Médias : Vincent Bolloré, Cyril Hanouna, Pascal Praud... Ce qu'il faut retenir de leurs déclarations devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale
Le groupe Bolloré face aux députés. Les dirigeants de l'entreprise, ainsi que les principales têtes de gondole de C8 et CNews ont été entendus ces dernières semaines par la commission d'enquête parlementaire de l'Assemblée nationale sur l'attribution des fréquences de la TNT. Après Pascal Praud, Sonia Mabrouk, Laurence Ferrari et les dirigeants des chaînes fin février, Vincent Bolloré et Cyril Hanouna ont à leur tour été interrogés par les parlementaires, respectivement mercredi 13 et jeudi 14 mars. Des auditions scrutées, le régulateur des médias, l'Arcom, devant décider en fin d'année si C8 et CNews garderont leur fréquence, après de nombreux rappels à l'ordre. La commission, elle, devra rendre ses conclusions le 8 mai au plus tard. Franceinfo fait le bilan des déclarations des responsables de cet empire médiatique qui n'en finit pas de faire polémique.
Vincent Bolloré : "Je n'ai aucun projet idéologique"
"Je n'ai aucun projet idéologique, je suis tout doux et débonnaire, et pas du tout un Attila", a affirmé Vincent Bolloré devant la commission d'enquête parlementaire. Durant plus de deux heures d'audition sous serment, le milliardaire de 71 ans est notamment revenu sur sa foi catholique et sur la polémique suscitée par un extrait d'une émission de CNews présentant l'interruption volontaire de grossesse (IVG) comme "la première cause de mortalité dans le monde". Le grand patron a déclaré que l'avortement était "quelque chose de terrible" où "deux libertés" se "heurtent" : "la liberté des gens à disposer d'eux-mêmes" et celle "des enfants à vivre". L'homme d'affaires, né "dans une famille catholique, bretonne, riche et célèbre", est revenu sur une expérience personnelle avec l'IVG vécue par une ancienne compagne.
"Il n'y a pas un jour où je ne pense pas à cette vie que j'ai contribué à supprimer."
Vincent Bollorédevant la commission d'enquête parlementaire
Malgré ses "convictions", celui qui n'a plus de fonctions exécutives au sein du groupe Vivendi a assuré ne pas intervenir sur les contenus des chaînes et a nié vouloir promouvoir "une idéologie" d'extrême droite. "Tout ça, c'est des tartes à la crème", a lancé celui qui se présente comme "démocrate-chrétien". Néanmoins, "si je ne crois pas quelque chose, je ne vais pas essayer de le mettre dans mes antennes", a-t-il admis. Interrogé sur le fait que le polémiste Eric Zemmour ait pris son envol sur CNews pour devenir candidat à l'élection présidentielle, il a esquivé : "Je n'ai pas choisi Eric Zemmour", ce sont les dirigeants de Canal+, alors qu'"il était recherché par toutes les chaînes".
Alors que l'actuel PDG de TF1, Rodolphe Belmer, avait évoqué devant les députés les interventions de Vincent Bolloré dans les "contenus" lorsqu'il dirigeait le groupe Canal+, le milliardaire a nié à plusieurs reprises intervenir au sein des chaînes de son groupe. Il a reconnu avoir régulièrement au téléphone Serge Nedjar, directeur de CNews, mais uniquement pour le féliciter des bonnes audiences de la chaîne d'info. Il a même assuré ne plus se souvenir de Stéphane Guy, le journaliste de Canal+ licencié pour avoir soutenu en direct à l'antenne son ancien collègue Sébastien Thoen, lui aussi débarqué pour un sketch. "Je suis désolé pour ce garçon (...). Mais je ne suis absolument pas responsable de tout ce qui peut se passer dans un groupe de cette taille-là."
"Les gens ont peur et s'en vont" mais "je n'inspire la terreur à personne que je connais", a également assuré le milliardaire, évoquant une centaine de départs contraints après son arrivée en 2014-2015. Il a par ailleurs nié avoir lancé des "procédures-bâillons" en justice pour faire taire des journalistes. A l'origine d'une pétition pour le non-renouvellement de la fréquence de CNews, la députée écologiste Sophie Taillé-Polian l'a attaqué sur le respect de ses obligations par la chaîne : "Les fake news y sont légion." Mais "l'ensemble des conventions sont respectées, de ce que je sais", a répliqué Vincent Bolloré. Il a ensuite lancé un avertissement à la commission : "Si, par extraordinaire, une des chaînes du groupe était retirée" de la TNT lors du renouvellement pour 2025, ce "serait une marque de défiance" à l'égard d'un "champion national".
