Chute de Bachar al-Assad : quelles sont les conséquences pour les pays voisins de la Syrie ?

Si la chute du régime syrien profite largement à la Turquie, qui devient incontournable dans la région, c'est un nouveau revers pour l'Iran, dont l'influence décline.
Article rédigé par franceinfo
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Des Syriens se rassemblent à Damas (Syrie) pour célébrer la chute du régime de Bachar al-Assad, le 9 décembre 2024. (RAMI ALSAYED / AFP)

La chute de Bachar al-Assad résonne bien au-delà de la Syrie. La prise de Damas par des groupes rebelles emmenés par des islamistes, dimanche 8 décembre, restera gravée dans les mémoires des populations qui vivaient jusque-là sous le joug du régime syrien. Alors que le dictateur est en fuite, les rênes du pays sont désormais aux mains des combattants qui ont chassé les soutiens du régime en moins de deux semaines. De nombreuses questions entourent encore le gouvernement de transition, soutenu par les islamistes radicaux du groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS), qui a joué un rôle-clé dans l'offensive.

A la tête de cette administration, le nouveau Premier ministre Mohammad al-Bachir se veut optimiste. "Il est temps pour ce peuple de jouir de la stabilité et du calme", a-t-il déclaré dans une interview à la chaîne Al-Jazeera. Reste qu'il est difficile de prédire l'avenir de la gouvernance en Syrie, tant les groupes qui ont participé à sa "libération" sont divers et risquent de s'affronter à tout moment. Franceinfo fait le point sur ce que la chute de Bachar al-Assad implique pour ses voisins.

La Turquie en position de force

Cette offensive des rebelles est intervenue alors que la Turquie tentait de normaliser ses relations avec Damas pour obtenir le retour d'une partie des trois millions de réfugiés syriens actuellement sur le sol turc, devenu un enjeu politique. "L'alternance de régime à Damas laisse entrevoir la perspective d'un possible retour massif des réfugiés syriens chez eux", souligne Bayram Balci, chercheur au Centre de recherches internationales de Sciences Po Paris, auprès du Monde. La Turquie, qui a soutenu des factions qui ont participé à faire chuter Bachar al-Assad, ressort donc en position de force.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan compte également éloigner un peu plus de son territoire les forces kurdes, implantées dans le nord de la Syrie. "Le but d'Erdogan, c'est d'agrandir la zone dite de sécurité", explique Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques, à France 24. Sur les 928 km de sa frontière avec la Syrie, Ankara contrôle pour l'heure "quelques centaines de kilomètres", précise le spécialiste.

"Le président turc compte bien utiliser la conjoncture (...) pour agrandir ces zones contrôlées par l'armée turque."

Didier Billion, spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient

à France 24

Mais la réussite d'une telle entreprise peut être compromise si "les Kurdes profitent de la situation pour mettre en place un gouvernement autonome", explique Agnès Levallois, vice-présidente de l'Institut de recherche et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, à l'AFP.

Recep Tayyip Erdogan peut en tout cas se targuer d'être "maintenant au cœur du jeu", assurait Adel Bakawan, chercheur à l'Institut français des relations internationales, à franceinfo. Cette position lui permet d'asseoir un peu plus son rôle de médiateur sur la scène internationale, endossé notamment dans le cadre de la guerre en Ukraine. Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a d'ailleurs prévu de se rendre dans la capitale turque pour discuter de la situation en Syrie.

Israël sur la défensive

Depuis l'annonce de la chute du régime syrien, l'Etat hébreu a mené plus de 300 frappes aériennes, visant principalement des sites militaires, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme. L'armée israélienne a aussi confirmé mardi que ses forces étaient "stationnées dans la zone tampon" avec la Syrie à la lisière de la partie du plateau du Golan occupée et annexée par Israël, "ainsi qu'aux points de défense près de la frontière", afin de "protéger" le pays de toute menace. "Nous n'avons pas l'intention d'interférer dans les affaires intérieures de la Syrie", a promis le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, cité par le site Timesofisrael.com. "Mais nous avons l'intention de faire ce qui est nécessaire pour assurer notre sécurité", a-t-il complété. 

Des chars israéliens sur le plateau du Golan, le 11 décembre 2024. (MOSTAFA ALKHAROUF / ANADOLU / AFP)

Le chef du gouvernement israélien a aussi expliqué que Tsahal bombardait les armes du régime Assad "afin qu'elles ne tombent pas entre les mains des jihadistes". Il a par ailleurs réclamé "des relations correctes avec le nouveau régime en Syrie", tout en traçant une ligne rouge : la coopération militaire avec Téhéran. "Si ce régime permet à l'Iran de s'installer de nouveau en Syrie, ou autorise le transfert d'armes iraniennes ou de toute autre arme au Hezbollah, ou s'il nous attaque, nous répondrons avec force et nous lui ferons payer un lourd tribut", a-t-il prévenu.

