: Récit Salon de l'agriculture : la semaine où la campagne des élections européennes s'est lancée sur fond de colère agricole
"Pour gagner une élection, il faut savoir taper sur le cul des vaches", répétait Jacques Chirac. L'ancien président de la République a fait des adeptes, de tous bords. Alors que la colère des agriculteurs s'est imposée comme l'un des principaux thèmes des prochaines élections européennes, le Salon de l'agriculture a attiré comme un aimant le défilé des politiques qui ont labouré les allées pour y faire campagne.
Un coup de vin rouge par-ci, une tape sur le postérieur d'un mouton par-là... "La plus grande ferme de France" est un passage obligé pour flatter l'électorat rural. Franceinfo vous fait revivre cette 60e édition très politique, qui se termine dimanche 3 mars à Paris.
Samedi 24 février : Emmanuel Macron chahuté en ouverture
Le Salon de l'agriculture n'a pas encore ouvert ses portes que des heurts éclatent. Il est 8 heures. Des centaines de personnes forcent des grilles et entrent à l'intérieur du Parc des expositions de la porte de Versailles. "La chasse au Macron est ouverte", crient certains alors que le président de la République doit arriver d'un moment à l'autre. A l'extérieur, le public patiente. C'est sous les huées et dans le chahut qu'Emmanuel Macron vient inaugurer l'événement. Pris de court, il improvise deux heures de débat avec des représentants des syndicats agricoles. Devant ses interlocuteurs, il tombe la veste et retrousse les manches de sa chemise.
Le chef de l'Etat cogne fort contre une seule et même cible : le Rassemblement national. "Le RN, c'est le parti du Frexit, de la sortie de l'euro. Maintenant, c'est les transformismes du Frexit." Il ajoute : "L'agriculture française mérite mieux que leur projet de décroissance et de bêtise qui consiste à expliquer aux gens que la solution, ce serait de sortir de l'Europe". "Grossier mensonge", répond dans la foulée Marine Le Pen. A quatre mois des européennes, le parti du chef de l'Etat accuse entre 9 et 13 points de retard selon les trois derniers sondages réalisés en février par Elabe (en PDF), l'Ifop (en PDF) et YouGov.
Dimanche 25 février : Jordan Bardella tout sourire, Gabriel Attal en surprise
Le lendemain de la venue du chef de l'Etat, c'est au tour de Jordan Bardella de déambuler entre les vaches, les chèvres et les moutons. La tête de liste du Rassemblement national pour les européennes réclame un "patriotisme économique" pour l'agriculture et "la fin des droits de succession" pour les agriculteurs. "Derrière la détresse du monde agricole, il y a la détresse de la France rurale, la détresse de la France du travail, qui est aujourd'hui asphyxiée de normes, asphyxiée d'impôts, et qui n'arrive plus à vivre dignement de son travail", déclare le président du RN. L'eurodéputé le redit : "Je n'ai qu'un seul adversaire dans ces élections européennes, c'est Emmanuel Macron. Ce n'est même pas Gabriel Attal, qui a disparu depuis quelques heures".
Jordan Bardella ne croit pas si bien dire : en fin d'après-midi, Matignon annonce la visite surprise de Gabriel Attal. Au dîner des 60 ans du Salon, qui se tient après la fermeture, le Premier ministre se lâche : "Les Français ne sont dupes de rien. Ni de l'instrumentalisation, ni du mensonge, ni de la poudre aux yeux". A l'approche des élections européennes, "les agriculteurs, nos bêtes, nos filières ne sont pas un décor de campagne".
"Le salon n'est ni un cirque médiatique, ni un cirque politique, ni un cirque militant."
Gabriel Attal, Premier ministreà franceinfo
Un peu plus tôt, mais de manière plus confidentielle, c'est la tête de liste commune pour les élections européennes de Place publique et du Parti socialiste, Raphaël Glucksmann, qui enchaîne les serrages de mains. "Il faut porter des mesures miroir, il faut porter vraiment un modèle complètement différent", déclare l'essayiste de 44 ans, dans un échange capté par Ouest-France.
