Législatives 2024 : pour l'école, Renaissance et le Rassemblement national portent des thèmes communs, mais des projets différents

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Une salle de classe et des élèves dans un collège à Béziers (Hérault), le 22 mars 2024. (GUILLAUME BONNEFONT / MAXPPP)
Autorité, laïcité, uniforme, savoirs fondamentaux... Le camp présidentiel et le parti de Jordan Bardella paraissent mettre en avant les mêmes thématiques dans leurs programmes pour l'école. Jusqu'où se ressemblent-ils vraiment ?

L'un prône un "sursaut d'autorité", l'autre promet un "big bang de l'autorité". Le Premier ministre et ex-ministre de l'Education, Gabriel Attal, et le président du RN, Jordan Bardella, font tous les deux du rétablissement de l'ordre à l'école une priorité. Outre cette rhétorique commune, leurs programmes comptent des mesures similaires, de l'interdiction des téléphones aux sanctions accrues envers les élèves "perturbateurs". Et tout comme Gabriel Attal défend un "choc des savoirs" fondamentaux, Jordan Bardella a mis l'accent sur "la maîtrise des savoirs fondamentaux à l'école primaire notamment", lors de la présentation de son programme, lundi 24 juin.

En mars, bien avant la dissolution de l'Assemblée nationale et l'organisation d'élections législatives anticipées, Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l'Education nationale honoraire, estimait déjà que le Rassemblement national (RN) avait "fourni au gouvernement des éléments de [sa] boîte à outils", dans une tribune parue dans Libération. En clair, si Jordan Bardella s'appuie très largement, dans sa campagne pour les législatives, sur le programme de Marine Le Pen pour la présidentielle de 2022, Gabriel Attal porte depuis plusieurs mois une politique éducative dont les mesures sont proches de celle de l'extrême droite. Une "stratégie politicienne" visant à chasser des voix du côté de "l'électorat conservateur, voire réactionnaire", estime Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU. 

Prenons le brevet : en décembre, Gabriel Attal, alors ministre de l'Education, annonçait que le diplôme serait nécessaire pour entrer au lycée. En 2022, Marine Le Pen voulait aller un cran plus loin en faisant du brevet un "examen d'orientation post-3e", qui dirigerait les élèves vers l'enseignement général, technologique ou professionnel. Auprès de franceinfo, le spécialiste éducation du RN, Roger Chudeau, confirme qu'il souhaite faire du brevet un "examen de passage en seconde".

Le port de l'uniforme à l'école fait aussi partie des mesures portées par le RN comme par le camp présidentiel. En cas d'arrivée au pouvoir, l'extrême droite a d'ailleurs l'intention de poursuivre l'expérimentation lancée par le gouvernement.

Une idéologie "identitaire et nationaliste"

Malgré ces points communs notables sur des éléments très visibles de leurs programmes, Claude Lelièvre, historien de l'éducation, relève de profondes différences. L'extrême droite se distingue par son idéologie "identitaire et nationaliste", explique-t-il. Ce qui se ressent dans le sens que chaque camp donne aux savoirs fondamentaux : côté gouvernement, on insiste sur "lire, écrire, compter, se comporter" (Emmanuel Macron au Point, le 23 août 2023) ; côté RN, on insiste sur "le français, les maths et l'histoire de France" (dans le programme de 2022), relève ce spécialiste. Dans sa campagne pour les législatives (PDF), Jordan Bardella évoque, cette fois, "les sciences, le français et l'histoire".

Sur la laïcité, le RN envisage d'aller plus loin que la macronie. Si Gabriel Attal a, cette année, interdit dans le milieu scolaire le port de l'abaya, ces robes longues portées par certaines élèves musulmanes, Jordan Bardella entend durcir les règles pour les accompagnatrices de sorties scolaires, en interdisant le port du voile, ce que le gouvernement se refuse à faire.

Des mesures plus répressives

Si l'autorité semble prioritaire pour Gabriel Attal et Jordan Bardella, les détails révèlent de nettes différences. Le Premier ministre souhaite par exemple responsabiliser les élèves et leurs parents en leur faisant signer un "contrat de droits et d'obligations". En cas de non-respect des règles, il veut apposer une mention sur le dossier Parcoursup des élèves perturbateurs et leur retirer des points aux examens. Les cas les plus graves pourront, aussi, conduire à une saisine de la justice. Pour le RN, les sanctions seraient d'un autre niveau, avec le retour de la loi Ciotti (suspension des allocations familiales et des bourses scolaires en cas de perturbations "graves et répétées"). "On sait ce que ça peut provoquer en termes d'appauvrissement, dans des familles qui sont déjà précaires. Le risque, c'est aussi de voir surgir des violences au sein du foyer", dénonce Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du syndicat CFDT.

