Reportage "Il veut tout renverser à coups de sacs de billets" : en Pennsylvanie, la folle campagne pro-Trump du milliardaire Elon Musk fascine et inquiète

Article rédigé par Pierre-Louis Caron - envoyé spécial en Pennsylvanie (Etats-Unis)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le milliardaire Elon Musk remet un chèque d'un million de dollars à une signataire de sa pétition, le 28 octobre 2024 à Lancaster, en Pennsylvanie (Etats-Unis). (SAMUEL CORUM / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
Le propriétaire de Tesla, SpaceX et du réseau social X s'est donné pour mission de livrer cet Etat clé sur un plateau à Donald Trump. Quitte à s'attirer un flot de critiques et l'attention de la justice américaine.

"Offre spéciale pour les électeurs de Pennsylvanie ! Cent dollars si vous signez cette pétition." Le message ne pouvait pas être plus clair : en ratifiant un texte sur la liberté d'expression et le port d'armes avant le lundi 28 octobre, les votants enregistrés dans cet Etat du nord-est des Etats-Unis pouvaient toucher un billet, sans effort. Le tout par l'entremise de l'homme d'affaires Elon Musk et de son PAC America, un comité d'action politique engagé pour la victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine du 5 novembre.

"J'ai signé la veille de la date butoir, j'espère que j'aurai vite mon argent", raconte Jaden, commercial de 24 ans, rencontré sur le parking d'une station-service en bordure de Philadelphie. "J'allais déjà voter pour Trump, donc ça paiera le barbecue et les bières lorsqu'il aura gagné !", lance-t-il avant de s'engouffrer dans sa Tesla bleue.

Du 6 octobre au 5 novembre 2024, jour de l'élection présidentielle américaine, le milliardaire Elon Musk propose de payer jusqu'à 100 dollars chaque électeur d'un "swing state" signant sa pétition. (ANGELA WEISS / AFP / FRANCEINFO)

En Pennsylvanie, il n'y a pas que les voitures de la marque d'Elon Musk qui sillonnent les routes. L'homme le plus riche du monde, selon un classement de Bloomberg, s'est lui-même lancé dans une série de réunions politiques après s'être affiché au meeting de Donald Trump à Butler (Pennsylvanie), le 5 octobre. Il en est persuadé, c'est dans ce swing state, Etat extrêmement indécis et doté de 19 grands électeurs, que va se jouer l'élection.

Les enjeux y sont tellement élevés qu'Elon Musk s'est installé un "centre de commandement" à Pittsburgh, dans l'ouest de l'Etat, où il planifie ses coups avec une batterie d'avocats et de communicants, selon le New York Times. "Pennsylvanie : tout repose sur vous", a-t-il encore assuré dans un spot publicitaire le 25 octobre, avant de scander "Fight ! Fight ! Fight !", le nouveau slogan fétiche des pro-Trump depuis que ce dernier a échappé à la mort le 13 juillet.

"Nous sommes très reconnaissants de son soutien"

En plus d'être extrêmement actif en ligne sur X – le réseau social qu'il possède depuis 2022 et où il attise les théories complotistes –, Elon Musk a enchaîné les town halls, ces rencontres politiques à l'ambiance détendue, à travers toute la Pennsylvanie. Le 17 octobre, il est d'abord venu en banlieue de Philadelphie, bastion démocrate, pour expliquer que cette élection allait "décider du destin de l'Amérique et de la civilisation occidentale", comme l'a rapporté CBS News. Il a ensuite quadrillé l'Etat à la manière d'un démarcheur électoral, en se rendant à Pittsburgh, Harrisburg ou encore Lancaster, des villes pas forcément acquises au discours de Donald Trump.

L'homme d'affaires Elon Musk lors d'un meeting pro-Trump à Folsom, en Pennsylvanie (Etats-Unis), le 17 octobre 2024. (ANNA MONEYMAKER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

"Je ne vais pas mentir, nous sommes très reconnaissants de son énergie et de son soutien à Donald Trump", admet Glenn Geissinger, président du Parti républicain dans le comté de Northampton. "C'est génial que des gens comme Elon Musk adhèrent au programme de Trump", ajoute-t-il. Dans ce bassin industriel, le vote des habitants a préfiguré celui du reste du pays lors des trois dernières élections, en penchant pour Barack Obama en 2012, puis Donald Trump en 2016 et Joe Biden en 2020. "Cette fois-ci, nous allons l'emporter largement", prédit Glenn Geissinger, "plein d'espoir" grâce à la campagne d'Elon Musk et "aux talents d'orateur de Donald Trump, qui n'avait pas pu rencontrer les foules en 2020, à cause du Covid-19".

