Reportage Six heures de vote, une atmosphère tendue et des tractations en coulisses... On vous raconte la réélection sur le fil de Yaël Braun-Pivet à la présidence de l'Assemblée nationale

Après trois tours de scrutin, la candidate macroniste a finalement devancé André Chassaigne, désigné par le NFP, grâce aux suffrages de la droite.
Article rédigé par Laure Cometti
France Télévisions
Publié
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La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s'exprime dans l'hémicycle après avoir été réélue à 13 voix près, le 18 juillet 2024. (BERTRAND GUAY / AFP)

En cette chaude après-midi parisienne, certains font leurs premiers pas l'Assemblée nationale, d'autres retrouvent le siège qu'ils ont momentanément quitté après la dissolution. Souriants, fébriles ou stressés, les députés élus ou réélus lors des législatives se sont retrouvés, jeudi 18 juillet, pour l'élection à la présidence de l'institution. Si ce scrutin ne passionne habituellement pas les foules, les caméras ont rarement été aussi nombreuses dans la salle des quatre colonnes, et de très nombreux médias étrangers ont fait le déplacement pour couvrir cette étrange séance.

Morcelé comme jamais, voilà l'hémicycle face au défi de trouver son tout premier consensus. Il aura fallu trois tours et près de six heures pour départager les six candidats. A 20h31, le suspense est brisé par un message posté sur X par le parti présidentiel (et supprimé depuis) annonçant la victoire de la sortante Yaël Braun-Pivet, avant même les résultats officiels. Une poignée de minutes plus tard, quand ceux-ci sont proclamés au perchoir, les députés ne semblent guère surpris. Le camp présidentiel applaudit poliment la sortante réélue, qui l'a emporté avec 13 voix d'avance sur le communiste André Chassaigne, candidat unique du Nouveau Front populaire, dont les troupes, silencieuses, accusent le coup.

Un "deal" entre les macronistes et la droite

Tout avait commencé à 15 heures par un discours du doyen de l'Assemblée, comme le veut le règlement. Le député du Rassemblement national José Gonzalez, critiqué en 2022 pour avoir, dans ce même rôle, prononcé un discours aux relents de nostalgie pour l'Algérie française, a cette fois lissé son propos. Comme si le parti était désormais plus soucieux de contrôler son image, après une campagne des législatives compliquée. Il fait applaudir le personnel de l'Assemblée, mais provoque ensuite quelques protestations dans l'hémicycle quand il dénonce des "alliances baroques", en référence aux désistements pour faire barrage à son parti.

Dans une ambiance très solennelle, le premier tour de scrutin démarre. Un par un, de la lettre F à E, les députés se succèdent à la tribune pour glisser leur enveloppe dans l'urne verte. Un rituel monotone troublé par quelques signaux très politiques, quand plusieurs députés insoumis refusent de serrer la main tendue par le RN Flavien Termet, qui supervise le vote en tant que benjamin de l'Assemblée. Après une heure de dépouillement, les résultats proclamés ne surprennent pas : chaque candidat a reçu le soutien de son groupe et personne n'atteint la majorité absolue, nécessaire pour l'emporter avant le troisième tour.

Arrivé en tête, André Chassaigne est largement applaudi par la fragile alliance de gauche, qui rêve de reprendre des couleurs alors que ses tractations sur Matignon se sont enlisées. Mais en coulisses, un accord se joue entre les macronistes et la droite, dont le candidat, Philippe Juvin, se désiste. De quoi faciliter la réélection de Yäel Braun-Pivet, en échange d'autres postes clés de l'Assemblée, dont l'attribution doit se poursuivre jusqu'à samedi.

Dans les coursives du Palais-Bourbon, cet accord tacite est assumé par Renaissance, un peu moins par Les Républicains. "Nous ne voulons pas détricoter un certain nombre de politiques publiques qui nous tiennent à cœur, comme la droite et les sociaux-démocrates. Ça passe par mettre les bonnes personnes au bon endroit", explique Olga Givernet, vice-présidente d'Ensemble pour la République, le nouveau nom du groupe Renaissance. Elle confirme que des discussions ont eu lieu avec la droite depuis plusieurs jours. Du côté de La Droit républicaine, le groupe issu de LR, on préfère mettre en avant le "sens des responsabilités". "Ce n'est pas une question de deal, mais de fonctionnement de l'Assemblée, on veut éviter tout blocage institutionnel", assure Anne-Laure Blin, porte-parole du groupe.

