Guerre au Proche-Orient : cinq questions sur l'attaque d'envergure du Hezbollah libanais qu'Israël affirme avoir déjouée en partie

Le mouvement islamiste chiite a lancé dimanche des centaines de drones et de roquettes contre des objectifs militaires en Israël, qui avait anticipé cette attaque en frappant des milliers de rampes de lancement de roquettes.
Article rédigé par franceinfo
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Un drone du Hezbollah intercepté par les forces aériennes israéliennes au-dessus du nord d'Israël, le 25 août 2024. (JALAA MAREY / AFP)

Une attaque éclair. En quelques heures, le Hezbollah libanais a lancé, dimanche 25 août, des centaines de drones et roquettes contre des objectifs militaires en Israël. De son côté, l'armée israélienne affirme avoir mené des frappes préventives au Liban pour empêcher une "attaque d'envergure". Si le mouvement islamiste chiite a annoncé que son attaque était "terminée" pour la journée de dimanche et avait atteint ses objectifs, l'état d'urgence a été étendu à l'ensemble du territoire d'Israël et les Etats-Unis se sont dits "prêts à soutenir" leur allié.

En quoi a consisté cette attaque lancée depuis le sol libanais ?

Dans un communiqué émis depuis Beyrouth, au Liban, le Hezbollah a annoncé un peu avant 6 heures du matin (5 heures locales) avoir lancé "une attaque aérienne à l'aide d'un grand nombre de drones" sur le territoire israélien et notamment contre une "importante cible militaire" qu'il n'a pas identifiée dans un premier temps. Le puissant parti pro-iranien a ajouté avoir tiré "plus de 320" roquettes Katioucha sur 11 bases militaires en Israël et sur le plateau du Golan syrien, occupé par Israël. De son côté, l'armée israélienne a affirmé sur X que le Hezbollah avait tiré "plus de 150 projectiles depuis le Liban vers Israël"

L'attaque visait les "casernes et positions israéliennes afin de faciliter le passage des drones d'attaques" vers le territoire israélien "en profondeur", explique le Hezbollah, qui exerce une influence prépondérante au Liban. Le Hezbollah a ensuite affirmé que son attaque était "terminée" pour dimanche et qu'elle s'était "achevée avec succès". Lors d'une allocution télévisée, son chef, Hassan Nasrallah, a précisé que la "cible principale de l'opération" était "la base de Glilot, la principale base de renseignement militaire israélienne" à "110 km de la frontière". Elle abrite, selon des médias israéliens, le siège du Mossad, le renseignement extérieur israélien.

Quelle a été la manœuvre d'Israël pour la déjouer ?

Un peu avant 5 heures du matin (4 heures en France hexagonale), l'armée israélienne avait annoncé avoir lancé des frappes préventives au Liban pour déjouer "des attaques de grande envergure" après avoir observé des "préparatifs du Hezbollah" "contre le territoire israélien". "Toute personne se trouvant à proximité de zones où le Hezbollah opère doit quitter immédiatement les lieux pour se protéger et protéger sa famille", avait-elle exhorté. Les vols du matin à Tel-Aviv ont été immédiatement retardés ou déroutés.

Pendant cette opération, "une centaine d'avions ont frappé des milliers de rampes de lancement de roquettes pointées vers le nord d'Israël dans 40 zones de tir dans le sud du Liban", a détaillé un porte-parole militaire, le lieutenant-colonel Nadav Shoshani. Selon ce dernier, les tirs du Hezbollah faisaient partie d'une "attaque planifiée comme plus importante et nous avons pu en déjouer une bonne partie ce matin".

"Nous sommes toujours en train d'évaluer les dégâts provoqués par l'attaque [et] il y a encore des incendies, a ajouté cette même source. Mais je peux vous dire que les dégâts sont mineurs" du côté israélien. Toujours selon l'armée, la base de Glilot, visée, "n'a pas été touchée".

Le Hezbollah a de son côté démenti les "allégations mensongères" d'Israël sur la destruction de rampes de lancement de roquettes. Selon la chaîne de télévision Al-Manar du mouvement chiite, les raids israéliens ont visé les forêts de Kounin Rashf, al-Tayri, Beit Yahoun, al-Khardali, Zawtar, Iqlim al-Tuffah et al-Rayhan dans le sud du Liban. Le ministère de la Santé libanais a fait état d'au moins trois morts. L'armée israélienne a pour sa part annoncé la mort d'un soldat de la marine dans le nord du pays. 

Dans quel contexte s'inscrit cette offensive du Hezbollah ?

Depuis des semaines, la communauté internationale dit craindre une escalade militaire régionale entre l'Iran et ses alliés d'une part et Israël de l'autre, à l'heure où la guerre perdure à Gaza. Le lendemain de l'attaque du Hamas, le 7 octobre, en Israël, le Hezbollah avait aussi ouvert un front contre Israël. Depuis, la frontière entre les deux pays est prise dans un engrenage de violences.

