S'abstenir ou voter Macron "pour sauver la France"… A Montpellier, le casse-tête des électeurs mélenchonistes
Dans le chef-lieu de l'Hérault, 47 207 électeurs ont donné leur voix à Jean-Luc Mélenchon, dimanche dernier. Au second tour, le 24 avril, voteront-ils pour Emmanuel Macron ? Marine Le Pen ? Ou s'abstiendront-ils ?
Emmanuel Macron venait d'apparaître à l'écran, interviewé par un journaliste sur une chaîne d'info, quand le serveur du Novelty est monté à l'étage. "Vous voulez peut-être que j'éteigne la télé ?" Ce n'est déjà pas de gaieté de cœur que la quinzaine de militants de La France insoumise (LFI) s'est réunie, lundi 11 avril, dans ce bar du centre-ville de Montpellier (Hérault). Autour de la table, un seul sujet de discussion : le second tour de la présidentielle auquel leur candidat, Jean-Luc Mélenchon, troisième avec 21,95% des voix, ne participera pas, cette fois encore. Mais avec un tel score, le leader de LFI se retrouve dans la position du faiseur de roi, au jeu des reports de voix. Voilà pourquoi Emmanuel Macron et Marine Le Pen, les deux finalistes du second tour, multiplient ces derniers jours les appels du pied à ses 7 millions d'électeurs.
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Une première main se lève. Julien Colet, chef de file "insoumis" de la première circonscription de l'Hérault, se lance : "Moi, je sais ce que je ferai. Comme l'a dit Jean-Luc Mélenchon dès dimanche soir, on ne donne pas une seule voix à l'extrême droite. Point barre." "Pareil", embraie Stéphanie Andral, de la troisième circonscription, "pas une seule voix à l'extrême droite". Nathalie Oziol, la représentante locale pour l'Union populaire, le nouveau mouvement lancé par Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle, résume les choses à sa manière : "Pour moi aussi, même consigne. Mais je crois qu'on est tous d'accord sur ce point, non ?"
Une consultation sur internet organisée en ce moment par La France insoumise, mais réservée à ses militants, doit prochainement donner une première indication de la position à adopter pour le second tour. Un sondage interne avec une seule question : "Quelle position souhaitez-vous adopter pour le deuxième tour ?" Et trois réponses possibles : l'abstention, le vote blanc et le bulletin Emmanuel Macron. Le vote en faveur de Marine Le Pen n'est pas proposé. Par ailleurs, selon le baromètre Ipsos-Sopra Steria pour franceinfo et Le Parisien-Aujourd'hui en France, publié mercredi 13 avril, 37% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon répondaient vouloir voter pour Emmanuel Macron, 18% pour Marine Le Pen, et 45% envisageaient de s'abstenir ou ne s'étaient pas encore décidés.
"Je choisis de ne pas choisir"
L'enjeu est grand, et à Montpellier peut-être encore plus qu'ailleurs. C'est ici que Jean-Luc Mélenchon a réalisé l'un de ses plus gros scores du premier tour : il est arrivé en tête avec 40,73% des voix, soit neuf points de plus que lors de la dernière présidentielle, en 2017, ici même. Voilà donc 47 207 électeurs à qui on demande de faire un choix d'ici au 24 avril.
"Bien sûr qu'on en discute avec nos proches, bien sûr qu'on en parle autour de nous, murmure Julien Colet, professeur d'histoire-géographie, toujours assis à l'étage du Novelty. Ma mère a voté Mélenchon au premier tour, et elle votera Macron au second. Pour elle, ça se fera naturellement." A l'inverse, Stéphanie Andral raconte que ce n'est "pas aussi simple pour [s]on fils. Il a 19 ans, et on lui propose quoi ? Soit la misère : Macron. Soit quelqu'un qui déteste l'autre : Le Pen. Pour l'instant, il penche vers l'abstention."
Et il n'est pas le seul. Esteban, qui avait lui aussi réservé le tout premier bulletin de vote de sa vie à Jean-Luc Mélenchon, ne retournera pas dans l'isoloir, dans dix jours. "Le Pen d'un côté, et Macron de l'autre, pardon mais ce n'est pas un choix", regrette l'étudiant de 19 ans, en deuxième année de licence informatique, croisé à la sortie des cours devant l'université des Sciences. "Macron, il ne s'est quasiment pas intéressé aux étudiants pendant cinq ans. Et maintenant, il faudrait voter pour lui ? C'est facile. Moi, je choisis donc de ne pas choisir, et je le fais en connaissance de cause."
