L'article à lire pour comprendre la crise actuelle de l'immobilier

Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
Publié
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Le marché de l'immobilier s'est progressivement grippé depuis l'automne 2022. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
Avec des taux d'emprunt autour de 4% et des prix qui reculent difficilement, le marché tourne au ralenti depuis plusieurs mois. On vous explique pourquoi.

Des taux d'emprunt qui s'envolent, des banques plus frileuses pour accorder des crédits, un secteur de la construction en berne... Le marché de l'immobilier s'est progressivement grippé depuis l'automne 2022. Le nombre de transactions immobilières a baissé de 18% entre septembre 2022 et septembre 2023, selon le bilan dressé lundi 11 décembre par le Conseil supérieur du notariat.

Après des années d'emballement, "on observe une rupture", reconnaît l'économiste Pierre Madec, spécialiste du logement à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Ce ralentissement du marché est-il durable ? Jusqu'où les taux vont-ils encore grimper ? Dans quelles villes les prix baissent-ils le plus ? Franceinfo a interrogé des spécialistes de l'immobilier.

Pourquoi les taux ont-ils bondi ?

Ces dernières années, les taux d'emprunt avaient progressivement baissé, jusqu'à atteindre un niveau très attractif pour les acheteurs, autour de 1% en moyenne depuis 2016. "On s'était habitués à des taux très bas, à de l'argent gratuit, c'est ça qui alimentait le marché immobilier", remarque Thomas Lefebvre, directeur scientifique des sites Meilleursagents.com et SeLoger.com. Mais "la conjecture économique s'est enrayée à partir de l'automne 2021", note le professeur d'économie Michel Mouillart, spécialiste du logement.

Sous l'effet de l'emballement des cours des matières premières, puis de la guerre en Ukraine, l'inflation s'est rapidement propagée à l'ensemble de l'économie. Pour limiter l'envolée des prix, la Banque centrale européenne (BCE) a remonté à plusieurs reprises ses taux directeurs, c'est-à-dire les taux auxquels elle prête de l'argent aux banques commerciales. Ces dernières ont à leur tour répercuté ces augmentations sur les particuliers. Fin novembre, le taux moyen des crédits immobiliers s'établissait ainsi autour de 4,3%.

En parallèle, les banques sont aussi devenues plus regardantes sur l'octroi des crédits. Pour lutter contre le surendettement, le Haut Conseil de stabilité financière leur interdit depuis 2022 de prêter de l'argent si les mensualités dépassent 35% des revenus et limite, sauf exceptions, la durée des crédits à 25 ans. Entre la hausse des taux et ces nouvelles règles, le nombre de prêts immobiliers accordés a donc dégringolé, chutant en octobre de 43,5% sur un an, selon l'Observatoire Crédit Logement.

Qui sont les plus pénalisés par ce durcissement ?

Mathématiquement, la hausse des taux diminue la capacité d'emprunt des ménages. D'après les calculs du site VousFinancer.com, un couple avec 4 200 euros de revenus par mois ne peut plus emprunter que contre 228 000 euros sur 20 ans avec un taux à 4%, contre 300 000 euros avec un taux à 1% en 2021. Et les ménages qui souhaitent acheter leur premier logement, souvent de jeunes couples, sont les plus lésés par la hausse des taux.

"Aujourd'hui, le marché immobilier exclut les primo-accédants", renchérit Séverine Amate, spécialiste du marché de l'immobilier. "On ne leur demande pas uniquement d'avoir une situation fiable, mais aussi d'avoir un apport personnel important, autour de 20% [du prix du bien]", avance-t-elle. 

"A moins d'avoir un environnement familial qui puisse vous aider à financer cet apport, vous êtes de facto mis de côté sur le marché l'acquisition."

Séverine Amate, spécialiste du marché immobilier

à franceinfo

Une situation qui freine l'accession à la propriété des moins aisés. "La part des ménages modestes au sein des primo-accédants dans la production de crédits a baissé de dix points" ces trois dernières années, remarque Pierre Madec, citant les données de la Banque de France. Ces profils n'ont pas la capacité financière pour faire face à la hausse des taux, "sauf à acheter des logements 20% plus petits", observe l'économiste.

Comment les prix ont-ils évolué ces derniers mois ?

Malgré le repli du nombre d'acquéreurs potentiels, de nombreux vendeurs sont encore réticents à revoir franchement leurs tarifs à la baisse. Les prix de l'immobilier ont légèrement reculé, de 0,2% sur un an en décembre, selon les données du site MeilleursAgents.com. Ce repli, bien que timide, traduit néanmoins l'avènement d'un "nouveau cycle", selon Thomas Lefebvre.

