Richard Ferrand, un ambitieux "marcheur" devenu la première épine dans le pied de Macron
Le ministre de la Cohésion des territoires est sur la sellette depuis de nouvelles révélations sorties dans la presse.
L'étau se resserre autour de Richard Ferrand. Jeudi 1er juin, le parquet de Brest a décidé d'ouvrir une enquête préliminaire dans l'affaire immobilière impliquant le ministre de la Cohésion des territoires.
Les révélations du Canard enchaîné, du Monde et de Mediapart ont fragilisé le maintien au gouvernement du député sortant du Finistère. Mais qui est vraiment cet élu breton de 54 ans, devenu très tôt un fervent d'Emmanuel Macron ?
Un élu breton "bosseur" et "ambitieux"
Un homme a lancé la carrière politique de Richard Ferrand : Kofi Yamgnane. En 1991, l'élu local breton socialiste est secrétaire d'Etat aux Affaires sociales et à l'Intégration dans le gouvernement d'Edith Cresson. Il recrute Richard Ferrand en tant que conseiller en communication, comme il le relate dans Ouest France. Et lorsque la famille Ferrand veut s'installer en Bretagne, c'est l'épouse du secrétaire d'Etat qui se charge de leur trouver une maison.
En 1998, Kofi Yamgnane met le pied à l'étrier à son protégé. "J'ai dit à Richard que je voulais qu'il devienne conseiller général. Il m'a répondu : 'OK, je suis un bon petit soldat.'" Il lui trouve un canton où se présenter : Carhaix (Finistère). La place est à prendre, mais les élus locaux de gauche ne veulent pas s'y risquer. "On a fait une campagne maison par maison et il a été élu", résume Kofi Yamgnane.
Les ambitions de Richard Ferrand ne s'arrêtent pas là. Le conseiller régional tente de prendre la mairie de Carhaix. Il échoue à deux reprises, aux municipales de 2001 et 2008, battu à chaque fois par le régionaliste Christian Troadec, future figure des Bonnets rouges. En 2007, il vise cette fois la députation. Le PS l'a préféré à son mentor. Il essuie un nouvel échec. Il ne parvient à emporter la 6e circonscription du Finistère qu'aux législatives suivantes, en 2012. Il bénéficie de l'élan impulsé par la victoire de François Hollande à la présidentielle. Mais aussi du désistement de Christian Troadec qui refuse de se maintenir dans une triangulaire qui pourrait faire les affaires de la droite.
Pour s'ancrer dans cette région, Richard Ferrand s'implique pour défendre son territoire. En 2008, il prend fait et cause pour l'hôpital de Carhaix, menacé de fermeture. Echarpe tricolore en bandoulière, il soutient les salariés du volailler Doux en grande difficulté, en 2012. Et à Paris, il ferraille à l'Assemblée contre la taxe poids lourds qui provoque une fronde des Bonnets rouges dans toute la Bretagne en 2013.
Mais l'homme divise. Si Kofi Yamgnane lui reconnaît "du flair politique", il pointe aussi un caractère "très ambitieux". "Son appétit pour le pouvoir est sans limite. On pourrait presque parler d’avidité", confirme l'eurodéputée socialiste Isabelle Thomas dans Le Monde. "Le personnage n’est pas vraiment sympathique, abonde le maire PS de Pont-de-Buis, Roger Mellouët. Il a utilisé des méthodes contestables, dont on n’avait pas forcément l’habitude dans nos contrées." "Quand vous n’étiez pas dans ses petits papiers, vos dossiers n’avançaient pas", charge également son grand rival Christian Troadec, dans Le Monde.
"Il fait presque l’unanimité sur sa circonscription. C’est un gros bosseur et il va être réélu sans problème", réplique dans Le Monde Jacqueline Bilirit, conseillère municipale à Carhaix. Ses près de 400 interventions dans l'Hémicycle en environ quatre ans confirme ce côté travailleur. "Les Bretons savent le travail que Richard Ferrand a fait à la région, renchérit dans Le Monde Florian Bachelier, référent En marche ! en Ille-et-Vilaine. Il n’y a pas de doutes sur ses qualités."
