L'article à lire pour comprendre les élections législatives en Inde, dont l'ultranationaliste hindou Narendra Modi est le grand favori

Article rédigé par Elise Lambert - avec AFP
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Les élections législatives en Inde débutent le 19 avril 2024 avec près d'un milliard d'électeurs appelés aux urnes. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO / LUDOVIC MARIN / AFP / RITES SHUKLA / GETTY / SOPA IMAGES)
Près d'un milliard d'électeurs sont appelés à élire les 543 députés de la chambre basse du Parlement indien, lors d'un scrutin qui durera six semaines. Le Premier ministre, Narendra Modi, est candidat à sa réélection.

Un scrutin hors norme. Les élections législatives en Inde débutent vendredi 19 avril et vont durer six semaines. Au total, 968 millions d'électeurs sont appelés aux urnes pour élire les 543 députés de la chambre basse du Parlement indien, qui désigneront par la suite le futur Premier ministre.

Après deux mandats consécutifs, le chef du gouvernement sortant Narendra Modi, ultranationaliste hindou, est candidat à sa réélection. Sous sa gouvernance, l'Inde est devenue la cinquième puissance économique du monde et sa croissance économique dépasse les 8%. Mais les inégalités ont augmenté, tout comme les violences envers les minorités religieuses, notamment les musulmans

Comment va se dérouler le scrutin ?

Les élections débutent le 19 avril et vont s'étaler sur six semaines, pendant lesquelles les 28 Etats et huit territoires de l'Inde vont successivement voter. Le scrutin est uninominal à un tour : le candidat local qui obtient le plus de voix est élu à la chambre basse du Parlement indien, la Lok Sabha. Tous les Indiens âgés de 18 ans et plus ont le droit de voter, soit 968 millions d'électeurs cette année.

Pour encadrer le scrutin, 15 millions d'agents électoraux vont être mobilisés dans 1,05 million de bureaux. Les électeurs votent sur des machines électroniques et, depuis 2013, peuvent faire le choix de n'accorder leur voix à aucun candidat. En 2019, cette option avait obtenu un peu plus de 1% des suffrages, rappelle le Carnegie Endowment for International Peace, un groupe de réflexion américain.

En Inde, aucun électeur ne doit être éloigné de plus de deux kilomètres d'un lieu de vote. En 2019, un isoloir a même été installé pour un seul électeur qui vivait au cœur d'une forêt de l'Etat du Gujarat. Les fêtes religieuses, les récoltes agricoles et les calendriers scolaires sont pris en compte pour que tout le pays puisse voter. Le dépouillement des bulletins commencera le 4 juin et les résultats devraient être annoncés le jour même.

Combien coûte la campagne et comment est-elle financée ?

En février dernier, le Centre indien d'études sur les médias (CMS) prévoyait que les dépenses électorales en 2024 dépasseraient 14,2 milliards de dollars (13,3 milliards d'euros), un montant presque équivalent à celui déboursé lors des élections de 2020 aux Etats-Unis, relaie l'AFP. Ce chiffre est en forte hausse par rapport aux législatives de 2019, durant lesquelles 8,7 milliards de dollars (8,15 milliards d'euros) avaient été dépensés, selon un rapport (document PDF) du CMS.

Les dernières élections avaient été largement marquées par la corruption. Selon le rapport, "jamais auparavant les candidats, les dirigeants et les partis, et même les médias, n'avaient autant violé" les règles électorales. Environ un quart des dépenses de campagne de 2019 correspondait à des paiements en espèces versés aux électeurs par les candidats pour tenter d'influencer leur décision.

Le financement des partis en Inde a longtemps été critiqué pour son opacité. En février, la Cour suprême a mis fin au système des "bons électoraux" introduit par Narendra Modi en 2018. "Ce dispositif permettait aux entreprises de donner des sommes illimitées aux partis politiques, sans avoir à divulguer leurs contributions", explique à franceinfo Milan Vaishnav, spécialiste de l'Inde au Carnegie Endowment for International Peace. Le Bharatiya Janata Party (BJP), parti du Premier ministre, en a été le principal bénéficiaire. Entre 2019 et 2023, il a reçu pour 750 millions de dollars de bons (702,5 millions d'euros), soit presque 50% des titres émis sur la période, rapportent Les Echos.

"Le financement opaque des partis fait partie des élections en Inde."

