Réforme des retraites : des amendements en pagaille et un climat électrique... On vous résume les deux semaines de débat à l'Assemblée
Comme un condensé d'une folle année parlementaire, l'examen de la réforme des retraites à l'Assemblée nationale s'est achevé vendredi 17 février, à minuit, après deux semaines intenses et riches en rebondissements. L'objet même du texte, très clivant, et la procédure législative utilisée par le gouvernement, l'article 47-1 de la Constitution, qui a contraint les députés à l'examiner en 20 jours au Palais-Bourbon, n'ont pas aidé : le gouvernement, la majorité et les oppositions se sont livré une féroce bataille dans l'hémicycle et en dehors, pour un résultat aux antipodes, sans vote. Alors que le texte va être étudié en commission par les sénateurs à partir du 28 février, franceinfo revient sur les moments marquants de cette quinzaine sous haute tension.
Le 2 février : des milliers d'amendements sont déposés
Jeudi 2 février, 17 heures. Le suspense est à son comble : combien d'amendements vont être déposés sur le projet de loi portant sur la réforme des retraites ? Va-t-on rester autour de 7 000 amendements, comme en commission des affaires sociales ? C'est finalement bien plus. Quelque 20 000 amendements sont déposés, dont près de 13 000 pour la seule France insoumise. D'une clause de revoyure pour évaluer les effets de la réforme à la suppression pure et simple de l'article 7 actant le recul de l'âge légal de départ à 64 ans, les modifications proposées sont extrêmement variés.
Le nombre d'amendements reste très en deçà des 41 000 déposés en 2020, lors de la précédente tentative de réforme des retraites, mais sitôt le chiffre connu, la majorité proteste. "Examiner tous ces amendements nécessiterait quatre mois de débat parlementaire. Ils le savent, c'est impossible. Cela s'appelle de l'obstruction", dénonce ainsi Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance, sur Twitter.
Le 6 février : la motion du Rassemblement national est rejetée
Après des semaines de concertation, le jour J est arrivé. Lundi 6 février, les députés se retrouvent à 16 heures dans l'Hémicycle pour débuter l'examen du texte. Le ton est donné dès le début, l'ambiance est absolument électrique. Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, est empêché de s'exprimer. En cause : les députés s'écharpent sur une question technique. Quelle motion référendaire, procédure qui vise à suspendre le parcours législatif d'un texte de loi pour le soumettre à un référendum, faut-il examiner ? Celle du Rassemblement national est tirée au sort au détriment de la motion de la Nupes, qui refuse de s'associer au parti d'extrême droite.
Dénonçant un "déni de démocratie", l'opposition de gauche fait claquer les pupitres de l'Hémicycle. Finalement, c'est bien la motion du groupe de Marine Le Pen qui est soumise au vote et rejetée, tout comme la motion de rejet préalable portée par la Nupes. Quatre heures après l'ouverture des débats, les députés peuvent (enfin) se pencher sur le fond du texte.
Les 10 et 13 février : des insoumis provoquent des tollés
Deux incidents témoignent de l'ambiance des débats. C'est d'abord le député insoumis Thomas Portes qui va enflammer le Palais-Bourbon vendredi 10 février. Auteur d'un tweet le montrant un pied posé sur un ballon à l'effigie du ministre du Travail, Olivier Dussopt, il refuse de s'excuser et provoque une longue interruption de séance, le temps que le bureau de l'Assemblée nationale se réunisse. L'élu de La France insoumise écope de 15 jours d'exclusion, la sanction la plus sévère, à l'instar de Grégoire de Fournas, le député du Rassemblement national puni après ses propos racistes sur les migrants.
Si la Nupes critique très fortement la sanction, elle a une attitude bien différente après les propos d'un autre député insoumis, Aurélien Saintoul, qui accuse Olivier Dussopt, lundi 13 février, d'être "un imposteur" et "un assassin", provoquant un tollé dans l'Hémicycle. Les partis de gauche se désolidarisent, le conduisant à présenter ses excuses au ministre du Travail. L'élu des Hauts-de-Seine écope d'un rappel à l'ordre.
