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Inflation alimentaire : pourquoi le gouvernement veut avancer les négociations commerciales entre industriels et distributeurs

Dans l'espoir de faire baisser plus rapidement les prix dans les rayons, l'exécutif présente mercredi un projet de loi fixant à début janvier la fin des discussions entre les professionnels du secteur, au lieu du 1er mars.
Article rédigé par Alice Galopin, Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Les rayons d'un supermarché à Guilherand-Granges (Ardèche), le 17 juin 2023. (NICOLAS GUYONNET / HANS LUCAS / AFP)

Un sujet technique, mais qui a des conséquences bien réelles sur le porte-monnaie des Français. Le gouvernement a dévoilé, mercredi 27 septembre en Conseil des ministres, le texte avançant le calendrier des négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs pour 2024. Le projet de loi doit être examiné à l'Assemblée nationale début octobre.

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Son objectif : accélérer la baisse des prix dans les supermarchés, alors que les coûts de certaines matières premières et de l'énergie ont commencé à reculer, sans toujours se répercuter dans les rayons. En quoi consistent ces négociations ? Et est-il certain que les avancer aura un effet sur les prix de l'alimentation, dont l'inflation n'a que timidement ralenti en août ?

Des prix bloqués pour un an après les négociations

Tous les ans, entre début décembre et début mars, les supermarchés et leurs fournisseurs discutent des prix auxquels les premiers achètent aux seconds les produits vendus le reste de l'année aux consommateurs. Chaque enseigne de la grande distribution se met d'accord avec ses fournisseurs (Danone, Barilla, Herta, Coca-Cola...). Ces négociations ne portent que sur les grandes marques, dites "nationales". Les marques de distributeurs, créées ou détenues par les supermarchés (comme Reflets de France chez Carrefour ou Marque Repère chez E. Leclerc), ne sont pas concernées.

Or, depuis l'épidémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, les coûts de fabrication des denrées alimentaires fluctuent énormément, parfois d'un mois sur l'autre, souvent à la hausse. Mais, avec le système actuel de négociations, les conditions de vente sont fixées une fois par an pour l'ensemble de l'année. Lorsque les coûts de fabrication des industriels ont augmenté en 2021 et en 2022, sans que les prix en rayons ne suivent, leurs marges ont donc fondu. Face à cette situation, à l'issue des dernières négociations en mars 2023, les industriels ont donc obtenu une hausse moyenne de 10% des prix.

Depuis, les coûts de l'énergie et de certaines matières premières agricoles, comme les céréales ou les huiles, ont commencé à baisser, rapporte la FAO l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. Dans ce contexte, l'industrie agroalimentaire a réalisé des marges records cette année, a relevé Alternatives économiques . Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste d u cabinet d'analyses BDO, y voit un effet de rattrapage : "Les entreprises essayent de regagner leurs marges, pour reprendre ce qu'elles ont perdu" quand les cours des matières premières étaient hauts, mais pas encore répercutés sur les prix.

Un "name and shame" aux résultats contrastés

De son côté, le gouvernement a multiplié les pressions pour que les acteurs du secteur retournent rapidement à la table des négociations et répercutent les baisses enregistrées sur les cours mondiaux. Début juin, Bruno Le Maire a ainsi appelé les 75 principaux industriels de l'alimentaire à diminuer leurs prix, et menacé de recourir au "name and shame", la dénonciation publique des mauvais élèves. Trente-neuf d'entre eux, dont Bonduelle, Haribo ou encore Panzani, ont consenti mi-juillet à des diminutions de prix ou des promotions sur 1 000 produits. Selon le président de l'Association nationale des industries alimentaires (Ania), Jean-Philippe André, des baisses allant "de 5% à 18% selon les produits" ont été actées. Un premier effort salué par le ministre de l'Economie, mais jugé insuffisant. Certains "groupes industriels ne jouent pas bien le jeu et pourraient faire plus", a-t-il estimé fin août sur France 2, citant ouvertement Unilever, Nestlé et PepsiCo.