Une loterie quotidienne possiblement illégale

Son plus gros coup médiatique, Elon Musk l'a sûrement réalisé en proposant de verser chaque jour, entre le 19 octobre et le jour de l'élection, un million de dollars à un signataire de sa pétition choisi au hasard. L'offre est alléchante, mais ne concerne que les électeurs inscrits sur les listes dans l'un des sept Etats clés, soit l'Arizona, la Caroline du Nord, la Géorgie, le Michigan, le Nevada, le Wisconsin et bien sûr la Pennsylvanie. C'est d'ailleurs dans cet Etat que quatre gagnants ont déjà été tirés au sort, provoquant une flopée d'articles dans les médias locaux. "Je ne vois pas de différence avec le fait d'inviter une star comme Beyoncé dans son meeting", assure Glenn Geissinger, en faisant référence à l'apparition de la chanteuse au côté de la candidate démocrate Kamala Harris à Houston (Texas), le 25 octobre.

"Les deux camps ont recours à différentes techniques pour mobiliser leurs électeurs, et cela en fait partie. Elon Musk défend une idée, celle que l'on peut recevoir une sorte de récompense financière pour son engagement."

Glenn Geissinger, président du Parti républicain dans le comté de Lancaster (Pennsylvanie)

à franceinfo

Ce grand tirage au sort controversé n'a pas échappé au ministère de la Justice, qui, selon la presse américaine, a informé Elon Musk de possibles poursuites, car la loi interdit d'offrir une récompense à un citoyen pour voter ou s'inscrire sur les listes électorales. De son côté, l'association Public Citizen a porté plainte auprès de la Commission électorale fédérale pour "achat de votes à peine déguisé". A en croire l'ensemble des experts juridiques consultés par franceinfo, cette loterie se trouve dans une "zone grise" et a très peu de risques d'être condamnée. Qu'importe, pour le procureur de Philadelphie, Larry Krasner, qui a attaqué en justice Elon Musk et son comité le 28 octobre, pour cette "loterie illégale" accusée "d'entacher le droit à une élection libre et équitable", précise la plainte.

"C'est ça, notre démocratie ?"

Au total, Elon Musk aura sorti de sa poche 18 millions de dollars rien que pour récompenser les gagnants de cette loterie. Son investissement dans le comité PAC America est quant à lui évalué à plus de 118 millions de dollars, selon un décompte du magazine économique Forbes à partir des déclarations de la Commission électorale fédérale. De quoi faire d'Elon Musk le second donateur en faveur de Donald Trump, juste derrière l'homme d'affaires Timothy Mellon.

"Pour Elon Musk, c'est de l'argent de poche", fulmine Mary Ann Petyak, vice-présidente du Parti démocrate dans le comté de Luzerne, rencontrée dans son QG de campagne à Wilkes-Barre. Les fonds du patron de Tesla et SpaceX suffisent tout de même pour payer des équipes spécialisées dans le porte-à-porte et des publicités sur son réseau social X, seul endroit où les partisans de Donald Trump dépensent plus que les soutiens de Kamala Harris, rappelle le média en ligne Digiday. Face au succès de la loterie d'Elon Musk, Mary Ann Petyak se dit "inquiète" et s'interroge. "C'est ça, notre démocratie ? Donald Trump nous accuse à longueur de journée de tricher, mais il est soutenu par ce genre de méthodes... C'est préoccupant et même criminel", accuse-t-elle.

Dans la ville de Wilkes-Barre, en Pennsylvanie (Etats-Unis), les militants du Parti démocrate condamnent la loterie "criminelle" d'Elon Musk en lien avec l'élection présidentielle. (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

Chez d'autres démocrates de Pennsylvanie, on préfère relativiser l'ampleur de la campagne menée par Elon Musk. "Il veut tout renverser à coups de sacs de billets, mais ce n'est pas comme ça que ça marche", assure Tamesh Kemraj, coordinateur du porte-à-porte pour des candidats du parti dans les quartiers sud de Philadelphie. "En tant qu'organisateur au niveau local, je pense que c'est là que réside le pouvoir, explique-t-il. Des voisins qui se parlent entre eux, plutôt qu'un milliardaire qui jette de l'argent aux gens comme ça." Pour le militant démocrate, la campagne a toutefois pris une tournure "révoltante" cette année. "Qu'est-ce que cela dit de notre vie politique, du futur de notre pays ? Que l'on peut acheter des votes ou presque, sans aucune conséquence ?, interroge-t-il. Ça me donne la nausée."

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