"Ce que je sais de toi", "L'arrestation", "L'enragé"... Nos coups de cœur littéraires de 2023 pour Noël
Toute sélection est forcément subjective, et souvent très injuste. La rédaction de Franceinfo Culture a fait des choix draconiens, délaissant certains titres au profit d’autres.
"Ce que je sais de toi" un roman "olfactif" et bouleversant d'Eric Chacour
Eric Chacour signe avec Ce que je sais de toi (éditions Philippe Rey) un premier roman bouleversant et profond. C’est l’une des plus agréables surprises de cette rentrée littéraire. D’abord, le constat : difficile de croire que Ce que je sais de toi est un premier roman tant son auteur fait preuve d’une rare maîtrise littéraire et stylistique. Au fil de la lecture Ce que je sais de toi se révèle un roman riche, foisonnant, envoûtant. Nous sommes au Caire, en Egypte, dans les années 1980. Tarek, jeune médecin aisé, fils de médecin, a une autoroute du bonheur devant lui. Tarek aime sa femme, ses proches, son prochain. Il voyait sa vie comme un long fleuve tranquille… jusqu’à sa rencontre avec Ali. Les certitudes vacillent, volent en éclats. L’inattendu fait exploser la routine, amène le chaos là où tout est ordre et stabilité. Affrontement de deux mondes, deux univers, deux cultures, deux classes sociales. Ce que je sais de toi est un roman d’amour et de combat, de filiation et de renoncement. Il dit un monde en perpétuel mouvement, jonché de victimes mortes ou (sur) vivantes. Addictif.
"Ce que je sais de toi", Eric Chacour, éditions Philippe Rey, 22 euros
"Croix de cendres" : inquisition, peste et trahisons au XIVe siècle
Grandeurs et petitesses, tolérance et sectarisme, désintéressement et ambitions démesurées, Croix de cendres (éditions Grasset) se lit comme un thriller épique et philosophique. Antoine Sénanque signe avec ce livre une œuvre magistrale. Son absence dans les principaux prix littéraires interroge. Nous sommes au XIVe siècle. La peste ravage l'Europe. À Toulouse, deux jeunes frères dominicains sont à la recherche du meilleur vélin sur lequel leur prieur, Guillaume, entend laisser à postérité le récit de sa vie. Ils se retrouvent tous les deux happés par les griffes de l'Inquisition. Quels sont les secrets de Guillaume ? A-t-il une révélation dérangeante sur la peste et comment elle s'est propagée ? Avec une écriture lumineuse, Antoine Sénanque donne à voir un univers érudit. L'auteur de Que sont nos amis devenus ? crée une atmosphère qui ne va pas sans rappeler Le Nom de la rose d'Umberto Eco. Recette : aventures, fresque historique, atmosphère monacale et polar médiéval. Érudit.
"Croix de cendres", Antoine Sénanque, éditions Grasset, 22 euros
"Les conditions idéales", le puissant et attachant premier roman de Mokhtar Amoudi
Il y a de tout dans ce premier roman de Mokhtar Amoudi, Les conditions idéales (éditions Gallimard) : une écriture ciselée, un humour fin, une sincérité désarmante, des références subtiles et un espoir à portée de main. Il est difficile d’écrire un livre sur la banlieue sans tomber sur des clichés éculés, usés jusqu’au profond ennui comme le frère dealer devenu islamiste, la jeune fille studieuse qui veut s’émanciper et les parents analphabètes taiseux, dépassés et attendant la mort pour aller se reposer au bled. Des clichés et des stéréotypes, à pleines pages, à saturation d’écrans. Puis une voix surgit, parce que sincère et bienveillante, et le livre devient objet littéraire. Mokhtar Amoudi nous emmène sur les pas de Skander, un garçon comme les autres, vers cet étrange pays frontalier de Paris, le Neuf-Trois (93). Les conditions idéales, un premier roman aussi puissant qu’attachant. Mokhtar Amoudi, naissance d’une plume subtile.