"Il faut comparer avec les années précédentes, durant lesquelles on observait des hausses de 5% ou 6% sur un an."

Thomas Lefebvre, directeur scientifique de MeilleursAgents.com

à franceinfo

"Les villes où les prix baissent le plus vite aujourd'hui sont celles où le pouvoir d'achat immobilier des acheteurs est le plus contraint", résume-t-il. A Lyon, par exemple, les prix ont reculé de 7,1% sur un an en décembre, d'après les chiffres du site spécialisé. A Paris, la baisse enregistrée est de 5,4% sur les douze derniers mois. Pour la première fois depuis 2019, le prix du m2 est passé en septembre sous les 10 000 euros dans la capitale.

Ce recul est plus timide dans certaines zones, notamment sur la Côte d'Azur. Ainsi à Nice, où les acheteurs sont "plus âgés, plus riches, avec davantage d'apport et ont donc moins recours au crédit", rappelle Thomas Lefebvre, le coût de la pierre s'est encore renchéri de 2,5% sur un an. La dynamique tend toutefois progressivement à s'inverser, avec un recul de 1,6% des prix sur les trois derniers mois.

Pour l'heure, la baisse des prix à l'échelle nationale reste trop faible pour dégripper le marché. "Les prix sont encore trop élevés par rapport à la capacité de financement trop faible des ménages", note Thomas Lefebvre. "Pour revenir à l'équilibre, il faudrait que les prix baissent d'environ 20 à 25%", calcule de son côté Séverine Amate.

Quid des logements neufs ?

Le marché du logement neuf traverse une "crise" encore plus grande que dans le secteur de l'ancien, s'accordent les experts interrogés par franceinfo. En plus de la baisse du pouvoir d'achat des acquéreurs, les promoteurs sont confrontés "au renchérissement important des coûts de construction", analyse l'économiste Pierre Madec.

Les ruptures d'approvisionnement durant la crise sanitaire, puis la guerre en Ukraine, ont contribué à gonfler les cours des matières premières. En parallèle, l'entrée en vigueur début 2022 de nouvelles normes environnementales, qui obligent les bâtiments à être mieux isolés, a engendré un surcoût de 7 à 8% pour les constructeurs, selon la Fédération française du bâtiment. Cette dernière déplore aussi des permis de construire difficiles à obtenir auprès des mairies.

En un an, environ 375 100 logements ont été autorisés à la construction, soit environ 26% de moins qu'au cours des douze mois précédents, selon les statistiques du ministère de la Transition écologique publiées fin novembre. Les réservations de logements neufs au troisième trimestre 2023 ont quant à elle chuté de 30% par rapport à la même période l'année précédente, d'après la Fédération des promoteurs immobiliers

Faut-il reporter un projet d'achat ?

Bien loin des mois qui ont suivi la crise sanitaire, marqués par les envies de déménagement post-confinements et des taux alléchants, le marché immobilier est à présent dans une forme d'"attentisme". Les transactions sont principalement le fait de ménages en "mobilité forcée", explique Pierre Madec, contraints de vendre ou d'acheter à la suite d'une mutation professionnelle ou d'une séparation par exemple. "Pour le reste, les acheteurs préfèrent reporter leur projet en attendant de voir si les taux vont baisser et si les prix des biens vont vraiment s'ajuster", poursuit l'économiste.

Les spécialistes interrogés ne conseillent pourtant pas nécessairement de renoncer à acheter dans cette période. Sur un marché avec moins d'acquéreurs, "les acheteurs solvables" ont les armes pour négocier et "faire baisser le prix à des vendeurs qui sont encore trop hauts", pointe Thomas Lefebvre.

    "Il y a quatre ans, les vendeurs faisaient la loi sur le marché. Maintenant, ce sont les acheteurs solvables qui ont les cartes en main."

    Thomas Lefebvre, directeur scientifique du site MeilleursAgents.com

    à franceinfo

    De son côté, Sévérine Amate conseille de scruter aussi les offres de logements considérés comme des passoires énergétiques. "Un mauvais diagnostic de performance énergétique (F ou G) engendre une décote de 5% à 14% du prix du bien", rappelle-t-elle. Un investissement qui peut s'avérer intéressant à condition de bien estimer le coût des travaux et de prendre en compte les aides à la rénovation.

    Par ailleurs, "même en achetant en ce moment avec un taux à 4%, vous pourrez toujours renégocier votre crédit quand les taux baisseront", rappelle Thomas Lefebvre. En résumé, "si rien ne sert de se jeter sur le marché, être en veille et continuer d'avancer sur son projet immobilier n'est pas forcément une mauvaise idée", défend-il.

