Pourquoi l'affaire Alexandre Benalla est explosive pour Emmanuel Macron et le gouvernement
Les révélations du "Monde", mercredi, sur les violences commises par Alexandre Benalla lors d'une manifestation, le 1er mai 2018, ont plongé Emmanuel Macron et l'exécutif dans une tourmente inédite depuis le début du quinquennat.
Depuis la Dordogne, il a esquivé toutes les questions. Emmanuel Macron, en visite dans le département pour parler des services publics en milieu rural, et présenter la nouvelle Marianne figurant sur les timbres, jeudi 19 juillet, a refusé d'émettre le moindre commentaire sur l'affaire Benalla, qui entache pourtant l'Élysée depuis mercredi.
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Ce collaborateur d'Emmanuel Macron a été identifié par Le Monde sur une vidéo datant du 1er mai, dans laquelle il frappe à plusieurs reprises un manifestant, lors d'un rassemblement place de la Contrescarpe, dans le 5e arrondissement de Paris. Ce chargé de mission, adjoint au chef de cabinet François-Xavier Lauch, a été mis à pied entre le 4 et le 19 mai, avant de rejoindre l'Élysée pour une fonction plus administrative. Sa procédure de licenciement a été engagée vendredi, a annoncé l'Elysée, "en raison de faits nouveaux portés à sa connaissance". Franceinfo vous explique pourquoi cette affaire, qui se transforme en crise politique, est particulièrement embarrassante pour Emmanuel Macron.
Parce qu'elle implique deux proches collaborateurs d'Emmanuel Macron
Le président de la République connaît bien Alexandre Benalla, puisqu'il était l'homme chargé de sa sécurité pendant sa campagne pour l'élection présidentielle de 2017. Il a rejoint l'équipe responsable de sa sécurité le 5 décembre 2016, seulement trois semaines après l'annonce de sa candidature. Alexandre Benalla se charge notamment de protéger Emmanuel Macron lors des meetings et autres déplacements de campagne.
Quand le candidat d'En marche ! accède à l'Élysée, Alexandre Benalla le suit en tant que chargé de mission auprès du chef de cabinet. Il est également présent pour assurer la sécurité du président de la République, alors qu'il n'en a pas la charge, lors de certains déplacements – publics comme privés. Il l'a ainsi accompagné lors d'une promenade à vélo au Touquet (Pas-de-Calais), ou encore au ski, à La Mongie (Hautes-Pyrénées), précise L'Express.
En parallèle d'Alexandre Benalla, un autre collaborateur d'Emmanuel Macron est directement impliqué : il s'agit de Patrick Strzoda, directeur de cabinet du chef de l'État, et supérieur du chargé de mission. Une fois informé des violences commises par Alexandre Benalla le 1er mai, il a lui-même prévenu le président et prononcé la mise à pied temporaire de l'intéressé.
Parce que l'exécutif savait et n'a rien dit
Selon les informations du Monde, la hiérarchie d’Alexandre Benalla a été informée dès le 2 mai des actes commis par leur collaborateur.
Le lendemain de la manifestation, j’ai été avisé par un collaborateur que M. Benalla avait été reconnu sur le terrain en train de participer à des opérations de maintien de l’ordre. J’ai vu les vidéos, je l’ai convoqué le jour même.
Patrick Strzoda, directeur de cabinet d'Emmanuel Macronau Monde
Le directeur de cabinet affirme avoir "aussitôt" prévenu le chef de l'Etat, qui lui aurait répondu depuis l'Australie que "si les faits sont avérés, il faut prendre des sanctions". Patrick Strzoda décide alors de rédiger une lettre à l'attention d'Alexandre Benalla, dans laquelle il lui annonce sa mise à pied, et le menace de licenciement en cas de nouveau comportement "inapproprié". "Le courrier restera dans son dossier", rapporte Le Monde.
Patrick Strzoda et Emmanuel Macron ne seront pas les seuls à savoir très tôt qu'Alexandre Benalla a agressé un manifestant. Selon les informations de France Inter, le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, a lui aussi été informé de ses actes le 2 mai. Au sein de l'exécutif, une fois le chargé de mission sanctionné, les équipes ont estimé que si l'affaire n'était pas révélée dans les deux semaines qui suivaient, elle serait facilement oubliée, révèle France Inter.
L'exécutif est du coup pointé du doigt pour ne pas avoir saisi la justice, après avoir eu connaissance des gestes d'Alexandre Benalla. L'article 40 du Code de procédure pénale prévoit en effet que "toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs". Or, jusqu'à jeudi, le parquet de Paris n'avait aucune information concernant cette affaire.
"L'Elysée aurait dû transmettre les faits au procureur", insiste auprès du Parisien la présidente de l'Union syndicale des magistrats, Virginie Duval. "Il ne nous est pas apparu qu'il y avait un délit", réagit l'Elysée.
Parce que les sanctions ont été jugées trop légères (et trop tardives)
Une mise à pied de deux semaines, puis une mutation à un autre poste au sein du palais : dès mercredi, de nombreuses voix se sont élevées pour condamner ces sanctions prises par l'Élysée à l'encontre d'Alexandre Benalla, jugées bien trop légères au regard des violences commises par le collaborateur du président.
D'autant plus que le chargé de mission semble avoir effectué, depuis son retour à l'Élysée, plusieurs missions ne correspondant pas à son nouveau poste. Selon Le Monde, Alexandre Benalla devait, dès le 19 mai, se charger de la sécurité des événements organisé "à l'intérieur" du palais de l'Elysée. Il se trouvait lundi dans le bus des Bleus sur les Champs-Élysées et était présent lors de la panthéonisation de Simone Veil, le 1er juillet.