L'Iran considérablement affaibli

Pendant des décennies, la Syrie a joué le rôle de pont terrestre entre l'Iran et le Hezbollah au Liban. Sous Bachar al-Assad, les armes tout comme les combattants pouvaient transiter sans trop de problèmes entre les trois pays, mais "ce canal est aujourd'hui coupé", explique la politologue Manon-Nour Tannous à Public Sénat. La perte de cet allié "isolera davantage Téhéran", analyse aussi le spécialiste américain Bruce Hoffman dans un billet du Centre sur les relations étrangères. 

Depuis la chute du régime syrien, l'Iran voit rouge et jette même le discrédit sur les forces rebelles qui ont fait chuter Bachar al-Assad. "Il ne fait aucun doute que la cause principale de ce qui s'est passé en Syrie a été planifiée dans la salle de commandement américano-israélien", a ainsi déclaré le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, cité par l'agence officielle Irna.

Le Liban dans l'espoir

Des scènes de liesse ont aussi eu lieu au Liban dimanche. "Aujourd'hui, avec la chute du régime en Syrie et la déroute du Hezbollah au Liban, c'est aussi historique que la chute du mur de Berlin", a déclaré Ali Mourad, activiste politique opposé au mouvement islamiste et enseignant à l'Université arabe de Beyrouth, auprès des Echos. L'arrêt des transferts d'armes entre l'Iran et le Liban via la Syrie pourrait "créer une nouvelle faiblesse pour le Hezbollah", déjà décimé par les bombardements israéliens, prévenait samedi le diplomate américain Amos Hochstein, invité du Forum de Doha (Qatar). 

Des dizaines de personnes célèbrent la chute du régime syrien en agitant les drapeaux des rebelles syriens, à Bar Elias (Liban), le 8 décembre 2024. (SOPA IMAGES / SIPA)

L'armée libanaise a tout de même annoncé, dimanche, renforcer sa présence à la frontière avec la Syrie. "Dans le contexte des développements rapides et des circonstances délicates que traverse la région, (...) des mesures de contrôle plus strictes ont été mises en place", a-t-elle précisé. Le Premier ministre libanais, Najib Mikati, a de son côté insisté pour que le Liban "reste à l'écart" des "répercussions" des évènements en Syrie.

Après la Turquie, le Liban est le pays qui accueille le plus de réfugiés syriens dans la région (environ 785 000, selon l'ONU), fuyant la répression du camp Assad à partir de la révolution manquée de 2011. A l'annonce de la chute du dictateur, certains exilés ont commencé à plier bagage dès lundi, dont des jeunes qui n'ont jamais connu leur pays.

La Jordanie agacée par Israël

Amman voit d'un très mauvais œil le déploiement de l'armée israélienne sur la zone tampon du Golan, territoire limitrophe avec la Jordanie. Le ministre des Affaires étrangères jordanien, Aymane Safadi, a fustigé "une agression" qui représente "une violation du droit international, une escalade inacceptable et une atteinte à la souveraineté d'un Etat arabe".

"Lorsque nous parlons de l'unité de la Syrie, de son intégrité territoriale et de sa cohésion, cela inclut également ses frontières avec Israël."

Aymane Safadi, ministre des Affaires étrangères jordanien

cité par l'AFP

Concernant les réfugiés syriens, au nombre d'environ 650 000 en Jordanie d'après l'ONU, Amman ne s'est pas exprimée. Mais selon la chaîne de télévision publique Al-Mamlaka, "les autorités à la frontière fournissent toutes les aides possibles aux Syriens souhaitant retourner dans leur pays". En juin 2023, Aymane Safadi avait alerté sur les capacités de la monarchie à les accueillir. "Il y a une limite à ce que nous pouvons faire, et il y a une limite à ce que l'on devrait attendre de nous", avait-il prévenu à lors d'une conférence à Bruxelles, selon le Jordan Times

L'Irak inquiet face aux jihadistes

Le renversement du pouvoir syrien, principalement organisé par des rebelles jihadistes, inquiète beaucoup l'Irak, qui partage 600 km de frontière avec la Syrie. Deux jours avant la chute de Bachar al-Assad, le chef de la principale force paramilitaire irakienne, Faleh al-Fayyadh, appelait son pays à "ne pas fermer les yeux" sur le fait que des "groupes terroristes" puissent gouverner en Syrie, comme l'a rapporté le site d'information irakien Rudaw.

En 2014, le groupe Etat islamique venu de Syrie s'était introduit dans le nord et l'ouest du pays, contrôlant jusqu'à 40% du territoire irakien à son apogée, d'après une note du Wilson Center, un think tank américain. Bagdad avait mis quatre ans à chasser ces groupes armés, "avec l'aide d'une coalition internationale emmenée par les Etats-Unis", rappelle le site Middleeasteye.net.

L'Irak a appelé dimanche au "respect" de la volonté du peuple syrien, soulignant que "la sécurité, l'intégrité territoriale et l'indépendance de la Syrie sont d'une importance capitale", comme l'a déclaré le porte-parole du gouvernement, Bassim Alawadi, dans un communiqué. Pour l'instant, le pays n'a pas fait d'annonce concernant les quelque 290 000 réfugiés syriens qui se trouvaient sur son territoire en septembre, selon les chiffres de l'ONU..

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