"Les conditions idéales", Mokhtar Amoudi, éditions Gallimard, 21 euros
"La contrée obscure" ou le génocide des Cherokees par les conquistadors
David Vann est un formidable conteur, un romancier exceptionnel. Dans son nouveau livre, La contrée obscure (éditions Gallmeister), il laisse éclater tout son talent avec deux narrations distinctes : une cosmogonie, récit mythologique de la naissance de l’univers, et une chronique sanglante d’un génocide annoncé, récit macabre d’une extermination programmée. Au cœur des deux récits, la violence destructrice. Le personnage principal, le conquistador Hernando de Soto, gouverneur de Cuba et marquis de la Florida, est une sorte de Don Quichotte sanguinaire mégalomane, assoiffé d’or et de gloire. Nous sommes le 3 juin 1539, Hernando de Soto enfonce son épée dans le sol de La Florida et se proclame gouverneur officiel, adoubé par le roi Charles Quint. Avec un style incisif, David Vann décrit ce choc culturel, ce fracas des armes, né de la rencontre entre des Espagnols, avides et imbus d’une supposée supériorité morale et religieuse, surarmés, et des Cherokees vaillants, rusés et désespérés, ne disposant que d’arcs et de flèches. Grandiose.
"La contrée obscure", David Vann, traduit par Laura Derajinski, éditions Gallmeister, 26 euros
"Glory", ou la ferme des "animals" de NoViolet Bulawayo
C’est le roman de tous les superlatifs. La Zimbabwéenne NoViolet Bulawayo - Elizabeth Zandile Tshele pour l’état civil - revient avec un livre qui fera date. Glory (éditions Autrement) est une fable animalière, à la hauteur de La Ferme des animaux d'Orwell (1945), sur les indépendances africaines mais le propos est universel. L’écrivaine, née en 1981, situe son récit dans son pays d’origine, le Zimbabwe, même si le nom n’est jamais cité. Elle sème des indices tout au long du roman, certains plus directs que d’autres. Ironique, bienveillante, empathique, l’écriture de NoViolet Bulawayo est éblouissante, un vrai feu d’artifice. Une fois le livre entamé, il est difficile de s’arrêter. Il était une fois, peut-être pas… Sous nos yeux se déroule l’Histoire du Zimbabwe, un pays béni des dieux et violenté par ses dirigeants. Pourtant, tout a commencé d’une façon idéale...
"Glory", NoViolet Bulawayo, traduit de l'anglais par Claro, éditions Autrement, 23,90 euros
"Panorama", ou l’utopie effrayante selon Lilia Hassaine
Lilia Hassaine a déjà fait montre de sa force narrative il y a deux ans avec l’excellent Soleil amer (Gallimard). Elle récidive avec Panorama (Gallimard), un roman à tiroirs sur le cauchemar d’une transparence poussée jusqu’à l’absurde. Ou quand l’utopie devient un enfer. Construit comme un thriller, le livre met le lecteur sous tension dès les premières pages. Le futur imaginé par Lilia Hassaine est orwellien, glaçant d’hypocrisie et de violence contenue où la pierre a cédé la place au verre. Les maisons-vivariums, construites pour libérer la France du mal, sont offertes aux regards trop bienveillants des voisins et des passants. Résultat : la violence diminue. Au-delà de l’intrigue policière, l’écrivaine dépeint une société profondément clivée, déchirée, guidée par la peur, prompte à la délation. Une société déshumanisée que l’espoir a désertée. Chapitres courts, style fluide, Lilia Hassaine nous tend un miroir pas si déformant.
"Panorama", Lilia Hassaine, Gallimard, 20 euros
"La nourrice de Francis Bacon" de Maylis Besserie, la biographie de cette nanny qui a protégé le peintre de tous les dangers
Maylis Besserie avait raconté dans son précédent livre la vie de Samuel Beckett à la maison de retraite de la rue Rémy-Dumoncel à Paris. Elle s'attaque cette fois à un autre Irlandais, Francis Bacon, l'un des plus importants peintres du 20e siècle. Sulfureux et scandaleux. À travers Jessie Lightfoot, sa nourrice venue des Cornouailles, la vie de l'artiste est racontée. Lorsque Jessie Lightfoot arrive en 1911 dans le comté de Kildare au sud-ouest de Dublin, chez Mr Bacon, dit le Capitaine, elle ignore que sa vie va changer. Elle sera nanny, nourrice des enfants de la famille. Et elle accompagnera toute sa vie Francis Bacon. Elle était née en 1871 dans les Cornouailles, et rien ne la prédestinait à rencontrer et suivre le peintre jusqu'à sa mort en 1951. Quand elle travaille pour Bacon, devenu peintre en vogue à Londres, elle ira jusqu'à voler à l'étalage dans les périodes de vaches maigres de l'artiste. Récit douloureux et réjouissant d'une relation maternelle et joyeuse. Une autre manière de regarder l'œuvre du peintre.