    Et le marché de la location, c'est mieux ?

    Non, le stock d'offres de biens à louer a baissé de 18% en moyenne depuis janvier 2022, avec un recul encore plus marqué de 23% dans les grandes villes, selon une enquête du site SeLoger.com parue en septembre. Le secteur fait les frais du durcissement de l'accès à la propriété. "Les ménages qui ont un profil de primo-accédant, plutôt jeunes actifs, sont contraints de rester en location parce que le sas de l'acquisition leur est bloqué", constate Séverine Amate.

    En parallèle, l'économiste Pierre Madec pointe aussi l'essor des meublés de tourisme, jugés plus attractifs par les propriétaires que l'investissement locatif de longue durée. Fin 2021, on comptait plus de 800 000 locations saisonnières, soit 20% de plus sur un an. Un engouement qui s'explique en partie par une fiscalité avantageuse, puisque ces biens bénéficient d'un abattement forfaitaire de 71%, contre 50% pour les meublés classiques. Enfin, l'interdiction de louer les logements les plus énergivores a aussi contribué à tarir l'offre. Certains propriétaires préfèrent vendre leur passoire énergétique plutôt que d'entreprendre les travaux de rénovation nécessaires.

    Conséquence de cette pénurie, les loyers sont en hausse de plus de 3% sur un an dans les dix plus grandes villes, d'après SeLoger.com. La raréfaction de l'offre, notamment de petites surfaces, et l'augmentation des loyers "pénalise particulièrement les étudiants", souligne Séverine Amate. Ces derniers se retrouvent en concurrence directe avec les dossiers de jeunes actifs.

    Peut-on espérer une amélioration ?

    Du côté du crédit, la baisse des taux n'est pas à l'ordre du jour. "Mais s'il semble qu'on ait passé le pic de l'inflation en Europe, celle-ci devrait rester au-delà de l'objectif de 2% en 2024, explique Thomas Lefebvre. Aucun élément ne laisse penser que la Banque centrale européenne va changer sa politique monétaire." Dans ces conditions, les taux des crédits devraient donc se stabiliser "autour de 4 ou 4,5%". "Si on en croit les prévisions de retour à la normale de l'inflation, il ne faut pas attendre de baisse de taux avant 2025", tranche-t-il.

    Le reflux des prix pourrait lui s'accélérer l'année prochaine. "Le nombre de biens à vendre est en train de s'accumuler sur le marché et les propriétaires contraints de vendre vont devoir concéder des baisses de prix pour s'ajuster aux nouvelles conditions de financement des Français", avance Thomas Lefebvre. Il ne faut toutefois pas s'attendre à un "effondrement" des tarifs, prévient Séverine Amate. Le site MeilleursAgents.com anticipe un recul des prix d'environ 4% en 2024.

    "Sans soutien public, il n'est pas certain que le marché génère tout seul des évolutions très positives."

    Pierre Madec, économiste

    à franceinfo

    Les annonces de l'exécutif en juin, à l'issue du Conseil national de la refondation sur le logement, n'ont pas convaincu les professionnels du secteur. En cause notamment, la limitation du prêt à taux zéro aux achats d'appartements neufs en zone tendue ou d'un logement ancien avec travaux en zone non tendue. Le gouvernement a toutefois depuis concédé un élargissement des ménages bénéficiaires et une hausse du montant empruntable dans le cadre de ce dispositif d'aide à la première acquisition immobilière. Mi-novembre, Elisabeth Borne a également fait des annonces pour soutenir la construction de logements. Enfin, le ministère de l'Economie et la Banque de France ont annoncé des assouplissements des règles encadrant le crédit immobilier. De simples "ajustements techniques", selon le gouverneur de la Banque de France, qui ne reviennent par exemple pas sur le seuil maximum d'endettement fixé à 35% des revenus.

    Vous pouvez me faire un résumé ?

    Sous l'effet de l'inflation, la Banque centrale européenne a augmenté les taux auxquels elle prête de l'argent aux banques des particuliers. Si le crédit immobilier a longtemps été très abordable, encourageant ainsi l'achat, les taux d'emprunt ont augmenté en 2023 pour atteindre autour de 4%. Conséquence de cette politique : la capacité des ménages à emprunter s'est réduite. De l'avis des experts interrogés par franceinfo, le marché est désormais dans une forme d'attentisme que les banques prêtent plus facilement de l'argent ou que les prix baissent. En attendant, le marché de la location se retrouve également bloqué, car les potentiels primo-accédants ne peuvent plus acheter.

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