Un dirigeant qui a connu plusieurs vies
La carrière professionnelle de Richard Ferrand, elle aussi, doit beaucoup à Kofi Yamgnane. En 1998, c'est lui qui, grâce à "un ami", président des Mutuelles de Bretagne, le fait embaucher comme directeur général. Richard Ferrand y pilote un redressement judiciaire qui se solde par "une centaine de licenciements", raconte-t-il à France 3 Bretagne. "C'était très douloureux", se souvient Richard Ferrand, assurant avoir essayé de le négocier en douceur. "Le redressement d'entreprises, on ne le réussit pas d'en haut, juste avec l'état-major, mais ensemble. La schlague, ça ne marche plus."
Avant cela, Richard Ferrand a eu plusieurs vies. Ce fils d'un plâtrier et d'une mère employée de commerce, né en 1962 dans l'Aveyron, a fait, de son propre aveu, des études erratiques : un baccalauréat en Allemagne, une hypokhâgne à Toulouse, un Deug de droit et d'allemand à Paris. Il est tenté, un temps, par le métier d'avocat et par celui de journaliste. Après avoir fait ses armes à Centre Presse, il fait quelques piges pour Le Monde et Auto Moto. Il se retrouve ensuite, en 1988, à la tête d'une agence de graphisme, puis d'un cabinet de conseil en communication à Paris. Au milieu des artistes, il est "déjà le social-démocrate de la bande qui essayait de réconcilier les impératifs économiques avec les impératifs de création", plaisante-t-il, cité par France 3 Bretagne.
Et c'est aussi un peu par hasard que le jeune homme atterrit à gauche, grâce au père d'un de ses amis, "Maurice, un avocat de Rodez qui militait au PSU" de Michel Rocard. Parti seul à l'âge de 16 ans étudier en Allemagne, à Bielefeld, où il passe son bac par correspondance, il prend sa carte au PS à son retour, à 18 ans, en 1980, par admiration pour le futur président François Mitterrand. "J'étais un mitterrandolâtre précoce", confie-t-il, tout en reconnaissant avoir alors été "plus un auditeur libre qu'un militant" et n'avoir jamais mis les pied au siège parisien du PS.
Un "macronien" de la première heure
Entre Richard Ferrand et Emmanuel Macron, le coup de foudre est immédiat. "Ça a immédiatement accroché entre nous", confie-t-il au Monde, en mars. Le député du Finistère vient voir, en 2014, le ministre de l'Economie, pour critiquer durement un projet supposé sur les professions réglementées. "Vous, vous êtes franc au moins ! Ça tombe bien, moi aussi", lui répond Emmanuel Macron. Aussi sec, il lui confie un rapport sur le sujet. Richard Ferrand est conquis.
Nommé rapporteur général de la loi Macron, il bataille nuit et jour aux côtés du ministre de l'Economie à l'Assemblée, à partir de janvier 2015, pour porter son texte "contre les corporatismes". "Ensemble, retrace Libération, ils affrontent près de 400 heures de débats parlementaires : 9 000 amendements discutés plus tard, leur symbiose est totale." Amers, tous deux en veulent vivement à Manuel Valls, qui choisit de recourir à l'article 49.3, le 17 février 2015, pour faire passer la loi en force.
Une autre aventure commence, qui ne dit pas encore son nom. Rétrospectivement, Richard Ferrand verra dans cette bataille parlementaire les prémices du mouvement lancé par le futur président de la République. "C’est comme cela qu’est né En marche !. A la buvette de l'Assemblée, des élus de droite disent à Macron : 'Je voterais bien ta loi, mais je ne peux pas.' Quand vous découvrez les blocages politiques, soit vous arrêtez, soit vous faites quelque chose pour changer."
En attendant, Emmanuel Macron, toujours à Bercy, s'émancipe, multipliant les provocations et la prise de distances avec l'exécutif. Si Richard Ferrand manque deux ou trois fois d'"avaler sa cigarette", seuls "la visite au Puy du Fou et l’aveu de 'non-socialisme' de Macron devant le souverainiste Philippe de Villiers, hilare, lui restent vraiment en travers de la gorge", rapporte Libération.
