Guerre au Proche-Orient : après la mort du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, jusqu'où peut aller Israël ?

Si Benyamin Nétanyahou brandit l'objectif de sécuriser la frontière avec le Liban, le Premier ministre israélien pourrait choisir de pousser son avantage un peu plus loin.
Article rédigé par franceinfo
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Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, s'exprime à l'Assemblée générale des Nations Unies, le 27 septembre 2024, à New York. (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

La stratégie d'Israël reste une boîte noire pour la plupart des analystes. Mais après avoir tué le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, vendredi 27 septembre, Israël a atteint "ce qui semble être un tournant historique" dans la lutte contre ses "ennemis", a déclaré Benyamin Nétanyahou. La plupart des dirigeants militaires du groupe chiite libanais sont morts, selon Israël, mais l'armée israélienne ne compte pas en rester là, et la campagne intensive de bombardements a repris samedi et dimanche sur le Liban.

Le gouvernement israélien de Benyamin Nétanyahou assure avoir un objectif de guerre simple : sécuriser la frontière nord du pays, qui borde le Liban, et permettre à ses habitants de "rentrer chez eux en toute sécurité", à l'abri des roquettes du Hezbollah, selon les déclarations du Premier ministre israélien. Mais face à des Occidentaux divisés et à un régime iranien dont la capacité de répliquer est en doute, l'Etat hébreu pourrait décider de pousser son avantage stratégique un peu plus loin.

La perspective d'une offensive terrestre au Liban

L'armée israélienne a massé ces derniers jours des troupes près de la frontière libanaise, en vue d'une possible intervention terrestre. "Vos bottes, celles que vous portez, vont aller en territoire ennemi", a même déclaré mercredi le chef d'état-major de l'armée israélienne, le général Herzi Halevi, dans une opération de communication filmée par la télévision.

"L’armée israélienne agit presque toujours en deux phases : une première phase aérienne, puis une terrestre, ou aéroterrestre", confie au Parisien l'historien et ancien colonel Michel Goya. "L'offensive terrestre est prête, les chars Merkava sont déjà à la frontière. Et à mon avis, cette offensive va avoir lieu", ajoute sur franceinfo Jean-Paul Chagnollaud, président de l'Institut de recherche et d'études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo).

"Nétanyahou est dans une position qui lui permet d'établir un rapport de force. (...) Il n'a aucune pression, ni aucune limite qui lui serait imposée, ni par les Américains, ni par les Européens, ni par les Nations unies."

Jean-Paul Chagnollaud, spécialiste du Proche-Orient

sur franceinfo

Après une semaine de frappes contre le Hezbollah au Liban, le gouvernement israélien cherche toujours officiellement à permettre aux 60 000 Israéliens évacués du nord d'Israël depuis les jours qui ont suivi le 7 octobre de retrouver leurs habitations. Mais pour Jean-Paul Chagnollaud, il souhaite aller plus loin. "Comment est-ce qu'on sécurise une frontière ? (...) On peut effectivement établir un rapport de force, à condition derrière d'entrer dans le champ diplomatique et de négocier", estime-t-il. Pour l'instant, rien n'indique une volonté d'ouvrir les négociations du côté de l'Etat hébreu. "L'attaque du dispositif politique du Hezbollah, ça veut dire qu'Israël pense qu'il n'y a plus lieu de négocier quoi que ce soit avec le Hezbollah", acquiesce, sur France 24, le général Dominique Trinquand.

Benyamin Nétanyahou, qui a marqué des points vis-à-vis de son opinion publique avec l'assassinat de Hassan Nasrallah, "va aller jusqu'au bout de la stratégie militaire, il a les moyens d'y aller", détaille l'ancien chef de la mission militaire française à l'ONU. "Le Hezbollah ne sera probablement pas éradiqué, mais pour lui, il s'agit d'éloigner la menace militaire". Concrètement, l'armée israélienne pourrait choisir de limiter son intervention sur le sud du Liban afin de détruire les installations militaires menaçant le nord d'Israël. "On rentre, on nettoie, et on repart. Les Israéliens appellent ça 'tondre le gazon'", résume Michel Goya pour le Parisien.

