"Brebis galeuses", front républicain, mesure controversée... Quelles leçons le RN tire-t-il de ses résultats aux législatives ?
Après la douche froide, l'heure du bilan. Le Rassemblement national (RN) espérait décrocher la majorité absolue à l'issue du second tour des législatives, dimanche 7 juillet, porté par sa dynamique des élections européennes. Mais les résultats sont décevants : les 38 sièges supplémentaires gagnés (55 en comptant ceux des troupes d'Eric Ciotti), pour un total de 143 députés, ne lui permettent pas de gouverner. L'état-major du parti, convaincu que la majorité absolue était à portée de main, cherche à comprendre comment les projections avantageuses des sondages ont fini par fondre.
Au lendemain des résultats, Jordan Bardella a concédé pour la première fois "des erreurs" devant les médias. "On commet toujours des erreurs, j'en ai commis", a déclaré le président du parti, qui avait fait campagne sur sa nomination à Matignon. "J'assume ma part de responsabilité tant dans la victoire aux élections européennes que dans la défaite d'hier", a-t-il déclaré lundi. Présent mercredi à l'Assemblée nationale pour accueillir les députés fraîchement élus, il a promis d'effectuer un "examen de conscience".
Des failles dans le recrutement des candidats
Première leçon : de trop nombreux candidats ont porté préjudice à la campagne du RN. Le parti avait vanté son "plan Matignon", préparé depuis plus d'un an pour identifier 577 candidatures de qualité. Mais de nombreux aspirants députés ont tenu des propos racistes, xénophobes, tandis que d'autres ont montré leurs faiblesses lors de débats sur le programme, quand ils ne les fuyaient pas.
Après avoir minimisé les faits durant la campagne, évoquant quelques "brebis galeuses", Jordan Bardella a admis que le parti devrait "regarder les choses sur l'investiture d'un certain nombre de candidats". Et mercredi, le patron du parti s'est adressé aux députés RN en leur demandant "d'être parfaitement irréprochables sur le terrain, auprès de vos médias".
En interne, les louanges du plan Matignon laissent désormais place à un autre récit. Certes, le parti avait commencé à lister des candidats pour toutes les circonscriptions dès le printemps 2023. Mais dans de nombreux territoires, en particulier là où le RN n'est pas très implanté, l'examen des candidatures n'a de toute évidence pas été exhaustif et approfondi. En outre, certains candidats retenus il y a plusieurs mois n'étaient finalement plus disponibles pour se présenter, ou plus partants, au moment de la dissolution. Il a donc fallu leur trouver des remplaçants en 48 heures, tout en prenant tranchant la question des circonscriptions réservées aux proches d'Eric Ciotti.
"Peut-être que certains candidats n'étaient pas prêts", reconnaît un cadre du RN, déplorant un certain nombre de personnes "parachutées". "Il vaut mieux implanter les candidats longtemps à l'avance". "C'est une leçon d'humilité, selon l'eurodéputée Mathilde Androuët. On a vu qu'il y avait certaines failles. Toutes les sélections n'ont pas été heureuses, et on ne peut pas remonter sur quinze ans les profils Facebook de 577 candidats et leurs suppléants et mandataires". Elle assure que le parti va rectifier le tir à l'avenir et que les nouveaux députés seront autant d'élus de terrain capables de repérer de futures "pépites" pour renforcer son ancrage territorial.
Coïncidence ? Le RN a confirmé mardi à franceinfo la démission du directeur général du mouvement, Gilles Pennelle, responsable des investitures depuis déjà plusieurs années. "Il ne faut pas surinterpréter son départ, c'était prévu, car il a été élu eurodéputé le 9 juin, or le poste de directeur général est très chronophage", minimise Mathilde Androuët. Mais un cadre estime, sous couvert d'anonymat, que cela "ressemble" bel et bien à une sanction. Cette annonce augure en tout cas une plus large réorganisation du parti, dans l'optique d'éviter de reproduire de telles erreurs de recrutement.
