Arrêtés en Syrie, en fuite, impliqués dans des combats... Que deviennent les membres du régime de Bachar al-Assad ?

"Nous poursuivrons les criminels de guerre et les exigerons des pays vers lesquels ils ont fui afin qu'ils reçoivent leur juste punition", a promis le chef de la coalition au pouvoir, Ahmad al-Chareh.
Article rédigé par Zoé Aucaigne, Chloé Ferreux
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Un combattant à côté d'un portrait déchiré de l'ancien dirigeant syrien Bachar al-Assad, le 26 décembre 2024, à Damas (Syrie). (SAMEER AL-DOUMY / AFP)

Ils étaient des milliers à servir un régime tyrannique. Depuis la chute de Bachar al-Assad, les nouvelles autorités de Syrie traquent les fidèles du dictateur déchu. L'un d'entre eux, le général Mohammed Kanjo Hassan, impliqué dans les condamnations à mort à la prison de Saydnaya, a été interpellé jeudi 26 décembre près de Tartous, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). L'arrestation de "l'un des criminels du régime d'Assad (...) représente une étape importante vers l'obtention de la justice", a salué la Coalition syrienne de l'opposition, qui réunit les principales formations politiques en exil, sur X.

En revanche, selon des experts, la plupart des hauts gradés et proches du dictateur ne sont déjà plus en Syrie. A l'inverse, les simples soldats et fonctionnaires du régime peuvent bénéficier de l'amnistie promise par le gouvernement de transition. Entre ceux graciés, arrêtés et en fuite, voici ce que deviennent les personnes qui ont travaillé pour le régime syrien renversé. 

Les hauts gradés proches de Bachar al-Assad en fuite 

"Nous poursuivrons les criminels de guerre et les réclamerons aux pays vers lesquels ils ont fui afin qu'ils reçoivent leur juste punition", a promis le chef de la coalition au pouvoir, Ahmad al-Chareh, aussi connu sous son nom de guerre Abou Mohammed al-Joulani, d'après un communiqué publié le 10 décembre sur Telegram

Car "il est évident" que les hauts gradés et lieutenants du régime "ont tous fui", a estimé le directeur de la Commission pour la justice internationale et la responsabilité (Cija), William Wiley, auprès de la chaîne de télévision britannique Sky News. Bachar al-Assad le premier. Le jour de la chute du régime, le dictateur syrien et sa famille sont partis en Russie, via la base militaire russe Hmeimim, située dans le nord de la Syrie, a-t-il raconté dans un communiqué.

"Il y en a à Moscou, en Iran, en Irak, au Liban…"

William Wiley, directeur de la Cija

à Sky News

"Il y a une bonne partie des anciens cadres dirigeants syriens en Irak", confirme Adel Bakawan, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri). "Ils peuvent y trouver refuge sans être inquiétés", au regard des bonnes relations entre le régime d'Assad et Bagdad. Selon le New York Times, Maher al-Assad, le frère du dictateur syrien déchu, s'est enfui par le désert irakien. Le ministère de l'Intérieur du pays a néanmoins démenti, lundi, sa présence en Irak, ainsi que celle d'Ali Mamlouk, l'ex-chef des services de sécurité et de renseignement syriens. Tous les deux sont visés par un mandat d'arrêt international émis par la France, notamment pour complicité de crimes contre l'humanité. 

Un portrait déchiré de Maher al-Assad, le frère du dirigeant syrien déchu Bachar al-Assad, gît sur le sol de sa villa à Yafour, près de Damas (Syrie), le 23 décembre 2024. (SAMEER AL-DOUMY / AFP)

La femme de Maher al-Assad et leur fils ont transité par Beyrouth pour rejoindre Dubaï, a confirmé le ministre de l'Intérieur libanais sortant, Bassam Mawlawi. La principale conseillère politique de Bachar al-Assad, Bouthaïna Chaabane, est également passée par Beyrouth, selon le ministre. 

D'autres membres du régime sont peut-être sur place. "S'il y a des militaires syriens qui sont entrés au Liban et ne sont pas recherchés, ils peuvent venir par les voies légales et rester au Liban", a précisé Bassam Mawlawi. Et pour les responsables syriens qui seraient sur la liste de la justice internationale ? "Il y a le Hezbollah", mouvement islamiste allié de Bachar al-Assad, sur lequel ils peuvent compter, souligne Adel Bakawan.

Des combattants pro-Assad continuent d'affronter HTS

Dans certains fiefs historiques de la minorité alaouite, dont est issu Bachar al-Assad, des combattants armés de l'ancien régime continuent de lutter. Le 15 décembre, des officiers incitaient d'ailleurs les civils à la violence sous prétexte de "défendre les alaouites", rapporte l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) sur X.