"Le vote des Français a été volé"

Avec le désistement de Philippe Juvin et de la candidate Horizons Naïma Moutchou, Yaël Braun-Pivet peut espérer un bon report de voix. En revanche, le RN Sébastien Chenu a choisi de se maintenir, un changement de stratégie par rapport à 2022, quand l'abstention des troupes de Marine Le Pen avait permis à Yaël Braun-Pivet de l'emporter dès le second tour, avec la majorité absolue des suffrages exprimés. "A l'époque, les macronistes étaient arrivés en tête aux législatives ! Ce n'est plus le cas", tacle le RN Jean-Philippe Tanguy, sous le soleil, dans le jardin de l'Assemblée. Son collègue Franck Allisio préfère dénoncer le "cordon sanitaire" décidé par le groupe du parti présidentiel pour priver l'extrême droite des postes stratégiques. Il en tient rigueur à Yaël Braun-Pivet : "Elle n'est pas claire quant au respect du règlement".

Fébriles, certains fument rapidement une cigarette dans le jardin avant de retourner dans l'hémicycle. "C'est plié", souffle un proche du centriste Charles de Courson. Elu depuis 1993, le Marnais n'a récolté que 18 voix au premier tour. Lors de la précédente législature, il avait pourtant réussi à fédérer bien au-delà de son petit groupe Liot, en incarnant un contre-pouvoir face au gouvernement Borne lors de la réforme des retraites. "La seule solution, c'était Charles, un homme indépendant, qui aurait été le garant des institutions. Le NFP pouvait le soutenir, mais ils ont préféré Macron à Courson !"

A quelques pas, ce deal conclu avec la droite redonne déjà le sourire aux troupes d'Emmanuel Macron, pourtant sanctionnées dans les urnes le 7 juillet. "Yaël Braun-Pivet sera en tête au second tour", calcule le député Renaissance Ludovic Mendes. Chacun fait ses comptes : avec les 48 voix de la droite et les 38 d'Horizons, la candidate macroniste peut engranger 210 voix, et doubler André Chassaigne. Les résultats du second tour confirment cette arithmétique et lui donnent huit voix d'avance avant le troisième, qui sera forcément décisif : la majorité relative suffit désormais pour l'emporter. Seul Charles de Courson jette l'éponge, et le seul suspense porte sur le report des 12 voix qui s'étaient portées sur lui.

Près de deux heures plus tard, les espoirs d'une remontée d'André Chassaigne sont douchés : 13 voix lui manquent pour rattraper sa rivale. La gauche a fait les frais d'une stratégie du "tout sauf le NFP" que l'insoumis Eric Coquerel disait redouter avant le premier tour. "On est arrivés en tête [des législatives], on le dit depuis trois semaines, on l'a à nouveau montré au premier tour, mais des magouilles sont organisées pour faire barrage contre nous, c'est assez écœurant", dénonce la députée LFI Sarah Legrain. "Le vote des Français" aux législatives "a été volé par une alliance contre-nature", tonne André Chassaigne à la sortie de la séance. Pour une fois à l'unisson, les cadors du NFP fustigent ce qu'ils décrivent comme un déni de démocratie, et dénoncent le "vote illicite", selon Jean-Luc Mélenchon, des 17 ministres démissionnaires, revenus sur les bancs de l'Assemblée alors qu'ils continuent de gérer les affaires courantes.

Colère du NFP et grand flou sur un futur gouvernement

C'est un coup dur pour le NFP, embourbé depuis le 7 juillet dans d'interminables discussions qui ravivent les tensions entre partenaires. Les quatre groupes de la coalition de gauche se sont finalement inscrits dans l'opposition, tant qu'Emmanuel Macron ne nomme pas un Premier ministre désigné de leur camp. Une perspective désormais éloignée, veulent croire les députés macronistes et la droite. Mais les leçons de ce scrutin restent difficiles à tirer.

Le camp présidentiel a beau avoir reculé dans les urnes aux législatives, et compter moins de députés que l'alliance de la gauche, il conserve la présidence de l'Assemblée. La droite a beau avoir rendu service aux macronistes en sauvant Yaël Braun-Pivet, son groupe s'est inscrit dans l'opposition. "On veut rester un groupe pivot", plaide Anne-Laure Blin. Ceux qui espéraient une clarification en seront peut-être pour leurs frais, tout comme ceux qui appelaient à un apaisement dans l'hémicycle. Les premiers mots de la présidente réélue résonnaient à peine dans le Palais-Bourbon, qu'un cri jaillissait déjà des rangs de la gauche : "Ils n'ont pas voté pour vous, les Français !" Et Yaël Braun-Pivet a eu beau promettre "d'aller davantage vers le dialogue, le compromis", ses propos n'ont pas apaisé la colère de la gauche.

La question de la capacité d'une coalition à gouverner, ou du moins à faire passer certains textes à l'Assemblée, est loin d'être tranchée. La répartition des postes clés du Palais-Bourbon, vendredi et samedi, pourra confirmer le rapprochement naissance au centre droit, ou au contraire l'éroder. "Si on perd aujourd'hui face à une alliance hétéroclite, on se retrouvera à la rentrée avec un motion de censure", prédisait Eric Coquerel avant le résultat du vote. L'équation pour former un gouvernement est encore très loin d'être résolue.

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