Elections législatives 2024 : pourquoi les projections en sièges publiées dans l'entre-deux-tours étaient si éloignées du résultat final
Un hémicycle différent de celui dessiné par les sondages. Le Nouveau Front populaire (NFP) est ressorti vainqueur du second tour des élections législatives, dimanche 7 juillet, raflant 180 sièges à l'Assemblée nationale, selon le ministère de l'Intérieur. Le camp présidentiel est parvenu à sauver les meubles avec 163 députés élus, tandis que le Rassemblement national (RN) et ses alliés, donnés grands favoris du scrutin, n'ont finalement obtenu que 143 sièges, arrivant en 3e position.
Avant le premier tour, les instituts de sondages prévoyaient le déferlement d'une vague bleu marine à l'Assemblée nationale. Une projection Ipsos-Talan pour France Télévisions, Radio France, France 24, RFI et LCP en date du 30 juin créditait ainsi le RN et ses alliés de 230 à 280 sièges. Le poids du RN dans l'hémicycle s'est ensuite nettement réduit dans les estimations. La dernière estimation avant le second tour, publiée vendredi, n'imaginait plus qu'entre 175 et 205 députés RN. Mais malgré ce réajustement, elle est loin du résultat final.
L'efficacité du front républicain sous-estimée
Dimanche soir, "il s'est passé une surprise totale. Je ne vais pas vous dire que nous l'avions prévue", a reconnu lundi le directeur de l'institut Elabe, Bernard Sananès, au micro de RMC. Le 30 juin, le sondeur avait estimé probable la majorité absolue pour le RN, la créditant d'entre 255 et 295 sièges, avant de faire redescendre cet intervalle à 200-230 cinq jours plus tard.
La raison de cette méprise ? "Le front républicain a joué plus que ce que nous pensions, plus que ce que nous avions dans les modèles et dans les déclarations" des sondés, a justifié Bernard Sananès. L'institut Elabe avait en effet prévu, dans son sondage du 5 juillet, que 62% des électeurs du NFP voteraient pour Ensemble au second tour en cas de duel entre un candidat RN et un concurrent du camp présidentiel. Ils ont finalement été 72% à reporter leur vote en faveur d'un représentant de la macronie, selon une étude d'Ipsos-Talan, soit 10 points de plus que prévu.
Même chose en cas de duels NFP-RN : le sondage d'Elabe prévoyait que 32% des électeurs Ensemble donneraient leur voix au candidat de l'union de la gauche, alors que 43% d'entre eux l'ont fait lorsque c'était un prétendant LFI, et 54% quand le candidat portait l'étiquette PS, EELV ou PCF. "La remontada de la gauche n'est pas impossible car elle bénéficie du front républicain. Il y a une incertitude sur l'ordre d'arrivée", prévoyait tout de même Frédéric Dabi, directeur général de l'institut de sondage Ifop, dans "C à vous" vendredi. Le nombre de sièges obtenus par le NFP se situe d'ailleurs dans la fourchette haute des dernières estimations de l'institut.
Un caractère inédit de la séquence politique
Selon Hugo Touzet, sociologue spécialiste des sondages, le caractère inédit de ce scrutin a compliqué l'exercice de projections dans l'hémicycle. "Ces législatives ont été convoquées après une dissolution, annoncée au lendemain d'une élection dans laquelle le RN était en dynamique et la gauche séparée, le temps de campagne a été très court... On ne pouvait pas se référer à une élection précédente", explique-t-il à franceinfo.
Lors de la campagne, "on a vu en très peu de temps une 'rediabolisation' du Rassemblement national. Les médias ont relevé des propos racistes, des dérives, des marques d'incompétence des candidats RN. Mais il y a aussi eu une mobilisation massive de la société civile contre l'extrême droite", analyse Hugo Touzet.
"Ces dynamiques politiques inédites et très rapides n'ont pas été attrapées dans les projections."
Hugo Touzet, spécialiste des sondagesà franceinfo
Sans que l'on sache si cela leur a coûté leur place à l'Assemblée nationale, plusieurs candidats RN épinglés pour des propos racistes ou complotistes pendant la campagne ont été battus au second tour, comme Françoise Billaud dans les Côtes-d'Armor ou Annie Bell en Mayenne.
Pas un scrutin national, mais 577 scrutins locaux
Très tôt dans la campagne, la Commission des sondages avait par ailleurs rappelé dans un communiqué que les projections en sièges devaient être prises avec des pincettes, en raison du mode de scrutin propre aux législatives. "Un tel exercice ne présente pas les mêmes encadrements méthodologiques que les sondages et demeure tributaire d'un grand nombre de paramètres, souvent propres à chacune des 577 circonscriptions".
Autrement dit : les intentions de vote nationales ne se répercutent pas de la même manière à l'intérieur de chaque circonscription. Dans la mesure où il n'y a pas un, mais 577 scrutins, "même avec un échantillon représentatif, les dynamiques politiques sont difficiles à saisir dans les projections en sièges, estime Hugo Touzet. Surtout dans les circonscriptions où l'élection s'est jouée à quelques centaines de voix". A titre d'exemple, dans la Sarthe, Marie-Caroline Le Pen (RN), sœur de Marine Le Pen, a été battue par la candidate Elise Le Boucher (NFP), qui a obtenu... 225 voix de plus.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.