Les combattants pro-Assad se sont notamment repliés à Lattaquié, dans le sud de la Syrie, où se trouvent "des villes et des villages dans lesquels ils peuvent trouver refuge", observe Adel Bakawan. Cédric Labrousse, doctorant spécialiste du nord-est syrien, parle pour sa part de "véritable maquis de montagnes, de petits villages et de longues routes sinueuses" sur X

Le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), à la tête de la coalition qui a fait tomber le régime, multiplie les opérations à Tartous pour neutraliser les résistants. Mercredi, une arrestation a notamment tourné au drame, faisant 17 morts, lors d'affrontements entre les forces de sécurité générale et des hommes affiliés à un responsable de l'ancien pouvoir, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme.

La lutte entre des combattants pro-Assad et les forces de sécurité a fait quatre morts à Homs. A la frontière entre la Syrie et le Liban, autour de Tell Kalakh et al Quba, des combats étaient toujours en cours vendredi. Quant à la capitale Damas, le quartier majoritairement alaouite Mazzeh 86, où certains habitants ont servi dans les forces de sécurité de Bachar al-Assad, est bloqué par HTS, d'après la BBC

Des combattants affiliés à la nouvelle administration syrienne vérifient les papiers d'un conducteur après avoir fermé une route menant à Mazzeh 86, quartier à majorité alaouite, dans l'ouest de Damas, le 26 décembre 2024. (ANWAR AMRO / AFP)

Malgré les affrontements, les nouvelles autorités tentent de rassurer les différentes communautés en Syrie. "HTS, via sa présence militaire, fait tout pour ne pas être provocateur", souligne Adel Bakawan. Malgré ces paroles qui se veulent apaisantes, l'analyste Sam Heller de la Century Foundation, think tank progressiste américain, fait état auprès de l'AFP d'un "sentiment de vulnérabilité" qui monte au sein des minorités. 

Un haut dignitaire du régime arrêté

Le général Mohammed Kanjo Hassan a été capturé jeudi près de Tartous, avec 20 membres de sa garde rapprochée, rapporte l'OSDH, cité par l'AFP. Le chef de la justice militaire du régime d'Assad a condamné à mort des "milliers de personnes lors de procès expéditifs", a déclaré à l'agence de presse Diab Seria, cofondateur de l'Association des détenus et des disparus de la prison de Saydnaya, lieu devenu le symbole des violences de la dictature. Ce haut gradé y a enfermé des mineurs jusqu'à leur majorité, avant de leur imposer la pendaison, précise France Inter.

Une vue aérienne de la prison de Saydnaya, au nord de Damas (Syrie), le 16 décembre 2024. (SAMEER AL-DOUMY / AFP)


P
our Adel Bakawan, les responsables arrêtés et impliqués dans des crimes graves, comme "l'utilisation d'armes chimiques ou la torture", seront probablement "jugés lors de procès publics". Pour les autres, sans preuve directe, "il est fort probable qu'ils soient libérés dans le cadre de ce qu'on appelle la justice transitionnelle", souligne le chercheur.

L'amnistie accordée aux soldats et fonctionnaires

Les simples soldats ne sont pas visés par HTS. "Nous avons accordé l'amnistie à ceux qui étaient en service obligatoire", a déclaré Ahmad al-Chareh. Appelés à remettre leurs armes et papiers militaires aux nouvelles autorités, ils se sont présentés par centaines, ces derniers jours à Damas, pour être enregistrés, selon Associated Press

Des soldats du régime syrien déchu viennent s'enregistrer auprès des nouvelles autorités, le 23 décembre 2024, à Alep (Syrie). (KASIM RAMMAH / ANADOLU / AFP)

Les autorités vérifient qu'ils ne mentent pas sur leur situation. "On a des listes avec des noms de personnes recherchées, dont plus de 50 hauts gradés. On les a identifiés sur la base de vidéos et de témoignages", a expliqué un combattant de HTS, en poste à Tartous, au Monde. Cette promesse d'amnistie a en tout cas fait revenir près de 2 000 soldats qui avaient fui vers l'Irak lors de la chute du régime, rapporte Reuters

"Beaucoup de gens se sont rendus afin d'avoir certaines garanties pour rester dans le pays et ne pas vivre dans la panique."

Adel Bakawan, chercheur à l'Ifri

à franceinfo

Diplomates, fonctionnaires, et "tous ceux qui n'ont pas été impliqués dans les crimes contre le peuple syrien ont reçu l'amnistie", explique Adel Bakawan tout comme "les membres du parti Bass". La formation qui était au pouvoir a depuis annoncé sa suspension.

L'ex-Premier ministre Mohammed al-Jalali a lui aussi bénéficié de l'amnistie. "Lorsque les nouvelles autorités sont arrivées à Damas, la première personne qu'elles ont rencontrée, c'était lui. Il a été maintenu à son poste jusqu'à la formation d'un nouveau gouvernement", rappelle Adel Bakawan. Mohammed al-Jalali s'était, dans la foulée, dit prêt à apporter son soutien au nouveau "leadership".

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