Interdire des postes sensibles aux binationaux, une "connerie"
Autre écueil identifié par le RN : la proposition d'interdire certains postes stratégiques aux personnes possédant la double nationalité a été un boulet. "La grosse erreur de cette campagne, c'est la mesure sur les binationaux, c'est une grosse connerie", lâche un cadre. L'idée ne figurait pas dans le programme de 12 pages dévoilé le 24 juin lors d'une conférence de presse. C'est l'un des porte-parole du RN, le député du Nord Sébastien Chenu, qui l'a évoquée sur le plateau de TF1, le matin même. Il a expliqué vouloir "empêcher" les Français ayant une double nationalité d'occuper "des emplois extrêmement sensibles".
Jordan Bardella n'a eu de cesse de minimiser la portée de cette mesure durant les derniers jours de campagne, assurant qu'elle ne concernerait que "quelques dizaines" de postes, comme les directions de centrales nucléaires. Il a aussi tenté de l'inscrire dans un contexte de lutte contre les ingérences russes, en insistant sur l'exemple des Franco-Russes, qu'il faudrait écarter de ce type de postes stratégiques. Peine perdue, constate-t-on aujourd'hui au siège. "Même si on visait seulement les commandants de centrale nucléaire, la femme de service de l'hôpital s'est sentie visée. Ça nous a abîmés, ça renforce l'idée qu'on est racistes", regrette un cadre, médusé que Sébastien Chenu ait mis en avant cette mesure.
"La leçon à tirer, c'est qu'il faut qu'on soit meilleurs pour la prochaine fois", philosophe Renaud Labaye, secrétaire général du groupe RN à l'Assemblée. "Il y a des causes endogènes qu'on peut traiter, comme les investitures et les points de programme, qu'il faut mieux expliquer, ou enlever".
Un front anti-RN encore fort
Reste l'autre constat de ce scrutin : le RN a largement sous-estimé le levier du "barrage républicain". "Tout ça ne fonctionne plus", souriait Gilles Pennelle à propos des appels à faire front contre l'extrême droite, au soir du premier tour, dans une ambiance triomphaliste. Avant le second tour, Jordan Bardella pariait encore sur le fait que les "fronts populaires", "contre-nature" selon lui, alimenteraient l'abstention. Elle a finalement été peu importante, et les reports de voix ont plutôt fonctionné, surtout chez les électeurs de gauche. "Le barrage, il s'effrite, mais c'est long. On ne pensait pas que ça serait si long", reconnaît Mathilde Androuët. "L'exercice politique est long et compliqué. Il faut aller chercher les personnes une à une pour les convaincre", poursuit-elle.
Enfin, cet échec dans la bataille électorale pour la majorité absolue est aussi le premier pour Jordan Bardella. Le premier président du parti à ne pas porter le nom de Le Pen avait jusqu'alors emporté les élections européennes de 2019, puis 2024. Présenté par le RN comme "complémentaire" de Marine Le Pen, il a permis à sa formation d'agréger d'autres électeurs, plus jeunes, moins politisés. "Les élections européennes, sur la seule personnalité de Jordan Bardella, étaient plus faciles à gagner", mesure l'eurodéputé Thierry Mariani.
Pas de quoi remettre en question la place prépondérante prise par le jeune président du parti, qui a également pris mardi la présidence du groupe "Patriotes pour l'Europe" au Parlement européen. D'autant qu'il a permis à la triple candidate à la présidentielle de se préserver durant cette bataille législative. "Paradoxalement, la campagne n'a pas été très ciblée sur Marine Le Pen", constate Thierry Mariani. Marine Le Pen s'apprête d'ailleurs à reprendre la présidence du groupe RN à l'Assemblée nationale, le 18 juillet. Elle compte désormais se concentrer sur le travail parlementaire et la préparation de la prochaine élection présidentielle. Mais elle devra aussi répondre à la justice à partir du 30 septembre : elle est jugée, avec d'autres personnes, dans l'affaire des assistants parlementaires européens.
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