"La nourrice de Francis Bacon", Maylis Besserie, éditions Gallimard, 221 pages. 20 euros
La nourrice de Francis Bacon, Maylis Besserie. Éditions Gallimard. 221 pages. 20 Euros
"L'arrestation" : Dan Franck affronte un épisode dramatique de sa vie à l'époque d'Action Directe
L'arrestation est un roman fébrile, anxieux, un retour en arrière sur une blessure jamais guérie. C’est à la fois un roman, une autobiographie et un essai sur les années Action Directe. Dan Franck y rouvre deux plaies de sa vie. La trahison d'un ami qui causa son arrestation et le séjour en prison qui en découla. Les années 80, les années de plomb que vécut la France sont au centre de ce roman-essai. Une époque qui hante Dan Franck mais aussi la société française. Ces années, fin de la comète Mai 68 fascinent autant qu'elles interrogent. Dan Franck a vécu en octobre 1984 un événement personnel qui reflète cette tension. Il est arrêté et incarcéré pour complicité avec les membres d'Action Directe. C'est cet épisode douloureux qu'il raconte dans L'arrestation aux Editions Gallimard. Nous connaissions le talent d'écriture de Dan Franck, et avec cette plongée autobiographique, nous découvrons que les blessures peuvent se guérir avec les mots de l'écrivain.
"L'arrestation", Dan Franck, Grasset, 20 euros
"L'arrestation" de Dan Franck. Édition Grasset
"Une façon d'aimer" de Dominique Barbéris : une discrète et tenace histoire d'adultère et d'amour dans les années 50
Dominique Barbéris a remporté le Grand Prix de l'Académie française le 26 octobre pour sa prose élégante et mélancolique dans Une façon d'aimer. Ce roman transporte le lecteur de Nantes – la ville de naissance de son héroïne Madeleine – à Douala au Cameroun où elle s'embarque avec Guy, employé de la Sociéte des bois du Cameroun, son mari fraîchement rencontré. C'est aux temps des colonies, l'ennui et l'adultère guettent Madeleine. Dominique Barbéris est l'autrice d'une dizaine de livres. Ces premiers romans sont policiers mais toujours teintés de nature et d'atmosphères provinciales. Son style et son écriture : l'élégance et le dépouillement. Avec délicatesse, Dominique Barbéris raconte les doutes, les craintes, les refus et le charme de la tentation. Ce n'est pas un hasard si des années plus tard, le livre préféré de Madeleine est Therese Desqueyroux de Francois Mauriac.
"Une façon d'aimer", de Dominique Barbéris, Gallimard, Collection Blanche, 19,50 euros
"Sarah, Susanne et l'écrivain" d'Eric Reinhardt, ou la longue descente aux enfers d'une femme délaissée par son mari
Sarah, mère de famille et épouse en apparence comblée, confie son histoire à un écrivain qu'elle admire afin qu'il en fasse le récit. Lorsqu'elle réalise après 20 ans de mariage, que son mari est propriétaire de 75% de la demeure familiale, Sarah tente de rétablir l'égalité économique au sein de leur couple. Pour faire réagir son époux, elle décide de quitter leur foyer quelques mois. Une décision aux conséquences inattendues et bouleversantes. À partir de ce matériau, l'auteur, l'écrivain du titre, imagine un double, Susanne, une héroïne proche en tout point de Sarah, même âge, même situation familiale, même milieu social. Le dispositif romanesque de Sarah, Susanne et l'écrivain permet au destin de ces deux quadragénaires de se répondre en écho. À tel point que parfois le lecteur ne sait plus qui, de Susanne ou de Sarah, l'écrivain (avatar d'Eric Reinhardt) raconte la vie. Eric Reinhardt décrypte avec précision l'effondrement d'une femme confrontée à l'indifférence et l'égoïsme de son mari. Le poison lent de l'isolement et du déclassement. Un récit puissant, fécond et profondément féministe.