Lundi 26 février : Manon Aubry et François-Xavier Bellamy en face-à-face
Après un week-end marqué par les attaques verbales entre la majorité présidentielle et le Rassemblement national, c'est au tour de Manon Aubry de faire un crochet par la porte de Versailles. La future tête de liste de La France insoumise aux élections européennes égratigne Emmanuel Macron et Jordan Bardella, qu'elle accuse de défendre une "agriculture agro-industrielle" et "dépendante aux pesticides". L'eurodéputée leur a d'ailleurs trouvé un surnom : "Dupond et Dupont". Presque au même moment, le socialiste Olivier Faure se défend de diriger un parti uniquement tourné vers les villes : "Le sauciflard, l'apéro, c'est aussi notre culture", répète le premier secrétaire du PS.
Alors que Jordan Bardella refait un passage dans les allées du salon, François-Xavier Bellamy, tête de liste Les Républicains, vient aussi se montrer. Mais la véritable attraction se trouve à ses côtés. Céline Imart, propulsée numéro 2 sur la liste LR il y a une semaine à peine, est "ici" chez elle. Vêtue d'une veste rouge, l'agricultrice du Tarn avoue trouver "bizarre" de se retrouver "de l'autre côté" et "de ne pas haranguer les politiques qui passent", comme lorsqu'elle se rendait auparavant à la porte de Versailles comme porte-parole d'Intercéréales, l'interprofession qui regroupe producteurs, coopératives et exportateurs des céréales en France.
L'exploitante agricole s'en prend au chef de l'Etat qui vient d'annoncer la création de prix planchers pour mieux rémunérer les agriculteurs français. "Le terme 'prix plancher', personne ne sait ce qu'il y a derrière. Concrètement, comment il peut se construire ? C'est une inconnue, un effet d'annonce. Ce n'est pas une politique réelle avec un cap, une vision de long terme", cingle la céréalière.
Mardi 27 février : le Premier ministre revient
Deux jours après sa première visite surprise, voilà Gabriel Attal de retour au Salon. Il est 7 heures quand le Premier ministre commence ses premiers entretiens avec des agriculteurs. "Le pays est derrière vous", assure-t-il à un éleveur face auquel il défend l'action de son gouvernement. Plus tard, il vise de nouveau (sans la nommer) l'extrême droite. "Notre ennemi, ce n'est pas l'étranger, c'est la loi du marché débridée. Car renoncer à commercer, c'est condamner notre agriculture à sombrer."
Entouré de caméras, le chef du gouvernement boit, déguste, goûte et regoûte. Les images contrastent avec celles du chef de l'Etat lors de l'inauguration. Gabriel Attal restera douze heures sur place. Le chef du gouvernement a presque égalé le record présidentiel d'Emmanuel Macron (treize heures).
Mercredi 28 février : Marine Le Pen et Fabien Roussel l'un après l'autre
Après la déambulation réussie de Jordan Bardella dimanche et lundi, Marine Le Pen débarque à son tour dans les travées du Parc des expositions. Populaire chez les agriculteurs, la patronne des députés RN compte bien être aussi bien accueillie que son poulain. Elle enchaîne les selfies. Elle assume, aussi, les revirements de son parti ces dernières années en matière d'agriculture.
A un éleveur avec qui elle engage une discussion sur la Politique agricole commune (PAC), sans laquelle beaucoup d'agriculteurs ne pourraient pas vivre, Marine Le Pen ne se débine pas : "Vous savez quand même que, pendant des années, j'ai été extrêmement critique contre la PAC ? On a voté la dernière, pourquoi ? Parce qu'il y avait, en partie, la renationalisation qu'on réclamait depuis des années", déclare-t-elle, dans un échange capté par RFI.
