Quelles cartes pourrait jouer Emmanuel Macron en cas de censure du gouvernement Barnier à l'Assemblée nationale ?

La perspective d'une possible censure du gouvernement de Michel Barnier, votée par les députés du Rassemblement national et du Nouveau Front populaire, agite la classe politique, qui s'interroge sur les pistes qui s'ouvriraient alors au président de la République.
Article rédigé par Laure Cometti, Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Le Premier ministre, Michel Barnier, et son gouvernement, dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, le 26 novembre 2024. (TELMO PINTO / NURPHOTO / AFP)

"L'ambiance est lourde." Dans les rangs du "socle commun", cette alliance de députés de l'ex-majorité présidentielle et de la droite qui soutient le gouvernement, l'heure est à l'inquiétude, rapporte une députée Les Républicains. Depuis quelques jours, la tension n'a cessé de monter, avec la menace du vote d'une motion de censure à l'Assemblée nationale, agitée par le Rassemblement national (RN) et le Nouveau Front populaire (NFP). En joignant ses voix à celles de la gauche, le groupe RN de Marine Le Pen pourrait faire tomber le gouvernement de Michel Barnier plus tôt que prévu, lors du retour dans l'hémicycle du budget de la Sécurité sociale, dès la semaine du 2 décembre.

Les récentes concessions de Michel Barnier, notamment l'annulation de la hausse des taxes sur l'électricité, n'ont pas suffi au RN. "Ça ne va pas assez loin", a tranché sur franceinfo, vendredi 29 novembre, Sébastien Chenu, vice-président du groupe RN. Dans un entretien au Monde, Marine Le Pen a fixé un ultimatum "à lundi" à Michel Barnier pour répondre aux "lignes rouges" que l'extrême droite a dessinées. "Soit on obtient une victoire, soit on obtient une censure, et nos électeurs comprendront parfaitement", a glissé un député RN, jeudi auprès de France Télévisions.

"Il y a de très grandes chances qu'une motion de censure soit adoptée", pressentait le même jour un influent député Ensemble pour la République (EPR), ajoutant à propos de l'attitude des députés d'extrême droite : "S'ils n'y vont pas, cela apparaîtra comme un recul de leur part." Si l'incertitude est forte sur la carte que décidera de jouer le RN, la classe politique anticipe pourtant déjà les différents scénarios pour le possible jour d'après. Le président de la République, en retrait depuis la nomination de l'ancien négociateur du Brexit à Matignon, retrouverait alors le devant de la scène politique nationale. Quelles seraient les options d'Emmanuel Macron ? Franceinfo en liste quelques-unes. 

Renommer Michel Barnier et tous ses ministres

C'est la proposition étonnante faite par la députée LR Valérie Bazin-Malgras dans Le Figaro, le 20 novembre. "Le président de la République ne doit pas en faire une affaire d'Etat. Il a tout intérêt à faire fi de la décision des députés. Il ne doit faire qu'une formalité de cette motion de censure en renommant immédiatement Michel Barnier Premier ministre, qui pourrait ainsi à son tour renommer tout de suite le même gouvernement", développe dans le quotidien l'élue de l'Aube. Et d'ajouter : "Vous avez censuré ? Merci, au revoir. On tourne la page et on continue."

D'un point de vue constitutionnel, rien ne l'interdit. Aucun article ne dispose qu'en cas de censure du gouvernement, le président est tenu de nommer un Premier ministre et des ministres différents des précédents. Mais, sur un plan plus politique, cette option paraît peu réaliste. "Démocratiquement, c'est compliqué de renommer Barnier et tous les ministres", soupire un député EPR. "Cela n'aurait aucun sens", lâche une députée LR. Le risque d'une nouvelle censure – qui peut aussi être spontanée – serait alors grand.

Nommer un gouvernement Barnier II (ou un nouveau Premier ministre issu du "socle commun")

Autre hypothèse sur la table : renommer Michel Barnier mais opérer de profonds changements dans son gouvernement. Avec notamment de nouvelles personnalités. "Moi, je nommerais à nouveau Michel Barnier et je mettrais dix ministres, des hommes et des femmes puissants, qui ont de l'ambition et qui seraient chacun porteur d'un projet de réforme dans leur domaine", imagine un influent député EPR. 

Là encore, les limites d'une telle hypothèse apparaissent rapidement. "Qui voudrait monter dans le bateau d'un Premier ministre fragile ?", interroge un parlementaire macroniste. "Si on fait un Barnier II, qui fait-il entrer comme ministre qui pourrait être source d'apaisement ? Rien que pour ouvrir à gauche, il avait eu déjà du mal pour trouver Didier Migaud", le ministre de la Justice, rappelle une députée de droite. "Avec un Barnier II, les mêmes causes produiront les mêmes effets. [Michel Barnier] aura montré son incapacité à négocier. Monsieur Brexit sur le plan européen, mais en négociation nationale, il se prend les pieds dans le tapis", met en garde le député PS Arthur Delaporte.

Autre piste : nommer à Matignon une autre personnalité du "socle commun". Le président de la République risque cependant de se retrouver dans la même situation qu'à l'été, où le RN se posait en arbitre de la situation. Marine Le Pen avait publiquement mis son veto sur l'hypothèse Xavier Bertrand. 

Choisir un gouvernement technique

L'idée avait déjà été sérieusement évoquée avant la nomination de Michel Barnier, début septembre. Le nom de Thierry Beaudet, le président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) avait alors circulé dans la presse. Il avait finalement été écarté, la piste du profil technique n'ayant guère les faveurs d'une partie de la classe politique et de certains proches du président. 