Mais son soutien ne se démentira plus. Il est le premier député à rejoindre En marche ! dès sa création, en avril 2016. Nommé secrétaire général du mouvement, cet homme-clé de la campagne siège avec les happy few au sixième étage du quartier général, dans le 15e arrondissement. Et il n'hésite pas à recadrer les soutiens devenus encombrants, invitant sèchement Jacques Attali à "se taire" sur Whirlpool, ou reprochant à Laurence Parisot un rêve de carrière "dérisoire, inconvenant et vaniteux".
Un ministre rattrapé par un "mélange des genres"
Couronnement logique de cette loyauté sans faille, Richard Ferrand fait partie du premier gouvernement du quinquennat Macron. Le mercredi 17 mai, Edouard Philippe le nomme ministre de la Cohésion des territoires. Félicité de courte durée : une semaine plus tard, le ciel tombe sur la tête du Breton d'adoption. Le Canard enchaîné épingle à sa une le ministre, en révélant les dessous d'une affaire immobilière remontant à 2011. Selon le journal satirique, Richard Ferrand soigne ses proches, à commencer par sa compagne.
Lorsqu'il en est Directeur général, les Mutuelles de Bretagne décident de louer un nouveau local, destiné à un centre de soins à Brest, à une société civile immobilière (SCI) pour un loyer annuel de 42 000 euros. Petite curiosité, cette SCI n'existe pas encore légalement, ne possède pas les locaux, et surtout, elle est gérée par... la compagne de Richard Ferrand, l'avocate Sandrine Doucen. C'est peu dire que celle-ci fait une bonne affaire. Grâce au loyer garanti par les Mutuelles, la banque lui propose un prêt "de 402 000 euros", qui couvre 100% du prix d'achat ainsi que les frais de notaire. Sandrine Doucen acquiert ainsi un bien immobilier sans risque et sans y mettre un euro de sa poche.
Pour démentir tout soupçon d'enrichissement personnel, le ministre de la Cohésion des territoires affirme qu'"aucun lien juridique" ne le liait à sa compagne. Mais le 30 mai, Mediapart publie un document prouvant que Richard Ferrand et Sandrine Doucen sont pacsés depuis janvier 2014. Et si Sandrine Doucen détient 99% de la SCI propriétaire des locaux brestois, c’est "l’enfant du couple, une adolescente de 13 ans, qui a racheté en février 2017" le 1% restant.
A en croire Le Monde, une autre proche de Richard Ferrand a bénéficié de ce "mélange des genres". Françoise Coustal, dont il est divorcé depuis 1994, obtient de 2002 à 2013 plusieurs marchés d’aménagements de locaux gérés par les Mutuelles de Bretagne. "Je ne sais pas si le fait que nous ayons été mariés a joué, je veux croire que ce sont mes compétences qui ont été déterminantes", assure au Monde cette artiste plasticienne, qui revendique des clients "à Paris, en Bretagne et ailleurs". Par communiqué, Richard Ferrand se défend en faisant valoir qu'il n'est "jamais intervenu" pour que son ex-femme "obtienne un quelconque contrat".
Les Mutuelles de Bretagne sont toujours au cœur des révélations. Quand Richard Ferrand est élu député en 2012, il choisi d'y garder un pied. Jusqu'en 2017, il est ainsi rémunéré comme "chargé de mission", pour 1 250 euros par mois, par celle qui lui a succédé à la Direction générale des Mutuelles de Bretagne, Joëlle Salaün. Un échange de bons procédés ? De 2012 à 2014, il a employé comme assistant parlementaire Hervé Clabon... compagnon de Joëlle Salaün. Autant d'éléments qui ont incité la justice à se pencher de plus près sur ce "mélange des genres".
Enfin, lorsqu'un de ses assistants parlementaires lui fait défaut, c'est vers son fils de 23 ans, Emile, que se tourne le député du Finistère. Selon les informations du Canard enchaîné, confirmée par franceinfo, Richard Ferrand l'engage pour des travaux rédactionnels. Pour cinq mois de travail, il touche au total 6 796,51 euros nets. Rien de mirobolant ni de contraire à la loi, mais ce détail n'a pas été mentionné à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), dans la déclaration du député.
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