Législatives 2024 : en attendant un nouveau Premier ministre, quelles sont les prérogatives du gouvernement de Gabriel Attal ?
Une situation inédite qui bouscule la Ve République. Près d'une semaine après le second tour des élections législatives, dimanche 7 juillet, et alors que le camp présidentiel n'est arrivé qu'en deuxième position, la France n'a toujours pas de nouveau gouvernement.
Cette situation pourrait même durer un certain temps. Dans une lettre publiée dans la presse locale, jeudi, Emmanuel Macron a dit vouloir "laisser un peu de temps aux forces politiques pour bâtir [d]es compromis". La gauche, qui a obtenu le plus de sièges au sein de la nouvelle Assemblée, mais pas la majorité absolue, réclame la nomination d'un Premier ministre issu Nouveau Front populaire (NFP). La droite et une partie des macronistes rejettent de leur côté tout gouvernement qui inclurait La France insoumise (LFI), membre du NFP.
Dès lors, le gouvernement de Gabriel Attal reste pour le moment en place. Le Premier ministre a beau avoir remis sa démission au président lundi, celle-ci a été refusée par le chef de l'Etat pour "assurer la stabilité du pays". Un choix inhabituel, alors que l'usage républicain veut que le Premier ministre démissionne après les législatives.
Le gouvernement actuel "est de plein exercice", mais...
La décision du chef de l'Etat n'est pour autant pas contraire à la Constitution. L'article 8, qui encadre le rôle de Premier ministre, ne donne aucun délai spécifique au président pour mettre fin au mandat de son chef de gouvernement. "Le gouvernement est donc de plein exercice et tient sa légitimité de sa nomination par le président", explique à franceinfo le constitutionnaliste et professeur de droit public Dominique Rousseau.
Les équipes gouvernementales peuvent continuer de publier des décrets et des circulaires, procéder à des nominations et gérer les administrations publiques. Le gouvernement a par exemple publié mercredi un décret, paru dans le Journal officiel, autorisant la suspension du repos hebdomadaire des saisonniers lors des vendanges, comme l'a rapporté Libération. Le gouvernement actuel peut également se réunir en Conseil des ministres.
La situation politique et l'absence de majorité présidentielle au sein de la nouvelle Assemblée réduisent cependant les possibilités d'action de l'exécutif, même si rien n'est écrit en ce sens dans la loi. "Le Premier ministre ne peut pas prendre d'initiative vu sa situation politique", analyse ainsi le spécialiste du droit constitutionnel Didier Maus auprès de la revue en ligne Acteurs publics. Ici, c'est la tradition républicaine, plus que le droit, qui prime, car si "juridiquement, on n'est pas dans les affaires courantes (...) politiquement, on y est", estime le spécialiste, pour qui il est "inimaginable qu'il puisse prendre des décrets importants" après avoir perdu des élections.
S'il continuait à gouverner comme si de rien était, le gouvernement pourrait aussi être renversé par une motion de censure de l'Assemblée nationale. Pour éviter un tel cas de figure, la démission du Premier ministre et de son gouvernement pourrait intervenir avant le 18 juillet, date de la première session de la nouvelle Assemblée. En étant démissionnaires, les 17 ministres élus députés, libérés d'une partie de leurs obligations, seraient par ailleurs autorisés à siéger dans l'hémicycle. Leurs voix pourraient s'avérer cruciales lors du vote déterminant la répartition des rôles au sein de l'Assemblée, dont la présidence de l'institution.
"Rien dans la Constitution au sujet du régime démissionnaire"
Que changerait concrètement le fait d'avoir un gouvernement démissionnaire ? "Le Conseil d'Etat a distingué deux caractéristiques de ce régime dans un avis : il doit assurer le fonctionnement de l'Etat et pouvoir intervenir en cas d'urgence", détaille Dominique Rousseau. Le Conseil des ministres cesse ainsi de se tenir, et le gouvernement ne peut plus présenter de projet de loi.
Le gouvernement démissionnaire "peut cependant prendre des décisions pour permettre à l'Etat et à l'administration de fonctionner", ajoute Dominique Rousseau. Là encore, les contours de l'action du gouvernement ne sont pas totalement définis. "Rien n'est indiqué dans la Constitution au sujet du régime démissionnaire, il n'existe pas de loi qui encadre cette pratique", précise Dominique Rousseau.
"Le fonctionnement d'un gouvernement démissionnaire est issu de traditions politiques et est régi par un régime juridique de bon sens : il ne faut pas qu'il y ait de vide."
Dominique Rousseau, constitutionnalisteà franceinfo
Reste à savoir combien de temps pourrait se maintenir le gouvernement de Gabriel Attal, une fois qu'il aura démissionné. Tout dépendra de la capacité des députés à s'accorder sur une potentielle coalition et du choix d'Emmanuel Macron quant au nouveau Premier ministre. "Cela pourrait durer des semaines, et ce serait donc complètement inédit en France", relève Dominique Rousseau, alors que les élections législatives se soldent souvent par une majorité absolue pour un camp à l'Assemblée.
S'il est rare en France, le gouvernement de gestion des affaires courantes est banal chez la plupart de nos voisins européens. En Allemagne, le gouvernement sortant est ainsi resté en place pendant deux mois et demi en 2021, le temps que les sociaux-démocrates d'Olaf Scholz, les Verts et les Libéraux s'accordent sur un contrat de gouvernement. Aux Pays-Bas, Mark Rutte est resté Premier ministre durant presque sept mois, entre les élections législatives de novembre 2023 et la mise en place d'un nouveau gouvernement le 2 juillet. De quoi relativiser la lenteur des tractations entre les députés français.
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