"Macron et Le Pen ne sont pas comparables"
A la Paillade, quartier populaire du nord-ouest de Montpellier, le leader de LFI a obtenu plus de 70% des voix dans certains bureaux de vote, dimanche soir. "Jean-Luc" n'est pas au second tour, mais son visage est encore collé en 10 par 10 sur un feu tricolore, en A3 sur un transformateur électrique, et surtout, dans toutes les discussions. Accroupi sur la balustrade du tramway "Halles de la Paillade", un cabas rempli de fruits et légumes dans chaque main, Driss n'est pas dupe : "On n'a pas vu les amis du président pendant toute la campagne, raconte, mi-taquin, mi-sérieux, le trentenaire. Personne, pas un militant, pas un tract. Et là, ils viendraient faire les beaux parce que notre vote les intéresse… Ça se voit. Moi, je voulais que Mélenchon soit au second tour. Il n'y est pas, je m'arrête là. Fi-ni-to."
A une cinquantaine de mètres, assis sur la dalle devant les halles, Mohamed peste. "Moi aussi j'aurais préféré Mélenchon au second tour. Mais voilà, il faut voter Macron pour sauver la France. Macron et Le Pen ne sont pas comparables. Si tu t'abstiens, tu ne fais pas barrage à Le Pen. Tu t'abstiens de lui faire barrage", s'agace cet employé dans les travaux publics, la petite soixantaine.
"Le Pen, c'est la peste et le choléra en même temps. Il faut voter Macron. Tu fermes les yeux et tu votes Macron."
Mohamedà franceinfo
On marche un bon kilomètre, rue de Bologne, rue Sainte-Barbe, jusqu'à l'école primaire François-Mitterrand, transformée en bureau de vote (le numéro 129) le temps du scrutin. Sur le trottoir, deux hommes discutent du carburant, de son prix, "de pire en pire", et des élections, encore. Tous les deux disent avoir voté "Jean-Luc" au premier tour. Et dans dix jours ? "Bah Macron", dit le plus petit. L'autre ne répond pas. Silence. "Attends, tu déconnes ? Tu ne vas pas voter Le Pen ?" Silence, de nouveau. Il dit qu'il ne sait pas. Enfin "pas encore", mais "peut-être, oui".
"Ce n'est pas à nous de convaincre"
Dans son bureau situé près de la rue de l'Université, en centre-ville, Emmanuel Négrier a la tête dans les chiffres et les courbes depuis dimanche soir, 20 heures. La clé du second tour ? Le taux de participation, selon ce docteur en sciences politiques, installé à Montpellier. "L'abstention sera très certainement plus forte au second tour qu'au premier, notamment dans les bureaux de vote des quartiers populaires. Pas sûr que la mobilisation soit au même niveau."
Alors comment, au juste, limiter l'abstention et inciter les électeurs de Jean-Luc Mélenchon à aller voter ? Alenka Doulain, conseillère municipale d'opposition dans la cité occitane, réfléchit. "Convaincre pour dire combien Marine Le Pen ne représente pas du tout les classes populaires, ça, on va continuer de le faire pendant l'entre-deux-tours", commence par dire cette porte-parole du mouvement NousSommes, un collectif proche de Jean-Luc Mélenchon. "Pour le reste, ce n'est pas à nous d'aller distribuer des tracts. C'est la responsabilité d'Emmanuel Macron, pas la nôtre. Il a mis de l'huile sur le feu durant son quinquennat, voilà les conséquences."
21 heures, au bar Le Novelty. Un militant "insoumis" passe une tête dans le petit groupe pour dire qu'il doit acheter "une bonne boîte de Doliprane". Médicament "indispensable, pense-t-il, pour suivre le débat d'entre-deux-tours", prévu mercredi prochain à 21 heures. Pour les militants LFI montpelliérains, voilà une nouvelle occasion de se réunir autour d'une table. Cette fois, Emmanuel Macron aura peut-être le droit de rester un peu plus longtemps à l'écran de l'établissement.
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