Avec une ministre démissionnaire à sa tête, pourquoi l'Education nationale fait sa rentrée des classes dans "une atmosphère étrange"

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
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La ministre démissionnaire de l'Éducation nationale, Nicole Belloubet, à l'Élysée (Paris), le 3 juillet 2024. (LUDOVIC MARIN / AFP)
Pour la première fois sous la Ve République, le retour sur les bancs de l'école aura lieu sans ministre de plein exercice. Une situation inédite qui s'empile avec l'instabilité ministérielle des derniers mois.

Après trois ministres en une année scolaire – quatre depuis la réélection d'Emmanuel Macron –, l'Education nationale prépare une rentrée sans personne au commandement, dans l'attente d'une cinquième nomination. Nicole Belloubet, à la tête de l'Education nationale durant cinq mois, est désormais démissionnaire, conséquence du résultat des élections législatives anticipées. Celle qui s'en tient à présent aux affaires courantes anime malgré tout, mardi 27 août, la traditionnelle conférence de presse de rentrée, après une réunion avec les recteurs lundi. C'est "inédit sous la Ve République", souligne l'historien de l'éducation Claude Lelièvre.

Depuis le départ de Pap Ndiaye en juillet 2023, trois ministres se sont succédé : Gabriel Attal, Amélie Oudéa-Castéra et Nicole Belloubet. "Avec ces changements, on n'a pas eu de vision à long terme, de mesures structurelles pour sortir l'école de la crise", dénonce Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat Snes-FSU. Une telle succession de ministres ne s'était pas produite depuis les années 1960. "Durant la période gaullienne, il y a eu cinq ministres en deux ans et 10 mois", rapporte Claude Lelièvre. Mais il existe des différences entre l'époque et aujourd'hui : "On est de plus en plus dans des annonces de communication. C'était déjà un péché mignon de Jean-Michel Blanquer, mais il y avait au moins de la stabilité ministérielle."

Des réformes tombées à l'eau

Ces ministres ont par ailleurs peiné à convaincre, quand ils n'ont pas carrément suscité le rejet. "Le premier [Gabriel Attal] a d'abord pensé à sa carrière politique, et cela a marché puisqu'il est devenu Premier ministre. La deuxième [Amélie Oudéa-Castera] a été une erreur de casting [prise au bout de quelques jours dans une polémique sur l'école privée]. La troisième a été une ministre de l'enlisement et n'a pas traité frontalement les problèmes de l'Education nationale", étrille Sophie Vénétitay.

L'année 2023-2024 a aussi été marquée par de multiples réformes. Certaines ont été mises en place aussitôt annoncées, comme l'interdiction du port de l'abaya et le report des épreuves de spécialités du baccalauréat de mars à juin. D'autres vont prendre corps à cette rentrée, dont les controversés groupes de niveau en 6e et en 5e pour le français et les mathématiques, décriés par la majorité des syndicats, qui y perçoivent un tri injuste des élèves.

"L'année dernière, on est tombés dans une caricature, où tout était prétexte à une nouvelle priorité. Or, le temps politique n'est pas le temps de l'école", regrette Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-Unsa, syndicat qui représente les chefs d'établissements. D'autres chantiers sont pour l'instant tombés à l'eau du fait de la dissolution de l'Assemblée nationale, à l'instar de la réforme de la formation des enseignants, annoncée par Nicole Belloubet mi-juillet sur RMC. C'est aussi le cas des nouveaux programmes, en maths et en français, et de la labellisation des manuels scolaires.

Une rentrée préparée malgré tout

A moins d'une semaine de la fin des vacances d'été, Bruno Bobkiewicz souligne que s'il réside "une atmosphère étrange", l'absence d'un capitaine à la tête du paquebot de l'Education nationale – 1,2 million d'agents au total"n'a pas de conséquence immédiate sur la préparation de la rentrée". Il relève que "les grandes lignes politiques avaient été décidées il y a quelques mois". Elles ont même été entérinées par la circulaire de rentrée publiée fin juin. Y apparaissent notamment les groupes de niveau pour les deux premières classes du collège.

Le secrétaire général du SNPDEN-Unsa rappelle aussi que, par définition, une rentrée est avant tout "technique", de la gestion des emplois du temps à la répartition des salles, en plus de se préparer dès le printemps. "Les académies, elles, continuent de recruter et d'éparpiller les enseignants dans les établissements", ajoute Bruno Bobkiewicz. "Il faut relativiser le rôle du ministre, les classes vont s'ouvrir, les recteurs [à la tête des académies] vont faire fonctionner le système", assure de son côté le sénateur Max Brisson, membre de la commission de l'éducation, interrogé par Public Sénat.

"Nous sommes dans une période de paralysie de l'action du gouvernement, pas de l'administration."

Max Brisson, sénateur LR

sur Public Sénat

Preuve en est, le 16 juillet, Caroline Pascal a été nommée nouvelle directrice générale de l'Enseignement scolaire, en remplacement d'Edouard Geffray. Cette "ministre bis" est chargée de mettre en place la politique éducative décidée par le gouvernement. "Pour l'instant, nous veillons à appliquer tout ce qui a déjà été concerté, arbitré, validé et publié. Il faudra attendre la nomination d'un nouveau gouvernement pour en savoir plus sur les éventuelles futures orientations politiques", a-t-elle confirmé vendredi dans les colonnes de L'Express

Des réponses attendues sur l'avenir

Ce cap ne pourra donc pas être donné par Nicole Belloubet mardi. Alors que la conférence de presse de rentrée sert habituellement à fixer les objectifs pour l'école durant l'année à venir, et à son ministre d'imprimer sa marque de fabrique, "le moment sera particulier cette année avec une ministre démissionnaire", anticipe Sophie Vénétitay.

"C'est normalement un temps très politique, or le gouvernement de Gabriel Attal a été désavoué dans les urnes. Nicole Belloubet aurait pu s'en tenir au strict minimum, avec la transmission d'un dossier de presse par exemple."

Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

à franceinfo

Mais pour Claude Lelièvre, "dans les traditions de l'école française, elle ne peut pas y déroger".

Deux questions demeurent : quand Nicole Belloubet cèdera-t-elle officiellement son siège et qui lui succédera ? La ministre démissionnaire pourrait encore être aux commandes après le 2 septembre. "Il est possible que je sois encore en poste, en tout cas, je me prépare à cette rentrée scolaire", a-t-elle déclaré sur RMC mi-juillet. Un mois et demi plus tard, ce scénario semble se confirmer, puisque Emmanuel Macron n'a toujours pas nommé de chef de gouvernement.

Pour Bruno Bobkiewicz, ce moment ne doit surtout pas s'éterniser. "On a besoin de savoir assez vite si certaines annonces mises de côté depuis la dissolution seront reprises par le futur ministre. Par exemple, le brevet va-t-il devenir obligatoire pour passer en seconde ? C'est une information que nous devons rapidement donner à nos élèves de 3e", illustre le représentant des chefs d'établissement. 

Reste le deuxième point d'interrogation. A la tête du ministère de l'Education nationale, "il faut quelqu'un qui connaisse au minimum la maison", observe Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC), auprès de l'AFP. "Ce n'est pas vraiment une question de personne, mais de budget, de prise de conscience des enjeux..." Alors que la profession souffre déjà d'un "problème de reconnaissance", Claude Lelièvre estime, lui, que "tenir compte des élections" pourrait améliorer le lien de confiance entre les enseignants et l'institution.

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