"Sarah, Susanne et l'écrivain", Eric Reinhardt, Gallimard , 417 pages, 22,00 euros
"Western" de Maria Pourchet, fabuleux roman d'amour à l'ère post #MeToo
Le titre est déjà une promesse d'aventures. Le Western, selon Maria Pourchet, c'est cet "endroit de l'existence où l'on va jouer sa vie sur une décision, avec ou sans désinvolture, parce qu'il n'y a plus d'autre sens à l'existence que l'arbitraire". Deux ans après le puissant Feu (2021), l'écrivaine vosgienne livre un récit au vitriol des relations amoureuses contemporaines et interroge le lecteur : comment aimer après #MeToo ? Qu'est-ce qui n'est plus supportable aujourd'hui ? Western (éditions Stock) est le septième roman de Maria Pourchet. Les routes d'Aurore et Alexis se croisent par hasard, dans une maison familiale à flanc de falaise calcaire. Pendant trois jours, ils se livrent sans pudeur. Dehors, l'orage les attend. Profonde réflexion sur la violence de notre époque et des relations amoureuses, le septième roman de l'écrivaine est une bombe littéraire.
"Western", Maria Pourchet, éditions Stock, 20,90 euros
"L’amour" : portrait sans artifices d'un couple englouti par la routine, signé François Bégaudeau
Pour son retour en librairie, l'écrivain raconte une liaison sans histoires. Cinquante années d'une vie passée à deux, de la fin des années 1960 à aujourd'hui. Récit d'une liaison banale, l'écrivain y raconte les cinquante années de vie commune des Moreau. Une existence faite de joies et de douleurs universelles. Elle est réceptionniste à l’hôtel. Il travaille dans l’entreprise de maçonnerie de son père. Tout juste sortis de l’adolescence, Jeanne et Jacques se rencontrent un été, au début des années 1970, dans une ville près de Nantes. Entre ces deux-là, pas de coup de foudre ou de passion dévorante. Un amour pas à pas. Les balades à moto ou dans la forêt d’abord. Les baisers et les nuits à l’hôtel ensuite. Dans ce très court roman (96 pages), François Bégaudeau voulait raconter l’amour “tel qu’il est vécu la plupart du temps par la plupart des gens : sans crises ni événements”. Promesse tenue. L’auteur dresse un portrait tendre et mélancolique de ce couple sans histoires. Une vie entière passée “côte à côte, en compagnie l’un de l’autre”.
"L’amour", François Bégaudeau, éditions Verticales, 14,50€
"Les dés" d'Ahmet Altan : le sort est jeté
Ahmet Altan dissèque avec virtuosité la mécanique du crime d’honneur, et décrit une sorte de fatalisme grandiose. Et puéril. L’écrivain turc explore les méandres d’une âme enfermée dans une logique tribale. Son personnage, Ziya, court après la mort, après sa mort avec détermination. Il n’a que seize ans lorsqu’il tue l’assassin de son frère aîné. Il découvre en prison le jeu de dés. Ahmet Altan nous fait découvrir Istanbul du début du XXe siècle, une capitale "d’un empire en décomposition, au milieu d’un peuple qui avait pour condition la misère et la peur". Dans ce court roman, on voit une Turquie agonisante et une autre tardant à naître. Ziya se meut dans un univers absurde, il se noie dans le jeu, attendant sans peur une fin inéluctable. Au nom des siens. Les dés, un roman puissant.
"Les dés", Ahmet Alta, traduit du turc par Julien Laeyre de cabanes, Actes Sud, 21,80 euros
"Le Grand Secours" de Thomas B. Reverdy : 24 heures dans la vie d'un lycée de banlieue
Le nouveau roman de Thomas B. Reverdy plonge dans le quotidien d'un lycée de Seine-Saint-Denis. L'écrivain, lui-même professeur, dresse un portrait sans concession de la situation dans les quartiers de la périphérie, et des difficultés que rencontrent les professeurs pour accomplir leur mission. Thomas B. Reverdy déploie ce roman à la manière d'un dramaturge. Avec une unité de temps : l'action se déroule sur une seule journée, un lundi entre 7h30 et 17 heures. Et une unité de lieu : tout se passe autour et dans ce lycée en REP (Réseau d'éducation prioritaire) de Bondy Nord. Roman sombre, mais plein de drôlerie, Le Grand Secours offre aussi un espoir, dessine des éclaircies fugaces et transmet cette poésie singulière et puissante qui pousse dans ces quartiers relégués.