Mais une opération terrestre reste "une prise de risque pour Israël, parce que naturellement, des troupes au sol, ça signifie des pertes israéliennes", prévient le général Dominique Trinquand. En 2006, la guerre entre Israël et le Liban avait ainsi fait 160 victimes côté israélien, contre 1 200 côté libanais. Et le sud du Liban ne présente pas les mêmes caractéristiques que la bande de Gaza pour l'armée israélienne. "Il y a le défi du terrain : plus grand, plus important et donc plus difficile à conquérir. Et deuxième difficulté : le Hezbollah est une force plus entraînée", détaille Dominique Trinquand sur France 24. "Cela peut être un vrai guêpier pour l'armée israélienne."

Le retour de la question palestinienne

Parallèlement aux opérations menées au Liban, l'armée israélienne poursuit sans répit son offensive contre le Hamas dans la bande de Gaza. Au moins 41 595 Palestiniens ont été tués dans la campagne de représailles à l'attaque du 7 octobre, en majorité des civils, selon les données du ministère de la Santé du gouvernement du Hamas à Gaza, jugées fiables par l'ONU. "Il faut aussi se préoccuper des deux millions de gazaouis qui sont aujourd'hui dans un dénuement le plus total", alerte sur franceinfo Jean-Paul Chagnollaud.

"On est là dans un désastre humanitaire terrible [à Gaza] et on l'oublie."

Jean-Paul Chagnollaud

sur franceinfo

Américains, Egyptiens et Qataris se sont impliqués en vain dans les pourparlers pour un cessez-le-feu et pour la libération des derniers otages. Dès lors, difficile d'entrevoir la fin des hostilités dans la bande de Gaza. "Ce que veut Nétanyahou, c'est rester à Gaza, sécuriser Gaza, et pas simplement sécuriser la frontière", estime de son côté Jean-Paul Chagnollaud. D'autant que la communauté internationale laisse le champ libre au gouvernement israélien, avec des Américains concentrés sur l'élection présidentielle et des Européens qui ne parlent toujours pas d'une seule voix. "Nétanyahou a la conviction, la certitude, que les Occidentaux ne feront rien pour l'empêcher", selon Jean-Paul Chagnollaud.

Des réactions internationales difficilement contrôlables

"Nétanyahou, c'est sa politique, veut que la guerre continue, il ne veut pas de solution, il ne veut pas d'Etat palestinien. (...) Il a intérêt à un certain degré d'escalade", juge également l'ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine sur LCI. Le Premier ministre israélien a refusé à plusieurs reprises l'hypothèse d'une solution à deux Etats, avec la création d'un Etat palestinien. "C'est le but de sa vie qu'il n'y ait pas d'Etat palestinien", estime même Hubert Védrine.

"Dans l'hypothèse d'un futur accord, (...) Israël doit pouvoir contrôler la sécurité de tout le territoire situé à l'ouest du Jourdain", déclarait encore en janvier le Premier ministre israélien. "On va le voir dans les prochains mois, Nétanyahou veut étouffer complètement la Cisjordanie, de telle façon qu'il puisse continuer la colonisation, pour l'annexer", prédit encore Jean-Paul Chagnollaud. "La stratégie très claire de Benyamin Nétanyahou consiste en un mot à dominer la région."

Un an après le 7 octobre, le Premier ministre israélien a donc repris la main. "Israël a réussi à inverser complètement la terreur. Ils étaient dans les cordes, traumatisés, affaiblis, décrédibilisés. Aujourd'hui, ils font de nouveau peur", confie à l'AFP un haut responsable militaire européen, sous couvert d'anonymat. Mais les coups portés au Hamas et au Hezbollah peuvent aussi déstabiliser à terme la région. "Il peut y avoir des réactions globales, avec la diaspora chiite qui se met en route à partir de la Syrie et de l'Irak, mais également avec les houthis qui peuvent développer des opérations en mer Rouge", détaille sur franceinfo l'ancien colonel Peer de Jong. Le vice-président de l'Institut Themiis anticipe "des réactions internationales extrêmement fortes", notamment dans "la rue arabe". Les opérations israéliennes, "militairement parlant, c'est jouable, politiquement parlant, c'est très compliqué à gérer dans le moyen terme".

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