Milan Vaishnav, chercheur au Carnegie Endowment for international peace

à franceinfo

Malgré la fin de ce dispositif, il est probable que les entreprises continuent de faire des dons au BJP. "Le parti est mieux organisé, plus populaire et les gens savent qu'il va être réélu", poursuit Milan Vaishnav. Les entreprises craignent de donner de l'argent à l'opposition "et de faire face à des représailles, des enquêtes fiscales ou des allégations de corruption", explique-t-il.

Quel est le bilan de Narendra Modi ?

Selon une enquête du Pew Research Center publiée en 2023, Narendra Modi bénéficie d'une opinion favorable auprès de 79% des Indiens. Son parti se targue d'avoir réussi à hisser l'Inde à la cinquième place de l'économie mondiale, devant le Royaume-Uni, l'ancienne puissance coloniale. L'Inde a ainsi affiché un taux de croissance de 8,4% au quatrième trimestre de 2023. Narendra Modi a également "développé l'accès aux toilettes, l'eau courante dans les foyers, la possibilité d'avoir un compte bancaire pour chaque Indien…", étaye Milan Vaishnav.

Des ouvriers devant un bus transformé en toilettes mobiles, à Hyderabad (Inde), le 6 octobre 2020. (NOAH SEELAM / AFP)

Sous les mandats de l'ultranationaliste hindou, l'Inde est aussi devenue incontournable sur la scène internationale. En mars, le président russe Vladimir Poutine a vanté un "partenariat privilégié" entre les deux pays, quand son homologue américain Joe Biden avait évoqué en 2023 des "valeurs communes". Emmanuel Macron l'avait aussi convié comme invité d'honneur du défilé militaire du 14-Juillet à Paris en 2023, et lui a remis une distinction nationale.

Le Premier ministre "a organisé le G20 [en 2023] et a ouvert le pays aux investisseurs étrangers. Elon Musk va se rendre prochainement en Inde pour un projet d'usine Tesla", rappelle à franceinfo Arundhati Virmani, historienne spécialiste de l'Inde à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. "Cette image d'une Inde forte que le monde écoute résonne beaucoup chez les Indiens", explique la chercheuse.

Mais le pays demeure très inégalitaire. Le taux de chômage reste élevé et les femmes sont en majorité exclues du marché du travail, relevait France Culture à quelques jours du début du vote pour les législatives. Fin 2023, 1% des Indiens les plus riches détenaient 40% des richesses du pays, selon un rapport du World Inequality Lab. Comme le souligne le quotidien Hindustan Times, ces inégalités affectent particulièrement les musulmans, groupe religieux le plus pauvre du pays.

Quel est l'état des libertés dans le pays ?

Depuis son accession au pouvoir en 2014, Narendra Modi a instauré une politique nationaliste hindouiste inspirée de l'"hindutva". Cette idéologie soutient que "plus qu'une religion, l'hindouisme est pensé comme la culture naturelle de l'Inde. A ce titre les minorités religieuses sont des corps étrangers de la nation", explique à franceinfo Charlotte Thomas, politiste indépendante, spécialiste de la minorité musulmane indienne. Narendra Modi est par ailleurs membre depuis son enfance du Rashtriya Swayamsevak Sangh, une organisation ultranationaliste hindoue dont il a été cadre et qui est inspirée par le nazisme allemand, rappelle Le Monde. L'un de ses célèbres membres fut l'assassin de Gandhi, Nathuram Godse.

La politique nationaliste hindouiste de Narendra Modi a visé les musulmans, qui représentent 14% de la population indienne, soit plus de 200 millions de personnes. "Des groupes hindous violents, les 'vigilantes', ont attaqué des musulmans avec la complicité passive d'habitants, de la police et des autorités, illustre la chercheuse. Les institutions ont mis en place la réécriture des livres d'histoire, avec la suppression du passé musulman de l'Inde et des rapports pacifiés entre les deux groupes". Des musulmans consommant du bœuf ou commercialisant leur viande, pratique interdite dans l'hindouisme, ont été victimes de lynchages.

L'"hindouisation" est aussi passé par le changement de noms de villes et la modification de l'accès à la citoyenneté pour les musulmans. En 2019, le gouvernement a mis fin à l'autonomie du Cachemire indien, à majorité musulmane. En janvier, Narendra Modi a aussi inauguré un temple hindou dans la ville d'Ayodhya sur un site autrefois occupé par une mosquée. Sa destruction en 1992 avait déclenché les pires émeutes religieuses du pays depuis l'indépendance.