Des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées dans une zone vidée de la majorité de ses habitants. Israël veut leur permettre de rentrer chez eux et, s'il le faut, déclarer la guerre à la milice chiite. Le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a ainsi juré dimanche matin de "tout faire" pour la "sécurité" des habitants du nord du pays et annoncé une réunion du cabinet de sécurité. Lors du conseil des ministres, il a prévenu qu'Israël n'avait pas dit "son dernier mot" avec ses frappes à l'aube sur le sud du Liban. Son ministre de la Défense, Yoav Gallant, a décrété l'état d'urgence sur le territoire d'Israël pour 48 heures se disant "convaincu qu'il existe une forte probabilité qu'une attaque soit menée contre la population civile également dans les autres zones du pays".

Cette offensive du Hezbollah, armé et financé par l'Iran, ennemi juré d'Israël, survient par ailleurs un mois après la mort d'un de ses chefs militaires Fouad Chokr, tué le 30 juillet dans une frappe israélienne sur la banlieue sud de Beyrouth. "C'est une réponse presque pavlovienne et attendue à cet assassinat", analyse pour franceinfo Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques et chercheur spécialiste du Moyen-Orient. Le Hezbollah ainsi que l'Iran et le Hamas palestinien avaient aussi menacé de répondre à l'assassinat imputé à Israël de l'ex-chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, à Téhéran le 31 juillet.

Comment réagit la communauté internationale ?

Les Etats-Unis, principal soutien d'Israël, se sont dits "prêts à soutenir" la défense de l'Etat hébreu. "Nous continuons à suivre de près la situation et nous avons été très clairs sur le fait que les Etats-Unis sont prêts à soutenir la défense d'Israël", a déclaré un porte-parole du Pentagone dans un communiqué. Un peu plus tard dans la journée, un haut responsable de défense américain a indiqué que les Etats-Unis avaient aidé l'armée israélienne à surveiller et suivre tôt les tirs du Hezbollah libanais vers Israël mais n'étaient pas intervenus directement.

La coordinatrice de l'ONU au Liban et les Casques bleus qui y sont déployés, ainsi que le Premier ministre libanais, ont quant à eux appelé à la désescalade. Ils ont souligné la nécessité d'un "retour à la cessation des hostilités, suivi de la mise en œuvre de la résolution 1701" de l'ONU, qui avait acté la fin de la guerre entre Israël et le Hezbollah en 2006.

C'est dans ce contexte explosif que les négociateurs au Caire devaient, en principe, poursuivre dimanche leurs discussions pour tenter d'obtenir un accord sur une trêve dans la bande de Gaza. Cette dernière session de discussions en date a été lancée jeudi dans la capitale égyptienne en présence des chefs du renseignement extérieur et intérieur israéliens, David Barnea et Ronen Bar, du directeur de la CIA, William Burns, du coordinateur de la Maison Blanche pour le Moyen-Orient, Brett McGurk, ainsi que des chefs du renseignement égyptien et qatari.

Cette attaque préfigure-t-elle une escalade dans la région ?

Pour David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Iris, spécialisé sur la région du Moyen-Orient, un "seuil est franchi" dans la "guerre au long cours" à laquelle se livrent Israël et le Hezbollah depuis l'attaque du 7 octobre. "Ce qui est inquiétant, c'est que le mouvement chiite aurait manifestement pris la décision d'une attaque de grande ampleur, avec potentiellement un risque élevé d'escalade si l'opération préventive israélienne n'avait pas eu lieu", analyse le spécialiste pour franceinfo. "Dans les éléments de langage dont on dispose, tout le monde se dit satisfait, poursuit-il. L'opération préventive israélienne a, semble-t-il, été efficace et le Hezbollah, de son côté, a pu faire montre de sa stratégie proactive dans sa solidarité avec la cause palestinienne. Mais cela soulève tout de même des questions pour la suite, dans la mesure où prévaut le syndrome du 'jusqu'où aller trop loin' pour toutes les parties."

Pour Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales et professeur émérite des universités à Sciences Po Paris, invité dimanche sur franceinfo, "le Hezbollah n'a aucun intérêt à une guerre totale" car il "aurait énormément à perdre dans un pays qu'il contrôle presque institutionnellement aujourd'hui". Mais le mouvement "ne peut pas non plus laisser faire lorsque l'un de ses dirigeants est tué par l'armée israélienne". D'après le spécialiste, le mouvement libanais développe une "stratégie nouvelle", en alliance avec l'Iran, qui consiste à "entretenir une situation d'incertitude".

"C'est hautement rémunérateur pour le Hezbollah qui donne l'impression d'être le maître du jeu. C'est lui qui décide quand faire monter la pression et l'attention ou pas. On ne sait pas à quel moment ni sous quelle forme cela peut intervenir."

Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales

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Quid de l'implication de l'Iran dans cette attaque et du risque d'embrasement régional ? Même si Téhéran a promis de répliquer à l'assassinat d'Ismaïl Haniyeh sur son sol, la République islamique d'Iran est "de plus en plus sur une ligne de temporisation et d'implication dans les négociations de cessez-le-feu", estime le chercheur Sébastien Boussois. Selon lui, le calendrier électoral américain n'est pas étranger à ce positionnement : "Si tout dérape au moment des élections présidentielles, il est clair que cela jouera probablement en faveur du candidat républicain et contre le camp démocrate. Or, l'Iran sait que si Donald Trump revient au pouvoir, ce sera bien pire pour son sort." 

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