Jordan Bardella prévoit également de créer des "centres spécialisés" pour les élèves perturbateurs, une idée qui se rapproche de celle lancée par Gabriel Attal en avril, le placement en internat pour prévenir la délinquance. Autre mesure autour de l'autorité, plus symbolique cette fois, le RN souhaite rendre obligatoire le vouvoiement des enseignants par les élèves. 

"Le RN est ultra-identitaire, ultra-sécuritaire et ultra-autoritaire."

Claude Lelièvre, historien de l'éducation

à franceinfo

Surtout, Claude Lelièvre perçoit "une mise au pas des enseignants". Il cite, programme du RN à l'appui, l'instauration de sanctions planchers pour les élèves, "qui devront être appliquées lors des conseils de discipline sous peine de sanctions contre l'encadrement des établissements". Mais aussi le renforcement de la neutralité des professeurs, avec "un accroissement du pouvoir de contrôle des corps d'inspection en la matière et une obligation de signalement des cas problématiques sous peine de sanctions à l'encontre des encadrants". Selon l'historien, une telle surveillance serait inédite "depuis Pétain". 

Grégory Chambat, professeur en collège et auteur de Quand l'extrême droite rêve de faire école, une bataille culturelle et sociale, a analysé les mécaniques à l'œuvre dans les pays où l'extrême droite est déjà aux manettes. Interrogé par Médiapart, il explique y avoir constaté l'émergence d'une "loi du bâillon" à l'école : "un enseignement 'neutre', dans lequel on ne peut pas dénoncer le racisme, le sexisme, dans lequel certains arguments scientifiques sont remis en cause". 

Un tri des élèves "plus assumé"

Sur le plan purement éducatif, d'autres différences existent entre Renaissance et le RN. Alors que la mise en place de groupes de niveau en 6e et 5e à la rentrée divise les professionnels comme les parents, dont une partie dénonce un "tri" les élèves, Roger Chudeau précise à franceinfo que le RN ne souhaite pas en faire une règle mais une possibilité, à l'appréciation des établissements.

Le parti a cependant un autre projet : réformer le collège afin qu'il soit "modulaire" pour réorienter certains élèves en 4e et 3e technologique. "Au Snes-FSU, on s'est beaucoup opposés aux groupes de niveau. Là, le tri est encore plus assumé, avec des voies d'éviction dès la 5e", souligne Sophie Vénétitay. Il est également prévu par Jordan Bardella d'instaurer un examen national de passage en 6e et de mettre fin au REP (Réseau d'éducation prioritaire), pour ne garder que le REP+. Pour Roger Chudeau, il s'agit là de "concentrer les moyens sur les écoles qui en ont vraiment besoin", pour éviter "une dispersion dommageable".

De l'autre côté de l'échiquier politique, le Nouveau Front populaire (NFP) mise au contraire beaucoup sur la mixité scolaire, notamment en modulant les dotations des établissements en fonction de leurs efforts à ce sujet. Son programme a même fini par convaincre le Snes-FSU de sortir de sa neutralité habituelle, puisque le principal syndicat du premier et du second degré a annoncé soutenir le NFP.

"Les électeurs pourraient préférer l'original à la copie"

La communauté éducative au sens large s'inquiète, avant tout, de l'arrivée de l'extrême droite à Matignon et sur les bancs de l'école. "Gabriel Attal a peut-être voulu couper l'herbe sous le pied au RN" en s'inspirant de ses thèmes, "mais les électeurs pourraient préférer l'original à la copie", redoute Catherine Nave-Bekhti, de la CFDT. Dans une pétition, quelque 700 chefs d'établissements, inspecteurs pédagogiques, d'académie et généraux ont d'ores et déjà annoncé qu'ils n'appliqueraient pas "de mesures qui contreviendraient aux valeurs de la République". "Nous le disons maintenant avant qu'il ne soit trop tard, avant que notre Ecole ne soit dévoyée, instrumentalisée et serve un projet politique funeste", écrivent-ils.

D'autant que les changements pourraient être très rapides. D'abord, car l'Education nationale est essentiellement gérée par des décrets, arrêtés et circulaires. En clair, ses textes ne passent pas toujours par le Sénat et l'Assemblée nationale. Et, contrairement à ce que déclarait Emmanuel Macron en août 2023, ce ministère ne fait légalement pas partie du "domaine réservé du président". En cas de cohabitation, le Premier ministre et son gouvernement auraient alors un pouvoir conséquent sur l'école.

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