Le 14 février : Elisabeth Borne drague Les Républicains
Pour faire voter la réforme des retraites, la majorité a besoin des voix des Républicains à l'Assemblée nationale. Afin de rallier leurs suffrages, le gouvernement opère d'abord une concession sur les carrières longues avant l'examen du texte, début février, pour contenter les cadres du parti de droite. Dans la même optique, Elisabeth Borne fait un nouveau pas vers les élus LR, mardi 14 février : "Dès lors qu'est atteint l'âge de départ anticipé, la réforme ne prévoit pas, pour les carrières longues, de durée de cotisation supérieure à 43 ans", répond la Première ministre à une question d'une députée des Républicains.
Mais toutes les carrières longues sont-elles concernées ? Non, en réalité. Ceux qui ont commencé à travailler à 18 ans sans interruption restent pénalisés par la réforme, malgré l'annonce de la Première ministre. C'est sur ces différences entre les âges de début de carrière que les oppositions de gauche, d'extrême droite et d'une partie de la droite, comme Aurélien Pradié, redoublent de critiques.
Le 14 février : les députés votent contre l'index seniors
Peu d'articles ont finalement été soumis au vote lors de cette quinzaine très agitée. L'un d'entre eux représente d'ailleurs un revers pour le gouvernement. C'est l'article 2 du texte, qui prévoyait la création d'un index seniors, destiné à encourager les entreprises à favoriser l'emploi des salariés les plus âgés. Mais cet indice est rejeté, mardi 14 février, tard dans la soirée, par 256 voix contre, 203 voix pour et 8 abstentions.
Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, juge ce rejet "incompréhensible". Il s'explique pourtant par l'opposition classique de la Nupes et du Rassemblement national, mais aussi par la décision de 38 des 44 députés des Républicains présents lors du vote de balayer un "article alibi" et "anticonstitutionnel", selon Eric Ciotti, le chef du parti.
Le 16 février : l'exécutif se fait piéger sur les pensions minimales
C'est l'un des angles d'attaque de la Nupes : qui sera vraiment concerné par les 1 200 euros de pension minimum après l'entrée en vigueur de la réforme ? Les députés de gauche ne cessent d'interpeller le gouvernement et Olivier Dussopt sur le sujet, séance après séance. Mercredi 15 février, le ministre du Travail assure que "40 000 personnes de plus [passeraient chaque année] le cap des 85% du smic". Le lendemain, le socialiste Jérôme Guedj passe à l'offensive : le député de l'Essonne se rend dans la matinée à la direction de la Sécurité sociale (DSS) pour demander des comptes.
Dans l'Hémicycle et sur Twitter, l'élu assure l'après-midi que le chiffre de 40 000 concerne le "nombre de personnes qui vont toucher la revalorisation maximale de 100 euros" en 2030, sans forcément atteindre une pension de 1 200 euros. Olivier Dussopt lui répond vertement : "Vous perdez les pédales depuis quelques jours, vous ne savez pas comment vous refaire la cerise". "Je n'ai pas à rendre de compte ni sur les canaux, ni sur la manière dont je fais les prévisions", affirme-t-il.
Le 16 février : la Nupes se déchire sur sa stratégie
La Nupes, qui a déposé environ 18 000 amendements, fait bloc sur le fond, en s'opposant uniformément au projet du gouvernement. Mais les stratégies divergent sur la forme. Alors que les débats patinent au cours de la première semaine et au début de la seconde, les écologistes et les socialistes défendent le retrait des amendements déposés avant l'article 7, afin de débattre du recul de l'âge légal de départ à la retraite, au cœur du projet du gouvernement.
Les députés PS et EELV passent à l'acte mercredi soir en retirant la quasi-totalité de leurs amendements avant cet article. Ils sont imités par les communistes jeudi matin. Mais les députés LFI maintiennent les leurs. Et Jean-Luc Mélenchon, qui n'est plus député depuis juin 2022, sème le désordre au sein de l'alliance en critiquant sur Twitter la stratégie "incompréhensible" de vouloir "se précipiter" vers l'article 7. La majorité s'engouffre dans la brèche et dénonce les divisions de la gauche, qui s'étalent au grand jour avant la fin de l'examen du texte.
Le 17 février : l'examen se termine sans vote
Comme prévu, les débats se sont arrêtés à minuit au Palais-Bourbon. Le texte sera examiné au Sénat à partir de fin février. Dernier soubresaut : presque absent des débats, le Rassemblement national a voulu reprendre la main en déposant une motion de censure spontanée qui a été examinée et rejetée dans la nuit. Le texte n'a recueilli que 89 voix, loin de la majorité absolue (qui est de 287 voix).
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