En parallèle, Bruno Le Maire a vanté un "accord global entre industriels et distributeurs" visant à bloquer ou baisser les prix sur 5 000 références. Outre les baisses consenties par les industriels à l'été, une partie de cette annonce repose sur l'extension des dispositifs anti-inflation déjà mis en place par les enseignes. Le groupe Intermarché a ainsi annoncé doubler, de 500 à 1 000, le nombre de "produits pouvoir d'achat" dans ses rayons. Carrefour a, de son côté, acté une nouvelle diminution des prix sur 500 nouveaux produits, et Système U revendique des baisses sur 900 étiquettes.

Mais l es modalités de ces opérations "anti-inflation" dans les supermarchés (produits concernés, prix bloqués ou en baisse, promotions temporaires...) restent à la discrétion des enseignes. Pour l'heure, aucune liste officielle des 5 000 produits évoqués par Bruno Le Maire n'a été communiquée par le ministère de l'Economie. Bercy promet toutefois que la Répression des fraudes mènera des contrôles, notamment pour vérifier que les baisses consenties par les industriels sont bien répercutées en rayon.

Pour réussir à résorber plus efficacement le décalage entre le coût de production réel des produits et leurs prix pour les consommateurs , le gouvernement a donc décidé d'avancer de quelques semaines le calendrier des négociations pour 2024, et de donner aux parties prenantes jusqu'au 15 janvier pour tomber d'accord. A la différence des tentatives d'incitation de Bruno Le Maire, ce bouleversement du calendrier nécessite un texte législatif : la date limite des négociations, normalement fixée au 1er mars, est inscrite dans la loi. Seuls les 75 plus gros industriels seront concernés par cette avancée du calendrier. Les milliers d'autres entreprises fournissant la grande distribution continueront, elles, à négocier jusqu'au 1er mars.

Une baisse loin d'être assurée dans tous les rayons

Reste qu'il est difficile pour l'heure d'anticiper avec précision l'issue de ces négociations. Pour Anne-Sophie Alsif, des baisses de prix devraient être actées, en particulier pour contrer le phénomène de recul de la consommation observé dans les supermarchés. Fin août, le PDG de Carrefour et président de la Fédération du commerce et de la distribution, Alexandre Bompard, a mis en garde sur le " tsunami de déconsommation" qu'il dit déjà observer, et qui pourrait s'aggraver si l'inflation alimentaire perdure.

Afin de proposer les meilleures offres à leurs clients, le patron de la grande distribution a par ailleurs demandé un moratoire d'un an sur la loi Descrozaille votée par le Parlement en mars. Ce texte, qui doit entrer en vigueur en mars, limite les promotions sur les produits d'hygiène et de soin à 34% du prix de vente originel. Une disposition à laquelle Bruno Le Maire s'est dit lui aussi "opposé", la jugeant "contradictoire" avec le soutien au pouvoir d'achat des ménages. Le ministre laisse néanmoins aux parlementaires le soin de demander une suspension de la mesure qu'ils avaient eux-mêmes proposée et adoptée.

De leur côté, les industriels affirment que le repli de certaines matières premières n'est pas forcément significatif, et que leurs coûts de production sont loin d'avoir baissé partout. Les filières du lait et de la charcuterie ont demandé à être dispensées de l'avancée des négociations, assurant ne pas avoir les moyens de baisser leurs tarifs pour le moment.  D'autres industriels avancent même que des négociations anticipées pourraient conduire à des hausses sur certains articles. "Il y aura des cas de figure où il y aura + 10%, d'autres où il y aura du -2% ", avance auprès de RMC Richard Panquiault, qui représente des multinationales comme Ferrero ou Kellogg's. "Le sucre, le porc, le riz, les lentilles, les tomates… Nous avons encore une inflation alimentaire qui est forte", justifie, au micro de la radio, Jérôme Foucault, porte-parole de l'Adepale, qui représente les entreprises de produits alimentaires élaborés.

Quels que soient les résultats de ces échanges, l'effet sur le porte-monnaie des consommateurs ne sera probablement pas immédiat. E n fonction du renouvellement des produits dans les rayons, "il faudra au minimum trois mois pour observer les variations de prix sur les nouveaux stocks négociés", avance l'économiste Anne-Sophie Alsif. A terme, le ministère de l'Economie réfléchit également à une "réforme d'ensemble" et pérenne des négociations. Un souhait maintes fois formulé par le patron de Système U, Dominique Schelcher, qui plaide pour des discussions tout au long de l'année.

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