Après deux jours de vive controverse, l'Élysée décide finalement "d'engager la procédure de licenciement" du chargé de mission. Mais cette décision est liée, selon la présidence, au fait qu'Alexandre Benalla "aurait été destinataire d'un document de la préfecture de police qu'il n'était pas autorisé à détenir". Il aurait en effet obtenu des images de vidéosurveillance de la préfecture de police de Paris.
Parce que l'affaire choque la classe politique
Même des élus de La République en marche, tels Laurent Saint-Martin et Cécile Rilhac, appellent à la démission d'Alexandre Benalla. De part et d'autre de l'échiquier politique, de nombreuses personnalités politiques ont condamné le maintien du collaborateur d'Emmanuel Macron à l'Elysée.
"Y a-t-il eu des manœuvres pour étouffer cette affaire ?", a réagi le président des Républicains, Laurent Wauquiez, au micro d'Europe 1 jeudi. "On a le sentiment que, dans l'entourage d'Emmanuel Macron, on se croit au-dessus des lois et des règles", a-t-il ajouté.
#AlexandreBenalla : les images sont choquantes. Nous attendons une réponse du Président de la République. Aujourd'hui, on a le sentiment qu'à l'Élysée, on se croit au-dessus de tout. Je demande que la lumière soit faite sur cette affaire. #E1Matin pic.twitter.com/21xRBR5v8V
— Laurent Wauquiez (@laurentwauquiez) July 19, 2018
Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, a évoqué vendredi matin "une affaire d'Etat" sur Twitter. Sébastien Denaja, secrétaire national du parti, est allé en plus loin en qualifiant les faits de "scandale d'Etat" sur le réseau social, relève Le Monde. Des termes repris par Sébastien Jumel, député communiste de Seine-Maritime. "Macron est en faute", a de son côté réagi Florian Philippot, président des Patriotes.
Du PCF à LR, des élus de tous bords ont réclamé la mise en place d'une commission d'enquête sur ces violences commises lors des rassemblements du 1er-mai. Jean-Luc Mélenchon, chef de file de La France insoumise, est allé jusqu'à proposer une "motion de censure" contre le gouvernement, pour que l'exécutif vienne "s'expliquer" sur l'affaire Alexandre Benalla. Une polémique si importante qu'elle a bloqué les débats sur la révision constitutionnelle à l'Assemblée.
Affaire Benalla : des explications ou une motion de censure
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) July 19, 2018
Intervention de Jean-Luc Mélenchon qui propose à tous les parlementaires de déposer ensemble une motion de censure pour obliger le gouvernement à venir s'expliquer sur l'affaire Benalla. #AffaireBenalla #AlexandreBenalla pic.twitter.com/tOI9JOKqIe
Parce que la justice se penche désormais sur cette affaire
Contacté par franceinfo après les révélations du Monde, le parquet de Paris a annoncé l'ouverture d'une enquête préliminaire jeudi, pour "violences par personne chargée d'une mission de service public", "usurpation de fonctions" et "usurpation de signes réservés à l'autorité publique". L'enquête est confiée à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP).
Le syndicat minoritaire Vigi, qui dépend de la CGT-Police, est venu se greffer à cette enquête en portant plainte jeudi pour "usurpation de fonction" et "usurpation de signe réservé à l'autorité publique", selon Le Parisien et BFMTV. "Ce conseiller jette un discrédit sur toute la police nationale et l’Élysée laisse faire en toute connaissance de cause", a dénoncé le syndicat sur son site.
Alexandre Benalla a été entendu au siège de la police judiciaire de Paris vendredi matin, a constaté un journaliste de France 2 sur place.
Le collaborateur d'Emmanuel Macron a par la suite été placé en garde à vue pour "violences en réunion par personne chargée d'une mission de service public", "usurpation de fonctions", "port illégal d'insignes réservés à l'autorité publique" et "complicité de détournement d'images issues d'un système de vidéo protection", a appris France 2 auprès du parquet de Paris. Alexandre Benalla encourt jusqu'à trois ans de prison et 45 000 euros d'amende.
Parce que l'État va devoir rendre des comptes
Au cours des questions au gouvernement au Sénat, jeudi, le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, a annoncé que la police des polices, l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), allait être saisie pour tenter de comprendre les circonstances des violences commises par Alexandre Benalla, et sa présence auprès des forces de l'ordre le 1er mai.
Le ministre sera lui-même auditionné au Sénat en début de semaine prochaine, a annoncé la commission des lois de la chambre haute. Cette audition vise à "entendre ses explications" sur la participation du chargé de mission "aux opérations de maintien de l'ordre lors des manifestations du 1er-Mai à Paris, ainsi que sur la nature et le cadre institutionnel de la mission qu'il y assumait au nom de l'Etat en collaboration avec les forces de sécurité", a déclaré la commission dans un communiqué.
Du côté de l’Assemblée nationale, la commission des lois sera finalement dotée des prérogatives d’une commission d’enquête, après les révélations concernant Alexandre Benalla. Cette décision a été prise "sur proposition du président de l'Assemblée nationale et en accord avec les présidents de l'ensemble des groupes". Les députés Yaël Braun-Pivet et Guillaume Larrivé en seront les rapporteurs.
La commission a voté à l'unanimité la demande, adressée à @FdeRugy, tendant à lui attribuer les prérogatives d'une commission d'enquête sur les évènements survenus à l'occasion de la manifestation parisienne du 1/05/18 et a désigné @YaelBRAUNPIVET et @GLarrive co-rapporteurs. pic.twitter.com/mkAaKn39xx
— Commission des lois (@AN_ComLois) July 19, 2018
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