"Le Grand Secours", de Thomas B. Reverdy. Flammarion, 320 p., 21,50 euros
Robert Goolrick : les œuvres complètes d'un grand écrivain américain à découvrir
Les éditions Anne Carrière, la maison qui a fait découvrir l'œuvre de ce romancier américain à la France, ont publié ses œuvres complètes à la rentrée, en hommage à celui qui était devenu un "ami". Préfacé par Marie de Prémonville, la traductrice, ce copieux ouvrage est composé de son œuvre autofictionnelle : Féroces, La chute des princes, L’Enjoliveur (nouvelles), Trois lamentations (nouvelle), et Ainsi passe la gloire du monde, son dernier livre publié en 2019, en forme de testament, dans lequel l'écrivain peint dans une très belle langue, lyrique et mélancolique, le temps qui a passé, la perte, mais aussi les amours et les joies qui ont traversé la vie de Rooney, tout en dressant un portrait sans concession de l'Amérique de Trump. L'ouvrage comprend aussi l'œuvre de fiction : Une femme simple et honnête, Arrive un vagabond et Après l'incendie. Une très belle occasion de découvrir cet auteur qui rêvait de finir sa vie en France, et qui s'est éteint en avril 2022 des suites du covid à l'âge de 73 ans.
"Robert Goolrick, Oeuvres complètes", traduit de l'anglais (Etats-Unis) et préfacé par Marie de Prémonville, Ed. Anne Carrière, 1424 p., 29,90 €
"L'Hôtel des Oiseaux", grande fresque humaine et écologique de Joyce Maynard
Dans ce roman foisonnant en forme de fresque, Joyce Maynard nous transporte en Amérique centrale dans les pas d'une jeune femme marquée par plusieurs tragédies, réfugiée dans un étrange hôtel entouré d'un jardin merveilleux. Dans une langue très visuelle, et une construction en chapitres courts offrant de multiples bifurcations sur des chemins secondaires, la romancière américaine fouille l'âme humaine, nous invitant à un voyage en terre inconnue, comme son héroïne, saisie par la beauté des lieux et la diversité des caractères. L'hôtel des Oiseaux chante la puissance et la beauté du monde, et les hasards de la vie.
"L’Hôtel des Oiseaux", de Joyce Maynard, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Florence Lévy-Paoloni, Philippe Rey, 528 p., 25 €, numérique 16 €.
Prix Goncourt 2023 : "Veiller sur elle" de Jean-Baptiste Andrea, un roman d'amour populaire dans l'Italie fasciste
Si parfois le Prix Goncourt est difficile à offrir, le cru 2023 est un cadeau parfait pour les fêtes de fin d'année. Très romanesque, Veiller sur elle raconte la vie d'un sculpteur dans l'Italie fasciste. Poignante histoire d'amour entre deux enfants que tout sépare, ce roman est aussi une fresque qui retrace l'histoire de l'Italie entre les deux guerres mondiales, avec la montée du fascisme et l'arrivée au pouvoir de Mussolini.
"Veiller sur elle" de Jean-Baptiste Andrea, L'Iconoclaste, 590 pages, 22,50 €
"L'enragé", de Sorj Chalandon : la violence des bagnes pour mineurs dans les années 30
Avec L'enragé, Sorj Chalandon creuse le thème de la violence exercée sur les enfants dans ce nouveau roman qui fait la lumière sur les centres d'éducation surveillés, véritables "bagnes" pour mineurs dans lesquels on enfermait les adolescents à partir de 12 ans. Une histoire peu connue que le journaliste et romancier raconte à travers le destin d'un adolescent de 13 ans. Comme à son habitude, c'est avec ses tripes, d'une écriture à la fois lyrique et tranchante, que l'écrivain décrit la violence, la haine de cet enfant "enragé" dont il connaît intimement la souffrance, thème récurrent de ses romans. "Le personnage de Jules, je l'ai construit à partir de mes colères", confiait l'écrivain à franceinfo Culture à la rentrée.