Le communiste Fabien Roussel profite de sa bonne cote de popularité. "On parle la même langue, répète le secrétaire national du PCF devant des éleveurs. Dans le bon sens populaire, il y a le bon sens paysan". "J'ai toujours défendu le terroir, la viande et le vin (...) face aux discours culpabilisants. Ça me vaut ici un accueil chaleureux", déroule le député du Nord avant d'aller caresser le postérieur des vaches. A ses côtés, Léon Deffontaines. La jeune tête de liste du PCF aux européennes, bientôt 28 ans, apprend les ficelles du métier. "Quand je parle d'agriculture, je parle de ma famille, c'est mon originalité", appuie le natif d'Amiens, bien décidé à faire de la "souveraineté alimentaire" un axe fort de sa campagne à venir.
Jeudi 29 février : Marion Maréchal, aspergée de bière
Dans les allées du Salon, un ancien Premier ministre teste sa popularité, quitte à surjouer son côté bon vivant. Edouard Philippe, qui se prépare en vue de l'élection présidentielle de 2027, bénéficie d'un accueil chaleureux, mais sans effusion, entre poignées de mains et selfies. Quasiment quatre ans après avoir quitté Matignon, le Havrais est parfois vu comme encore très, voire trop proche d'Emmanuel Macron.
Pendant ce temps, bain de foule humide pour Marion Maréchal. La tête de liste du parti Reconquête aux élections européennes est aspergée de bière par un individu. Marion Maréchal, qui accompagnait Eric Zemmour, semble l'avoir pris à la rigolade. Sur X, elle évoque un Salon de l'agriculture "inoubliable" et promet de "continuer à mouiller la chemise pour défendre nos agriculteurs à Bruxelles !". Son message est accompagné d'émojis parapluie et bière.
Vendredi 1er mars : le ministre de l'Agriculture visé par des œufs, visite tranquille pour les écologistes
Décidément, ce Salon ne restera pas un bon souvenir pour le ministre de l'Agriculture. Marc Fesneau, qui était déjà du déplacement musclé du chef de l'Etat dimanche, est cette fois la cible de sifflet et de jets d'œufs. Une vingtaine de personnes, dont certaines se disent membres de la FDSEA de Seine-et-Marne, brandissent des pancartes "Revenez sur Terre", alors que le ministre se trouve sur le stand de l'Ademe, accompagné de son homologue de la Transition écologique, Christophe Béchu. Tous les deux sont contraints de quitter le stand, escortés par un important cordon de policiers en civil.
Leur visite s'annonçait elle aussi tendue. Finalement, elle ne le fut pas. Les écologistes, souvent pointés du doigt par les agriculteurs, passent une journée tranquille au Salon. La tête de liste des aux élections européennes, Marie Toussaint, et la cheffe de file du parti, Marine Tondelier, se dirigent vers l'enclos d'Oreillette, la vache "égérie" de la 60e édition. Marie Toussaint écoute davantage qu'elle ne parle. Souvent, elle acquiesce, notamment quand ses interlocuteurs évoquent le problème des clauses miroirs, les accords de libre-échange ou le non-respect de la loi Egalim.
Samedi 2 mars : Valérie Hayer, tête de liste Renaissance en campagne
Fraîchement nommée tête de liste aux européennes de Renaissance, Valérie Hayer a décidé d'axer son début de campagne sur l'agriculture. Vendredi, premier déplacement dans une exploitation de son département, la Mayenne. Samedi, deuxième déplacement, au Salon. Direction le pavillon 5, celui dédié à l'outre-mer. "Nos outre-mer ont besoin d'Europe. J'ai tenu à rappeler notre engagement constant à prendre en compte leurs spécificités, et à valoriser toutes leurs belles productions ! C'est cela aussi, notre action au Parlement européen depuis cinq ans", écrit-elle sur X, à la fin de sa visite. Un message bien reçu, espère-t-elle, par les 600 000 visiteurs qui ont profité cette année du Salon de l'agriculture.
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