Encore aujourd'hui, l'hypothèse ne suscite guère d'enthousiasme et soulève quelques agacements. "Un gouvernement technique ? Je ne sais pas ce que ça veut dire", tranche un député macroniste. "Ce serait une forme d'immobilisme", rejette une députée de droite. D'autres s'interrogent néanmoins plus sérieusement. "C'est la piste ultime mais je n'y crois pas du tout. Quelle légitimité aurait un gouvernement technique vis-à-vis du Parlement ? Mais il faut peut-être en passer par là", soupire un parlementaire macroniste.

Le RN avait d'ailleurs fait volte-face sur le sujet, début septembre. Alors que Marine Le Pen disait ne pas croire à cette option, son parti avait finalement fait savoir qu'il acceptait un gouvernement technique "qui expédiait les affaires courantes", à condition qu'il ait pour mandat "de mettre en place la proportionnelle aux législatives" afin de "dégager une majorité dans un an" dans la perspective d'une nouvelle dissolution. 

Conserver un gouvernement démissionnaire pendant de longues semaines

Face à ce casse-tête, Emmanuel Macron pourrait-il décider de prendre son temps, comme l'été dernier ? Après les élections législatives anticipées, le président avait d'abord refusé la démission de son Premier ministre, Gabriel Attal, le 7 juillet, au nom de "la stabilité du pays", avant de l'accepter une semaine plus tard. Le gouvernement Attal démissionnaire est toutefois resté en place pendant deux mois et demi, jusqu'à la nomination de Michel Barnier le 5 septembre. En attendant, le gouvernement démissionnaire a géré les affaires courantes tout l'été.

Mais le contexte est aujourd'hui bien plus compliqué, notamment à cause de la nécessité de faire adopter un budget pour le pays en 2025. Un gouvernement Barnier démissionnaire, aux prérogatives limitées, aurait bien du mal à faire adopter un projet de loi de finances. "Il ne pourrait plus utiliser le 49.3, donc il vaudrait mieux vite nommer un nouveau Premier ministre qui puisse engager sa responsabilité", souligne le constitutionnaliste Benjamin Morel. En outre, l'option de faire adopter le budget par ordonnances, permise par la Constitution, a été écartée par le gouvernement, comme l'a révélé franceinfo. Cela fait dire à une députée LR que maintenir un gouvernement démissionnaire serait "néfaste, et une source de flottements dans l'économie".

Nommer Lucie Castets à Matignon

On n'avait plus entendu son nom depuis quelques mois. Alors que Matignon pourrait être bientôt vacant, certains évoquent à nouveau Lucie Castets, choisie après des semaines de discussions chaotiques par les alliés du Nouveau Front populaire. La fonctionnaire a fait part de sa disponibilité et continue de se rendre à divers rassemblements politiques, prévoyant notamment un meeting à Tours le 5 décembre. 

Si elle demeure "un actif immense pour la gauche", selon un député socialiste, sa capacité à former un gouvernement qui ne serait pas censuré est incertaine. "Il n'est pas possible de revenir à la situation de Lucie Castets qui n'avait pas les conditions pour être soutenue à l'Assemblée nationale", a jugé François Hollande, devenu député PS, jeudi au micro de France Inter. "Ce n'est pas la personne qui est en cause. (...) Il n'y a pas de majorité pour qu'un Premier ministre issu des rangs du Nouveau Front populaire puisse être désigné." Cette piste n'enthousiasme pas le "socle commun", comme le confirme un député de l'aile droite de la macronie : "Lucie Castets, si c'est pour appliquer le programme du NFP avec des ministres LFI, on censure."

Bâtir une coalition qui aille de la droite au centre gauche

Pour résoudre cette équation, Emmanuel Macron pourrait essayer de trouver une coalition avec une fraction de la gauche. L'idée séduit une partie du "socle commun" et des socialistes. "Il faut éviter d'être pendant des mois sous la menace d'une censure, et la seule piste que je vois aujourd'hui, c'est du côté des socialistes", avance un sénateur macroniste. "Il faut travailler avec la gauche", appuie un député de l'aile droite d'EPR. "On pourrait faire un gouvernement avec le MoDem, les macronistes, Liot", approuve un député socialiste. 

Le PS a déjà commencé à y réfléchir, et le parti planche sur "un accord de non-censure", explique le député Arthur Delaporte. L'objectif est de discuter avec tous les partis présents à l'Assemblée, sauf le RN, pour élaborer un accord qui permettrait à un nouveau gouvernement d'être nommé, "avec une personnalité de gauche à sa tête", précise le député du Calvados. Ce projet a-t-il des chances d'aboutir ? "Il faut qu'on voie si on arrive à embarquer sur la méthode", reconnaît-il prudemment. 

Cette échappée socialiste ferait exploser l'alliance du NFP, ce qui semble risqué pour le PS à l'approche des élections municipales de 2026 et d'éventuelles législatives anticipées dès 2025. Les insoumis ont déjà rejeté en bloc toute discussion avec les macronistes. "Il n'y a pas de possibilité d'accord avec le 'socle commun' (...) Nous ne sommes pas d'accord pour dire que nous gouvernerons avec les macronistes", a martelé Mathilde Panot, cheffe de file des députés LFI, mercredi, devant des journalistes.

Autre difficulté, trouver la personne capable de prendre la tête de cette nouvelle coalition n'est pas chose aisée. Certains évoquent de nouveau le nom de l'ex-Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve.

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