"L'enragé", de Sorj Chalandon, Grasset, 416 p., 22,50 €
"Trust", un grand roman d'Hernan Diaz sur les années 30, la puissance de l'argent et la mystification de l'Amérique
Après Au loin (La Croisée), le romancier américain Hernan Diaz signe un second livre qui plonge dans l'Amérique des années 20, puis des années 30 pendant la Grande Dépression, à travers le récit de la vie d'un cador de la finance. Ce roman très audacieux dans sa conception interroge sur le pouvoir de l'argent et la machine capitaliste, et sur l'automystification, celle que les hommes de pouvoir cherchent à imposer, mais aussi plus largement celle qui a contribué à construire le "rêve américain". Du grand art.
"Trust", d'Hernan Diaz, traduit de l'Anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard, Editions de l'Olivier, 400 p., 23,50 €.
"Le Château des Rentiers", d'Agnès Desarthe, les secrets du bonheur sont chez ses ancêtres rescapés des camps de la mort
Comment vieillir, où, avec qui ? À partir de cette question, Agnès Desarthe scrute le temps qui passe et se penche sur la mémoire familiale, frappée par la déportation. Comme dans une balade improvisée, de son écriture vive, la romancière traverse le temps et les générations pour aborder avec pudeur, légèreté et humour l'Histoire, la sombre, et les questions existentielles les plus intimes. Campant délibérément son récit et sa réflexion du côté de la vie et de la joie, elle rend un formidable hommage à ses ancêtres, à ceux qui ont péri, à ceux qui ont survécu, ouvrant à leurs descendants (et à nous tous) une perspective apaisée, en forme de pas de côté, sur la question de la Mémoire.
"Le Château des Rentiers", d'Agnès Desarthe, L'Olivier, 224 p., 19,50 €
"L'enfant dans le taxi" : Sylvain Prudhomme explore le thème du secret de famille et des "enfants de guerre"
Ce nouveau roman de Sylvain Prudhomme raconte l'histoire d'un secret de famille autour d'un enfant né pendant la guerre d'une femme allemande et d'un soldat français. Un secret exhumé par l'opiniâtreté du personnage principal, Simon, un quadragénaire en quête de vérité et d'humanité. Sylvain Prudhomme conduit son récit à la première personne, d'une écriture tendue, organique, chaque phrase nourrie à bloc, laissant peu de place au silence (le sujet du livre, justement), se passant même à l'occasion des points et des majuscules pour dire la fulgurance aveuglante d'une annonce. Cette manière de raconter souligne l'idée d'une filiation que Simon souhaite sans ruptures, et aussi l'urgence et l'absolue nécessité de cette magnifique quête humaine.
"L'enfant dans le taxi", de Sylvain Prudhomme, Editions de Minuit, 220 p., 20 €
"La Sentence", un roman qui s'attaque aux fantômes de l'Amérique et chante le pouvoir merveilleux des livres
À travers l'histoire de Tookie, une quadragénaire d'origine amérindienne, Louise Erdrich ouvre des portes sur les mondes mystérieux des autochtones, autant qu'elle jette un regard acéré et effaré sur l'Amérique et ses noirceurs. La Sentence est aussi un hymne aux mots, aux livres et à la lecture. La langue est au cœur de ce roman, également rempli d'amour, jusqu'au débordement. Amour pour une humanité extraordinairement riche et complexe. Amour filial, et surtout, amour des livres, dont les mots hantent les allées de la librairie où Tookie doit affronter ses propres fantômes, comme l'Amérique ses spectres dans la respiration empêchée d'un homme noir, étranglé par un policier. Ce roman profond, tentaculaire et étrange au sens où il éveille notre curiosité d'une altérité, s'achève sur la "liste totalement partiale des livres préférés de Tookie", invitant à poursuivre l'aventure.
"La Sentence" de Louise Erdrich, traduit de l'anglais (États-Unis) par Sarah Gurcel, Albin Michel, 448 pages, 23,90 euros.
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