Cyril Hanouna : "Très peu de fake news sortent de notre émission"
"Quand on a une sanction, c'est un drame pour nous." Cyril Hanouna est revenu lors de son audition sur les nombreuses sanctions reçues par ses émissions sur C8. "On a fait plus de 5 000 heures de direct, les faits pour lesquels on est ici aujourd'hui représentent 0,1% de l'antenne (...), je trouve qu'on s'en sort bien", a déclaré l'animateur, habitué des dérapages en plateau. "On a des amendes qui, pour moi, sont disproportionnées", a-t-il estimé, évoquant "un acharnement" qu'il attribue à son succès. "Mon franc-parler et ma liberté dérangent."
Les députés ont à plusieurs reprises interrogé le présentateur sur les 31 sanctions infligées à C8 depuis 2012, la plupart étant des amendes, des mises en demeure et des mises en garde concernant les programmes de Cyril Hanouna.
"Quand on a une sanction, c'est un drame pour nous, (...) on n'est pas en train de faire la fête dans la loge."
Cyril Hanounadevant la commission d'enquête parlementaire
L'Arcom a ainsi infligé ces dernières années un total de 7,5 millions d'euros d'amendes à l'émission "Touche pas à mon poste" ("TPMP"). "Il m'est arrivé de faire des efforts sur mon salaire sur des sanctions", a assuré l'animateur, qui a dit ne pas connaître le montant de sa rémunération. La moitié du montant des amendes vient d'un seul incident, quand le présentateur avait insulté en direct le député de La France insoumise Louis Boyard. "Je regrette mes propos envers Louis Boyard, mais quand Louis Boyard est venu sur le plateau, je voyais non pas un député – j'aurais dû – mais un pote qui m'avait trahi en direct", s'est justifié Cyril Hanouna. En plateau, le député LFI, autrefois chroniqueur dans l'émission, avait accusé les "cinq personnes les plus riches" de France d'"appauvrir l'Afrique", citant Vincent Bolloré. L'élu a déposé plainte pour injure publique contre l'animateur, qui a répliqué en le poursuivant pour diffamation.
Sur la maîtrise de l'antenne, Cyril Hanouna a d'abord évoqué un changement d'époque. "On peut beaucoup moins rire aujourd'hui de tout qu'à une certaine époque, et tous les humoristes vous le diront", a-t-il estimé, citant notamment Tex, sanctionné après des propos banalisant les violences conjugales. "Aujourd'hui, c'est de plus en plus compliqué de faire de la télévision de talk show", a déclaré Cyril Hanouna. Interrogé sur les fausses informations diffusées dans certaines de ses émissions, comme sur l'adrénochrome ou sur l'arrivée de "la drogue du zombie", l'animateur a minimisé les erreurs : "Cela a pu arriver, on a pu se tromper. (...) Ce n'est pas dramatique, on n'a pas été les seuls à se faire prendre par cette fausse info."
Il a assuré que son émission disposait d'un "énorme processus d'authentification", avec notamment une dizaine de personnes, dont sept journalistes, pour vérifier les informations. "Très peu de fake news sortent de notre émission", a-t-il insisté. Il a enfin donné sa définition de la déontologie : "C'est la liberté d'expression, de pouvoir recevoir tout le monde, (...) d'essayer d'être le plus juste possible, d'essayer d'être moi-même."
Pascal Praud : "Je suis une éponge"
Le journaliste vedette de CNews est également passé sur le gril de la commission, le 29 février. Pascal Praud a notamment été questionné sur le traitement réservé à certains invités, à l'image de l'interview du secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire. "L'atmosphère était celle d'un lynchage verbal, a fait remarquer la députée Sophie Taillé-Polian. Il est difficile d'affirmer qu'on respecte le pluralisme quand on considère ses invités comme des punching-balls." "Nous lui avons posé toutes les questions possibles. Il n'a pas su y répondre", a répliqué Pascal Praud. "J'ai dû faire 4 000 heures d'antenne depuis 2016. (...) Evidemment, en 4 000 heures, on assiste parfois à des situations tendues."
