolas Sarkozy s'était lui-même trouvé dans cette position délicate en 2012. Face à lui, "François Hollande était plus libre, il n'avait pas la charge des années de responsabilité au pouvoir", commente Franck Louvrier, conseiller en communication à l'époque de l'ex-président. Lors du débat de l'entre-deux-tours, Nicolas Sarkozy était ainsi resté scotché face aux "Moi président" de son adversaire socialiste. "Il n'avait pas fait de débat depuis cinq ans, ajoute Franck Louvrier. Comme le président de la République aujourd'hui..."
"Sur ce point-là, il est vrai que Marine Le Pen a un avantage, car l'entraînement, ça joue…"
Franck Louvrier, ancien conseiller de Nicolas Sarkozyà franceinfo
En 2017, Marine Le Pen a d'ailleurs tenté d'attaquer Emmanuel Macron sur son bilan de ministre de François Hollande, "mais ce n'était pas le bon angle, car personne ne connaissait Macron à l'époque", reconnaît un cadre du RN. "Cette fois, Emmanuel Macron a un bilan et il existe un vrai fond anti-Macron, analyse Arnaud Mercier. Si Marine Le Pen parvient à pointer les aspects négatifs du bilan et qu'elle arrive à se crédibiliser, alors on ne peut pas exclure que sa performance lui permette de mobiliser un électorat, notamment à gauche, qui déteste Macron."
"La confirmation d'une dynamique"
Marine Le Pen a désormais plus de cordes à son arc. "Elle va l'attaquer sur les erreurs de com', les petites phrases blessantes, l'immigration, la sécurité, l'affaire McKinsey…" anticipe Jean Garrigues. Car le débat est aussi l'occasion d'exploiter les failles de son concurrent. Franck Louvrier se souvient bien de la préparation de Nicolas Sarkozy avant son face-à-face avec Ségolène Royal, en 2007. "L'enjeu était compliqué, puisqu'on avait pour la première fois un homme face à une femme", raconte-t-il.
"On avait considéré qu'il fallait travailler sur le fond, aller sur la décrédibilisation de l'adversaire. Mais on avait pris soin de ne pas attaquer la personne."
Franck Louvrierà franceinfo
Ségolène Royal s'était quant à elle montrée offensive, "car elle était en retard dans les sondages", analyse Jean Garrigues. Selon l'historien, "le débat de l'entre-deux-tours, bien qu'incontournable, n'a jamais été décisif. Il est toujours la confirmation d'une dynamique de campagne." Il estime qu'il s'agit généralement du reflet de la situation politique du moment. "C'est toujours celui qui est en position de favori qui remporte le débat. Sauf peut-être en 1995, où Chirac et Jospin se sont neutralisés."
"Les mains dans les poches"
"Il y a plus à perdre qu'à gagner dans un débat. Je ne pense pas qu'on puisse faire déplacer beaucoup de voix, mais on peut abîmer son image, analyse Franck Louvrier. Les convaincus sont rassurés et les adversaires sont confirmés. Bref, les choses se gélifient. Le débat ne fera pas basculer l'élection, sauf s'il y a une faute de carre de l'un des deux." Justement, au Rassemblement national, le traumatisme du débat raté en 2017 est encore dans toutes les têtes. Marine Le Pen l'admet. "Le débat a été un échec dont j'ai payé un prix très lourd", confiait-elle à franceinfo en mars.
Pour plusieurs ténors du RN, c'est l'impréparation qui a envoyé Marine Le Pen dans le mur, le 3 mai 2017. "Ils n'avaient pas trouvé mieux que de lui coller des rendez-vous la veille du débat jusqu'à deux heures du matin. Elle était tout simplement épuisée." Dans leur viseur : "Les frères Philippot qui étaient arrivés les mains dans les poches sans rien préparer." Ils accusent l'ex-directeur stratégique Florian Philippot et son frère Damien, ancien de l'institut de sondages Ifop, d'avoir conseillé à la candidate d'extrême-droite de se montrer offensive. "C'était une faute stratégique. Les gens n'étaient pas prêts à ça, ils voulaient un débat à fleurets mouchetés", rembobine Philippe Olivier, conseiller spécial de la candidate. Florian Philippot rejette la faute sur la candidate, qui semblait "découvrir ses fiches dans la loge de maquillage" selon lui.
Cette année, la finaliste de la présidentielle a voulu préparer son match retour en ne laissant rien au hasard. Agenda assoupli, mise au vert, fiches et notes thématiques, débats factices… Marine Le Pen a fait de ce débat la priorité de sa campagne d'entre-deux tours. "Elle est consciente qu'elle ne peut pas passer à côté de ce rendez-vous, qui sera sans doute suivi par plus de 16 millions de téléspectateurs. On lui a tous suggéré de bien le préparer, de bien se reposer pour qu'elle n'arrive pas stressée", confie Steeve Briois, le maire RN d'Hénin-Beaumont.
"Les jeux du cirque au XXIe siècle"
Pour ne pas laisser penser que le débat serait l'unique objectif de cette fin de campagne, son entourage tente de dédramatiser. "Oui, elle va s'isoler quelques jours pour prendre du temps, mais il faut arrêter d'être aussi excessif", confirme Jean-Philippe Tanguy, son directeur adjoint de campagne. "Elle ne va pas non plus se reclure dans un monastère. La priorité, c'est la campagne."
Du côté d'Emmanuel Macron, peu d'information ont filtré sur la préparation. Contrairement à sa rivale, le président semble davantage vouloir banaliser ce rendez-vous. "Ce sera dûment préparé mais comme un des éléments du second tour", tranche l'un de ses conseillers. Du point de vue de la stratégie, le candidat cherchera à mettre son adversaire dans "l'inconfort pour qu'elle montre son vrai visage", confie un cadre LREM.
"L'élection ne se joue pas sur un débat."
un conseiller d'Emmanuel Macronà franceinfo
Pour le sénateur LREM François Patriat, ce n'est pas la forme mais bien le fond qu'il faut travailler. Selon lui, le match se jouera avant tout sur la compétence. "Dans un moment aussi tragique, la question est de savoir à qui l'on doit confier les clefs du pays. A Madame Le Pen et son concours Lépine de la solution démagogique ? Je ne le crois pas."
Mercredi soir, des millions de Français seront au rendez-vous devant leur téléviseur pour "ce spectacle médiatique", prévient Franck Louvrier. "C'est un peu les jeux du cirque, à la mode du XXIe siècle, s'amuse-t-il. La presse et les Français attendent ce match retour. On sait qui a été le perdant de la saison 1, on attend le perdant de la saison 2."
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