Outre la situation des minorités, l'opposition et les médias sont de plus en plus attaqués par le pouvoir. Depuis 2014, l'Inde a ainsi perdu 21 places dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, se situant désormais au 161e rang sur 180 pays.

Qui sont les principaux candidats de l'opposition ?

Une coalition composée de 27 partis, l'"India" (Alliance nationale indienne pour le développement inclusif) affronte Narendra Modi lors des législatives de 2024. L'un des principaux leaders de cette opposition est le ministre en chef du territoire de Delhi, Arvind Kejriwal. Se présentant comme un militant anti-corruption, c'est un redoutable adversaire pour le Premier ministre sortant. Son parti, Aam Aadmi, a battu à deux reprises le BJP pour le contrôle de la capitale New Delhi. Il a été emprisonné pour corruption, un mois avant les législatives, dans une procédure que ses partisans dénoncent comme politique, explique France 24.

Une manifestation de soutien à Arvind Kejriwal, opposant à Narendra Modi, emprisonné pour corruption, à New Delhi, le 7 avril 2024. (AMARJEET KUMAR SINGH / ANADOLU / AFP)

Une autre figure de l'opposition est Rahul Gandhi, 53 ans. Issu d'une famille qui a dominé la politique indienne pendant près de sept décennies (sans lien de parenté avec Mahatma Gandhi), c'est le chef du parti Congrès. Sa formation œuvre traditionnellement à représenter toutes les confessions dans son programme.

Egalement à leurs côtés se trouve Mamata Banerjee, la ministre en chef du Bengale occidental, l'un des Etats les plus peuplés d'Inde. Elle s'est forgée une réputation de combattante politique dans un pays et un milieu dominés par les hommes. Le ministre en chef de l'Etat Tamil, Nadu M.K. Stalin, est également candidat. Baptisé en hommage au dictateur soviétique Joseph Staline, il défend la justice sociale contre le millénaire système de castes.

Malgré cette union, "l'opposition est très faible et fragmentée", analyse Milan Vaishnav. "Le Congrès est en déclin depuis plusieurs années, et les autres partis sont surtout puissants dans leurs Etats, mais pas au niveau national". L'opposition n'a d'ailleurs pas de réel programme commun, ni de candidat qui se détache comme chef de file.

Que promet Narendra Modi en cas de nouvelle victoire ?

S'il est réélu, Narendra Modi a promis de faire de l'Inde une des "trois principales économies du monde" d'ici à 2027 et de "lancer un assaut final et décisif contre la pauvreté". Autre cheval de bataille : l'adoption d'un Code civil unique visant à standardiser les lois sur des sujets comme le mariage, le divorce ou l'héritage en faveur des hindous. "Il y a, par exemple, la suppression du divorce musulman, ce qui est une interférence directe de l'Etat dans le privé", explique Charlotte Thomas.

"Le changement du Code civil pourrait transformer l'Inde, Etat séculariste, vers un Etat officiellement hindouiste, où les minorités deviendraient par la loi des citoyens de seconde zone."

Charlotte Thomas, politiste indépendante

à franceinfo

Le BJP espère également obtenir suffisamment de sièges à la Lok Sabha pour pouvoir modifier la Constitution. Ainsi, "le parti entend redessiner les limites territoriales des Etats et renforcer le pouvoir fédéral", reprend l'historienne Arundhati Virmani.

Je n'ai pas eu le temps de tout lire, vous pouvez me faire un résumé ? 

A partir du 19 avril, près d'un milliard d'électeurs indiens sont appelés aux urnes pour désigner leur futur Premier ministre. Ces élections législatives d'une ampleur unique au monde : le scrutin va durer six semaines et mobilise 15 millions d'agents électoraux. Le Premier ministre sortant, Narendra Modi, se représente face à une coalition de partis sans réel programme commun, ni leader qui se détache.

Après une décennie au pouvoir, Narendra Modi reste très populaire. En cas de victoire, il promet de poursuivre son projet ultranationaliste hindou, au détriment des minorités, dont les droits et libertés n'ont cessé de reculer sous sa gouvernance. "Dans l'histoire récente, c'est l'une des élections indiennes les plus prévisibles", estime le spécialiste de l'Inde Milan Vaishnav. "La question n'est pas de savoir si le BJP va gagner, mais quelle sera l'ampleur de ce nouveau mandat."

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