L'ancien journaliste de TF1 a aussi été interrogé sur sa non-maîtrise de l'antenne, notamment quand il n'a pas repris l'éditorialiste Ivan Rioufol, qui présentait le ghetto de Varsovie pendant la Seconde Guerre mondiale comme un lieu d'abord "hygiéniste pour préserver du typhus". "Je fais trois heures et demie d'émission par jour sur CNews", a-t-il encore chiffré. "Cela représente environ 60 heures par mois, soit 600 heures par an."
"A chaque fois que l'on fait une erreur parce que l'on ne modère pas un propos sur un plateau, on s'en veut. Et cela arrive, hélas, parce que nous sommes des êtres humains."
Pascal Prauddevant la commission d'enquête parlementaire
Il a également détaillé sa vision de l'information. "Le matin, à 8 heures, vous n'apprenez plus rien aux gens : ils savent déjà tout, a estimé l'animateur de "L'Heure des pros". Si vous vous contentez donc de lire des dépêches, vous n'apprendrez rien aux gens. Il faut leur proposer une mise en perspective, et pourquoi pas de la polémique ou de la controverse, pour assurer le pluralisme, évidemment en respectant la liberté d'expression." Il a ainsi revendiqué le traitement des sujets qui intéressent "le public", avec "toutes sortes de sujets, parfois dérisoires, mais révélateurs de la société". "Je suis une éponge. Je me demande pourquoi les gens parlent de ce chien vu dans un train, et je me rends compte qu'il y a un débat", a-t-il justifié.
Laurence Ferrari : "Le processus est très collectif"
La journaliste Laurence Ferrari a détaillé devant les députés le processus de fabrication de l'information sur CNews et le choix des invités. "S'agissant de la composition des plateaux, le processus est très collectif. Il commence dès le matin tôt pour déterminer les thèmes d'actualité et les invités autour de la table, a-t-elle expliqué. J'aimerais insister sur le fait qu'il y a 200 cartes de presse à CNews."
"J'ai surtout l'impression de remplir une mission d'information tous les jours, en permettant à toutes les opinions de s'exprimer."
Laurence Ferraridevant la commission d'enquête parlementaire
La journaliste est également revenue sur la récente décision du Conseil d'Etat qui a "enjoint à l'Arcom de réexaminer dans un délai de six mois le respect par la chaîne CNews de ses obligations en matière de pluralisme et d'indépendance de l'information", selon un communiqué. "Nous sommes très respectueux de sa décision, même si nous nourrissons des inquiétudes quant à la mise en œuvre de la régulation du temps de parole de nos invités, et quant à leur étiquetage."
Maxime Saada : "En direct, nous prenons un risque, que nous assumons"
Devant les députés, le PDG du groupe Canal+, Maxime Saada, a reconnu le 29 février que les émissions de Cyril Hanouna pouvaient produire "des débordements". "Il est en direct, nous prenons un risque, que nous assumons pleinement", a-t-il affirmé.
"Ce qui fait le succès de Cyril Hanouna, c'est sa nature, sa spontanéité."
Maxime Saada, PDG du groupe Canal+devant la commission d'enquête parlementaire
"Il n'est en rien question pour nous de nous soustraire à l'autorité" de l'Arcom, a insisté Maxime Saada. "Nous nous sommes toujours efforcés de respecter nos obligations sur l'ensemble de nos chaînes, payantes ou gratuites, et nous avons accepté les rares sanctions lorsque ce n'était pas le cas", a-t-il affirmé.
Le PDG a déclaré sans surprise que son groupe allait à nouveau "candidater pour l'ensemble de [ses] chaînes payantes et gratuites à la TNT". Dans une ambiance tendue, le dirigeant a questionné "l'impartialité" de la commission d'enquête, pointant notamment le grand nombre d'auditions de responsables de son groupe.
Lors de la même audition, le directeur général de CNews, Serge Nedjar, a réfuté tout interventionnisme de son actionnaire. "Je n'ai jamais subi aucune pression de la part de Vincent Bolloré, a-t-il affirmé. Je travaille avec lui depuis de très nombreuses années : il ne m'a jamais appelé pour me demander de parler ou de ne pas parler d'un sujet."
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